Nul pour veiller sur ses enfants : une maman malade a peur de se faire soigner

Elle craint d’être hospitalisée. Elle ne cesse de grossir et se déplace avec difficulté.

À 34 ans, Natacha, mère de quatre enfants et grand-mère d’un bébé d’un an, grossit anormalement. Et vit cloîtrée, à l’abri des préjugés. Essoufflée au moindre pas, elle se sait, dit-elle, malade depuis quelques années. Cependant, cette personne de condition précaire, qui ne peut travailler et qui reste chez elle pour ne pas être victime des préjugés de son entourage, refuse de consulter un médecin. Elle a peur, dit-elle, d’être hospitalisée, car elle n’a personne pour s’occuper de ses enfants. Pour acheter des denrées de base, qui ne durent jamais longtemps, Natacha puise dans l’aide sociale dont bénéficient ses enfants scolarisées. Et pour s’assurer que celles-ci aient un repas chaque soir, elle ne mange rien pendant la journée.

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Parce qu’elle aura le sentiment d’abandonner ses enfants et qu’il n’y a aussi personne pour s’en occuper si elle est admise à l’hôpital, Natacha (nom modifié), qui se sait malade, a peur de voir un médecin. Combien de fois elle a été dans l’incapacité de bouger et respirer normalement. À 34 ans, elle laisse les kilos s’installer à une grande vitesse dans son corps. Pourtant, Natacha ne mange pas à sa faim. La pauvreté la contraint à des privations. Si elle n’était pas malade, insiste-t-elle, elle aurait travaillé comme elle le faisait il y a encore quelque temps. Natacha a toujours été femme de ménage.

Elle a essayé de se remettre au travail. « Mais après quelques minutes d’efforts, je ne peux plus avancer. Je suis tellement fatiguée que je m’écroule », explique Natacha. Si elle pouvait encore travailler, dit cette dernière, elle aurait offert un bon repas à ses quatre filles âgées de 5 à 18 ans, et le bébé de son aînée. « Je ne suis pas paresseuse. Mais je ne peux pas travailler. Mo pa anvi ki dimounn ziz mwa. Le jour où j’avais demandé un peu de riz pour donner à manger à mes enfants, cela a fait le tour du voisinage. C’est aussi pour cette raison que je ne demande jamais de l’aide à personne, quitte à ne rien avoir à se mettre sous la dent », dit Natacha. Tous les jours, après le départ de ses petites à l’école, elle s’enferme quasiment chez elle, à l’abri des regards et des préjugés. Depuis qu’elle ne travaille plus, les factures d’électricité et d’eau se sont accumulées. Tous les mois, elle puise dans les aides financières dont elle bénéficie sous le registre social pour éponger son ardoise.

« Mes enfants sont tout ce que j’ai »

Aujourd’hui, jour de la Fête des Mères, Natacha ne pourra pas échapper à des pensées qui la tourmentent depuis son enfance. Bien malgré elle, ses souvenirs la ramèneront à celle qui lui a donné la vie, mais qui a aussi, affirme-t-elle, contribué à ses souffrances. Natacha l’appelle par son prénom. Le lien entre les deux femmes a été coupé. Et cela fait plusieurs années qu’elle ne l’a pas vue. « Elle ne me manque pas », murmure-t-elle. Natacha collectionne des malheurs et comme si la lourde croix qu’elle porte depuis son enfance ne suffisait pas, la maladie est venue se greffer à ses problèmes.

Pour Natacha, il n’y a aucun doute, sa mère biologique a scellé son triste destin le jour où celle-ci l’a confiée à la femme de son père (le grand-père maternel de Natacha). Depuis, Natacha s’est promis de ne pas suivre les traces de sa mère en négligeant ses enfants. « Je ne veux pas m’éloigner de mes filles. Mes enfants sont tout ce que j’ai. Pour la Fête des Mères, j’aurais souhaité pouvoir leur offrir un bon repas, ce qu’il y a de meilleur. Mais, malheureusement, je ne pourrai pas. Nou pou manz seki ena. Ma demi-sœur m’avait promis qu’elle achèterait du foie de poulet pour notre repas. Nou pou kwi samem. Les jours de fêtes se ressemblent pour moi. D’ailleurs, ça nous est arrivé de manger des brèdes mouroum ou de nous retrouver sans absolument rien à manger pendant les fêtes de fin d’année. Le 31 décembre dernier, c’est une connaissance qui est au courant de notre situation qui nous a donné de la nourriture. Grâce à cette personne, nous avions pu nous mettre au lit l’estomac rempli », dit-elle.

Et parce qu’elle ne veut pas, comme elle le dit, s’éloigner de ses enfants, Natacha a choisi de ne pas se rendre à l’hôpital pour s’enquérir de sa santé, de peur d’être admise. « Si le médecin juge que mon état demande une hospitalisation, je vais devoir laisser mes enfants seuls à la maison. Je ne veux pas de cela. Ma fille de 18 ans n’a pas la maturité voulue pour s’occuper de ses sœurs. Limem li ankor enn zanfan », s’obstine-t-elle. C’est pour cette raison que la pauvre laisse son corps prendre du poids. Depuis deux ans, elle n’a plus le contrôle sur les kilos qu’elle ne peut plus supporter et porter. Chaque jour, elle s’essouffle un peu plus. Pourtant, malgré sa santé qui se détériore et ses capacités qui s’amenuisent, Natacha a peur de consulter un médecin. « Qui va s’occuper de mes enfants ? » se demande-t-elle.

Elle prend
du poids et a le souffle coupé

Plus le temps passe, plus Natacha prend du poids. Ses chevilles n’apparaissent plus à cause de ses pieds trop enflés. « J’ai dû mal à respirer. Je perds mon souffle », dit-elle en prenant place sur l’extrémité d’un canapé, dans sa pièce en tôle. D’ailleurs, c’est toujours là qu’elle se pose quand elle a le souffle coupé, c’est-à-dire presque toujours. Et c’est aussi assise à cette place qu’elle observe ses enfants et leur donne des directives, comme en cette fin d’après-midi. Il est alors 18h. La nuit a déjà enveloppé le couloir extérieur à ciel ouvert, où deux des filles de Natacha font la vaisselle. La cadette de 10 ans est aidée de sa sœur, âgée de 8 ans. Puis, la plus grande se dirige vers la gazinière, à l’intérieur de la maison. Elle soulève le couvercle de la marmite posée sur le feu. Ses filles sont d’une grande aide.

Conscientes de la dégradation de l’état de santé de leur mère, elles participent aux tâches ménagères de la maison. Tous les matins avant de se rendre à l’école, elles aident leur mère à laver le couloir. Debout à 5h, pour ne pas être bousculée. Natacha ne peut que faire sa toilette et préparer le thé. « Je ne peux même pas donner le bain à ma benjamine. Je l’accompagne à la salle de bain et je m’assure qu’elle se lave correctement », explique la maman. Puis, elle regagne le canapé où elle s’installe. « Tous les matins, les filles mettent un tabouret devant moi. Elles m’apportent le pain, un couteau et la garniture pour que je prépare leur déjeuner pour l’école », explique Natacha.

À leur départ, elle fait de son mieux pour entretenir sa maison avec l’aide de sa fille aînée, avant de passer le reste de la journée assise dans un fauteuil. « Kan mo santi mwa pa bien, ki mo pa pe konpran ki mo pe gagne, mo kriye mo demiser ki res pre kot mwa, lerla li al lafarmasi pou aste panadol. Si li trouve mo pe gagn febles, li donn mwa enn bout dipin », raconte Natacha. Cette dernière confie que le dernier choc qui avait aggravé son état était la grossesse de sa fille aînée. « Elle allait encore au collège. Quand je me suis rendue compte qu’elle était enceinte, je croyais que mon monde s’écroulait. Le père de son bébé était encore lui-même mineur ! Personne ne voulait s’impliquer dans cette grossesse, sans compter les ennuis que j’ai eus avec la Child Development Unit », confie Natacha.

Le bébé nourri au biscuit

Après son accouchement, l’adolescente avait repris le chemin de l’école avant d’interrompre définitivement sa scolarité. La jeune mère, qui ne travaille pas, dépend également des allocations sociales de Natacha pour vivre. Et quand  sa fille a eu l’âge de prendre des aliments complémentaires au lait, elle a été nourrie aux biscuits. Âgée maintenant d’un an, la petite consomme les mêmes repas que les autres membres de sa famille. « La plupart du temps, je prépare des grains secs et du riz que nous mangeons pendant au moins trois jours. » Natacha aussi avait accouché de sa fille aînée lorsqu’elle avait 17 ans. L’histoire semble se répéter. Elle confie qu’à l’époque, le père de son enfant lui avait été quasiment imposé. Quand aux autres hommes de passage dans sa vie, ils ne lui ont pas apporté la stabilité qu’elle recherchait. Mais au contraire, rien que des ennuis. Ils l’ont tous abandonnée après la naissance de ses enfants.

 

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