Parents de toxicomanes – Cadress Rungen : « Des pères et mères dépouillés humainement autant que matériellement »

La deuxième et dernière session SEL (Solidarité, épanouissement et liberté) destiné aux parents de toxicomanes s’est tenue du 11 au 13 octobre dernier. Le Foyer Fiat a accueilli, le temps d’un week-end en résidentiel, un nouveau groupe de parents, « en détresse, paumés et qui vivent leurs souffrances en isolation, dans leurs cellules familiales qui éclatent », explique Cadress Rungen, travailleur social responsable du Groupe A de Cassis et de Lakaz A, qui coordonne ces activités touchant des toxicomanes actifs, ceux qui ont pu décrocher, mais aussi leurs enfants ainsi que leurs parents.

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« D’année en année, à mesure que nous nous engagions auprès des victimes des drogues, nous avons compris que ce ne sont pas seuls les consommateurs des drogues qui sont affectés, mais toute leur cellule familiale. D’où ces sessions Cado, qui concernent les jeunes, et les aident à se responsabiliser et s’armer pour ne pas tomber dans les pièges des marchands de la mort. Et aussi ces autres sessions touchant directement les parents des toxicomanes », déclare Cadress Runghen.

Pour l’ultime session SEL de 2024, le groupe de parents qui les ont approchées a une moyenne d’âge de 45 à 50 ans. « Ce qui a contrasté avec plusieurs groupes de parents que nous avons eu lors des dernières sessions, et où les parents étaient très jeunes. » Le travailleur social poursuit : « nos encadreurs et animatrices sont allés au fond de la question, et de qui ressort est très touchant. Ces très jeunes parents, dont les enfants sont devenus des esclaves des drogues, ont honte. Ils n’ont pas la force d’affronter le regard de la société, leur jugement, leurs commentaires… De fait, ils se replient sur eux-mêmes et se cachent. »

En revanche, continue notre interlocuteur, ces parents, qui sont quinquagénaires, eux, en ont beaucoup bavé… « Se bann fami ki’nn pass dan tou kalite sok ! Violences verbales, physiques, psychologiques, allers et retours en prison… Zot nepli per nanye. Ce qui les motive, c’est comment s’armer pour vivre leur condition si difficile et spécifique. » Lors des différentes étapes de la dernière session SEL, retient Cadress Rungen, « ce qui nous a le plus frappé, c’est ce sentiment qu’ont ces parents qu’ils ont été dépouillés de tout ». Il poursuit : « Non seulement leurs enfants les ont appauvris financièrement, en prenant leurs sous pour s’acheter leurs doses quotidiennes, garder leur approvisionnement adéquat pour ne pas fat yen (condition de manque de l’accro aux substances nocives), mais dans le processus, ces parents ont été dépouillés de leur amour-propre, de leur dignité, de leurs sentiments qui les rattachaient à leurs enfants qu’ils chérissent. L’amour est certes toujours présent dans les cœurs de ces papas et mamans, mais l’émotion pure qui fait la beauté des relations humaines dans les familles a été graduellement remplacée par la méfiance, la peur, la panique et, surtout, le plus gros d’entre tous, la honte ! » Ce qui fait, qu’au final, soutient notre interlocuteur, « nous nous retrouvons avec des cellules familiales abîmées, déchirées, meurtries. »

Le travailleur social n’en démord pas : « De mon vécu, avec mon engagement ces quatre décennies, jamais je n’aurais imaginé que la drogue aurait pris de telles proportions dans le pays ! Kan nounn koumanse, nou ti ena lapasyon pou fini sa problem ki ti pe touy nou bann zenes. » Pourtant, dit-il : « Quand en pleine pandémie de Covid-19, alors que tout le pays était en confinement, les avions au sol, les bateaux aux quais, les entrées et sorties par voies aérienne et marines fermées, et que d’autres pays aussi subissaient le même sort, il n’y a eu aucun manque de drogues dans le pays ! » Ce qui l’amène à demander : « Abe komie ladrog ena dan nou pei ? Kot garde tou sala ? »

Revenant sur la problématique des parents affectés par la présence dans leurs foyers de leurs enfants accros tant au Brown Sugar qu’aux drogues synthétiques, Cadress Rungen soutient : « Nous étions loin de nous douter qu’autant de parents dans notre pays souffrent en silence. Ils pensent être les seuls à traverser autant de difficultés et voient leur quotidien comme une condamnation. Pour eux, il n’y a pas d’issue; ils se sentent coincés et arrêtent de vivre. »

D’où les sessions SEL, « où nous leur parlons, nous les écoutons vider leur cœur de leurs souffrances, et graduellement, au moyen des échanges, des écoutes et des dialogues, nous les armons pour retrouver leur identité ». Il reprend : « Quand ils partent, après ces deux jours de résidentiel, leurs problèmes n’ont pas été résolus : zot zanfan ankor pe droge ! Mais la différence, c’est qu’ils ont compris ce qu’est l’addiction, comment parler et approcher un malade des drogues, comment le surveiller, où aller chercher de l’aide… »

Et la session SEL n’est pas une finalité. « Nous les encourageons à maintenir le contact avec nous, à revenir pour des rencontres régulières et activités. Nous avons plein de toxicomanes qui ont arrêté de prendre ces substances. Eux autant que leurs parents nous donnent un sérieux coup de main ! »

Petit à petit, termine-t-il, « nous parvenons à aider ces familles à sortir de leur enfer ». Pour autant, « nous ne sommes qu’une petite Ong, et il y a tant de parents qui souffrent actuellement dans le pays ». Il souhaite que « les autorités, en cette période électorale, autant que les partis politiques qui se présentent, gardent en tête qu’il est temps, maintenant plus que jamais, d’avoir une politique franche, concrète et ouverte sur la question des drogues, avec une volonté de diminuer les souffrances de toutes ces personnes ».

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