« C’est un drame humain », fait ressortir le travailleur social Salim Muthy au sujet de la pauvreté galopante dans le pays. Celui qui, avec une équipe de travailleurs de l’ombre, vient en aide à des familles nécessiteuses, particulièrement en cette période de crise, relève qu’il existe « beaucoup de personnes qui vivent la pauvreté dans le silence ». Des familles qui, dit-il, « se cachent sans rien oser demander. Par pudeur ». Le travailleur social partage son expérience sur le terrain tout en jetant un regard critique sur la gestion de ce problème, qui ne fait que s’aggraver.
« Il y a le cas de cette femme issue d’une grande famille et qui s’est retrouvée dans une pauvreté extrême après s’être liée à un homme, lien que réprouvent ses parents. Elle laisse croire à ces derniers qu’elle vit bien. Elle préfère se cacher pour ne pas attirer davantage de blâme et de rétribution. C’est un des exemples où les personnes cachent leur pauvreté », témoigne Salim Muthy.
Un autre cas l’ayant marqué est celui d’une famille vivant dans l’extrême pauvreté à Cité-Longère, Baie-du-Tombeau. « Quand je suis arrivé sur les lieux, j’ai vu une fumée noire émaner d’une maison. Une fille de 13 ans en est sortie avec trois petits en bas âge. Sans gaz ni électricité, au moyen du bois, elle cuisinait du riz dans une casserole complètement noircie. La fumée avait enveloppé la pièce. Une fois le riz cuit, la jeune fille a versé le contenu de la casserole dans un plat », explique-t-il.
Le travailleur social poursuit : « au fur et à mesure qu’on lui parlait, le riz était devenu comme un pudding qu’elle avait tranché en quatre parts avant de distribuer le repas à chacune de ses sœurs. En attendant, nous nous demandions ce qu’elle allait mettre sur le riz comme accompagnement. Mais elle a simplement fait signe à ses sœurs de s’asseoir et de manger… C’était chose normale pour elles. Le bébé avait le ventre protubérant, faute de nourriture. La mère s’était fait récupérer par un camion à 6h du matin. Direction Le Morne, où elle travaille comme… maçon. Ce n’est que tard dans l’après-midi qu’elle allait être de retour. »
Salim Muthy, encore ébranlé par cette visite, ajoute : « quand j’ai demandé à la fille pourquoi elle n’allait pas à l’école, elle m’a dit qu’elle devait garder ses trois sœurs. Cela m’a profondément marqué. Depuis ce jour, nous allons leur rendre visite de temps à autre pour leur apporter des vêtements et à manger. Cette souffrance n’a ni religion ni race. »
Il rappelle qu’en 2007, le gouvernement avait introduit un ministère de l’Intégration sociale pour combattre la pauvreté.
« À l’époque, le pays comptait environ 19 poches de pauvreté. Le slogan à l’époque était “Éradiquer la pauvreté”. Mais, aujourd’hui, en 2022, sait-on si ces poches de pauvreté existent encore ou si le nombre a augmenté ? On n’a aucune statistique à ce sujet », dénonce-t-il.
Il renchérit : « quand on a mis sur pied la National Empowerment Foundation, celle-ci était censée encadrer les personnes pauvres, les Empower en les aidant à monter une petite entreprise pour les extraire de la pauvreté. Mais cela n’a pas marché. Que s’est-il passé avec le projet de La Valette ? La même chose. Nous avons à Maurice beaucoup d’institutions qui ont été dupliquées alors qu’on ne se demande pas si le travail de lutte contre la pauvreté aboutit ou non. La quantité d’argent que le pays a. Si on voulait vraiment éradiquer la pauvreté en un an, on aurait pu le faire. »
Le travailleur social se demande comment, en 2022, il y a encore des gens qui attendent le camion de la CWA et transportent de l’eau sur leur tête. « D’autres, depuis 15 ans, attendent d’avoir une maison de la NHDC. De l’autre côté, la classe moyenne ne cesse de s’appauvrir. C’est un mauvais signal pour le pays. Avec un salaire de Rs 20 000, une personne n’arrive plus à vivre avec la cascade d’augmentations de prix, les diverses taxes, les denrées de base qui montent en flèche. Après avoir payé sa location, ses factures d’eau et d’électricité, son prêt bancaire, ses courses, il ne lui reste plus rien pour progresser ,» reconnaît-il.
Salim Muthy fait ressortir qu’il devient de plus en plus difficile, voire impossible, pour les Mauriciens d’épargner. « Dans les banques, il y a des comptes d’épargne qui sont inactifs depuis 5 à 6 ans et qui sont maintenus. La Banque de Maurice a demandé à ce que ces comptes soient enlevés. Si vraiment les banques devaient enlever ces comptes, il y aurait un gros problème dans le pays. Les gens n’arrivent plus à épargner », rajoute-t-il.
Le travailleur social estime que les politiciens nourrissent la pauvreté dans leur intérêt.
« Jamais les habitants des quartiers pauvres n’auront de l’emploi. Ils utilisent ces personnes pour coller des affiches lors des campagnes électorales. Dans leur faiblesse, ces personnes acceptent de les suivre », dénonce-t-il.
S’il se dit d’accord que les effets du Covid-19 et de la guerre sont mondiaux, le système de planification dans le pays, dit-il, n’est, lui, pas mondial. « Dans le temps, il existait un Town Planning qui faisait que toutes constructions suivaient des normes. Aujourd’hui, avec toutes les connexions qui existent au niveau des municipalités et des conseils de district pour approuver des permis de construction, on construit comme on veut sans respecter les normes. Comment alors parler de catastrophe naturelle quand les inondations sont causées par des constructions n’ayant pas suivi les normes voulues ? »
Il regrette que le pays n’ait pas créé de nouveaux piliers économiques qui peuvent créer de la richesse. « On ne fait que blâmer l’ancien gouvernement, alors qu’on ne fait que faire des dépenses. On devient un pays surendetté. Les électeurs ont voté le gouvernement pour qu’ils puissent vivre bien. Me la, kouma dir zot inn kit enn lezo dan nou pla, zot pe manz laviann fran. C’est pourquoi la population est en colère. Cette crise sociale reviendra », dit-il.
Les subsides ont-ils de l’effet sur le portefeuille des habitants ? « Non. Les gens continuent de souffrir. Que le gouvernement donne une liste officielle des importateurs ayant bénéficié de subsides. L’élaïti était à Rs 250 et est passé à Rs 1 000 aujourd’hui ! Personne ne proteste parce qu’il n’y a pas beaucoup de personnes qui en achètent. Mais l’importateur a eu l’occasion de faire une telle augmentation. Le sucre, en 2007, était à Rs 2,50 la livre. Le gouvernement a augmenté ce produit à Rs 10, soutenant que le pays compte trop de diabétiques – 400 amputations à l’époque. Actuellement, le sucre est à Rs 25 la livre, dans un pays producteur de sucre, et les amputations n’ont pas diminué – 600 par an. Qui sont ceux qui ont bénéficié de cette augmentation ? Les patrons de l’industrie sucrière, qui se sont diversifiés dans des projets IRS, brassant des millions de profits au détriment des petits consommateurs », énumère-t-il.
Il propose que le gouvernement rembourse une partie de la TVA que payent les 125 000 familles pauvres et les retraités quand ils font leurs courses. « Par exemple sur des achats de Rs 6 000 de produits, c’est Rs 900 de TVA (15%). Le gouvernement aurait pu rembourser Rs 500 de TVA, ce qui leur permettrait de payer sa facture d’électricité et d’eau », propose-t-il.
Avec une équipe de travailleurs sociaux, Salim Muthy a sollicité une rencontre avec le ministre du Commerce, Soodesh Callichurn, pour discuter de toutes ces augmentations.
« Le PM a parlé de dialogue social. J’espère qu’il aura un dialogue avec ceux qui sont sur le terrain, qui sont terre-à-terre, et non ceux qui sont dans leur bureau en costume et cravate. Nous essayons de notre côté de soulager les gens en difficulté à travers des dons en nature ou en espèces. Nous négocions parfois avec le CEB et la CWA pour leur demander de réduire un peu leurs factures, surtout de ceux qui sont endettés au niveau de la banque, dont les maisons sont en passe d’être saisies. Nous discutons avec les banques pour demander de repousser les délais pour les soulager. Nous ne pouvons faire plus que cela, car nos moyens sont limités. Nous contactons en revanche des sponsors pour des bons d’achat au supermarché. Nous les aidons dans leurs démarches auprès du Fonds de solidarité nationale, etc. » , croit-il.