Olivier Bancoult : «  Dan plas nanie, ou pran sa, apre ou kontinie lager  »

Au terme de plusieurs décennies de combat humain — qui s’est, rappelons-le, conjugué au féminin — et de négociations géopolitiques, un deal historique entre la République de Maurice, la Grande-Bretagne et les États-Unis a enfin été conclu le 3 octobre 2024 et justice a été rendue au peuple chagossien. Ainsi, au-delà des opinions divergentes — qu’elles soient justifiées ou non — cet accord marque avant tout la décolonisation des îles Chagos, qui sera complétée une fois réparation assurée. Olivier Bancoult, président du Groupe Réfugiés Chagos, répond à nos questions.

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Pour commencer, quel est votre sentiment après ce « historic deal » sur les Chagos  ?

C’est évidemment un sentiment très positif, parce que cela fait plusieurs années depuis que nous nous sommes engagés dans ce combat pour la justice. Nos droits fondamentaux et notre dignité ont été bafoués et nous avons pris plusieurs actions de non-violence pour chercher ce droit acquis. Ni plus ni moins. Je rends d’ailleurs hommage aux Chagossiennes, qui ont commencé la lutte, qui ont fait des grèves de la faim avec le slogan Rann Nou Diego. Je salue ces femmes et d’ailleurs tout ce qui se passe maintenant, c’est le fruit d’un long combat, d’un travail de longue haleine. On n’a rien eu sur un plateau. On a cru dans notre cause basée sur la non-violence, car je le rappelle, on n’a ni bombe ni canon, mais seulement la force de nos voix. Aujourd’hui, c’est un sentiment de satisfaction, car les Britanniques, qui ne voulaient pas entendre parler de nous, nous parlent maintenant de plan de relogement ! Aujourd’hui, un engagement a été pris aux yeux du monde entier. Ce ne sont pas des paroles en l’air comme on en a connues beaucoup.

À ce stade, êtes-vous satisfait des conditions du deal  ?

Je ne peux pas vraiment me prononcer, car ces négociations sont entre les États mauricien, britannique et américain. Ce que je peux vous dire en tant que Chagossien, c’est qu’aujourd’hui, je le répète, ces mêmes Britanniques qui ne voulaient pas négocier, et qui en Cour disaient sans rien faire « We have deep regret for what happened to Chagossians », proposent désormais un fonds et un plan de relogement. Be koman mo kapav dir ki mo pa dakor ? Dans tous les cas, il y a une chose qui s’appelle réparation, et tous les Chagossiens natifs sont d’accord pour avoir réparation pour toute la souffrance et l’injustice subies. Vous savez, dans toute négociation, vous mettez toujours le chiffre le plus haut, sachant que vous en aurez moins. Dan plas nanie, ou pran sa, apre ou kontinie lager. Car nous avons d’autres arguments, d’autres projets qui n’ont pas encore abouti. En effet, nous pensons qu’une cohabitation sur Diego est possible, d’autant que des Philippins et des Sri Lankais y vivent déjà. Pourquoi pas les Chagossiens ? Maintenant, pour ceux qui protestent, et qui disent ne pas être d’accord, ils ont le droit. Me ou le ou pa oule, personn pa kapav sanz sa. Vous avez déjà vu des Britanniques proposer des choses volontairement ? Et maintenant quand ils nous proposent ce deal, pensez-vous que l’on puisse refuser ? Lekol kouyon nepli ena sa  ! Ceux qui ne sont pas contents, c’est OK, mais nous, en attendant, nous nous préparons pour notre retour sur notre île natale. Une fois sur Chagos, nous serons encore plus forts pour continuer notre combat.

Même si, justement, Diego Garcia reste une base militaire sous le joug américain et britannique, estimez-vous que le processus de décolonisation est complet  ?

Absolument. Il y aura d’autres négociations et surtout, ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a un fonds pour le bien-être des Chagossiens, la Grande-Bretagne a un fonds pour le relogement, le gouvernement américain à travers le gouvernement anglais contribue pour le bail auquel nous aurons sans doute droit. Nou deal avek sa pou le moman.

Qu’adviendra-t-il des mouvements chagossiens qui sont en faveur de la souveraineté britannique  ?

Ils ne connaissent tout simplement pas leur histoire. Si vous connaissez votre histoire, vous devez savoir quelles sont vos racines. Ils se disent BIOT (British Indian Ocean Territory), mais est-ce qu’ils savent que c’est à cause du BIOT que les Chagossiens ont été déracinés ? C’est le BIOT qui a enclenché le cauchemar du peuple chagossien. Si la Grande-Bretagne s’intéressait réellement au peuple chagossien, elle aurait dû nous prendre chez elle pour s’occuper de nous. Mais ce ne fut jamais le cas  ! Le seul lien qu’il y avait c’était Maurice-Chagos. Nous ne devons d’ailleurs pas fausser l’histoire, car même si Maurice fut une colonie britannique, Chagos était une dependancy de Maurice. Je challenge donc ces gens revendiquant la souveraineté britannique. Je leur rappelle qu’ils ne sont pas Stateless et qu’ils sont nés lor enn later ki apel Moris, dan enn lopital ki apel lopital Jeetoo. Et quand on décide de soutenir un gouvernement qui n’a pas respecté vos droits fondamentaux, cela n’est pas logique. J’invite ceux qui disent qu’ils ne sont pas Mauriciens de renoncer à leur nationalité mauricienne. Il faut aussi apprendre à respecter les droits des gens qui veulent aller sur les Chagos, pour honorer leurs ancêtres.

Justement, d’autres comme vous, notamment Fernand Mandarin, se sont engagés dans ce combat en empruntant des voies différentes…

Chacun a apporté sa contribution, y compris Fernand Mandarin, même s’il avait lui un autre projet. Il y a aussi les frères Michel, feu Kishore Mundil et beaucoup d’autres qui nous ont soutenus dans notre combat. On ne peut pas les oublier.

Est-ce que votre combat s’arrête là ? Comment se passera le grand retour dans l’archipel  ?

Non, mon combat ne s’arrête pas là. Notre combat continuera jusqu’à ce que nos frères et sœurs nés sur Diego eux aussi aient les mêmes privilèges que nous autres. Nous avons parcouru un bon bout de chemin, mais cela ne s’arrête pas là. Cela étant dit, une chose est sûre : les natifs de Diego auront réparation, ils pourront aller là-bas pour fleurir les tombes, mais quand pourront-ils s’y installer, l’on ne sait pas encore. Quant au grand retour sur l’archipel, nous sommes en train de participer à l’organisation, par exemple les gens nés sur Diego veulent s’installer sur Peros et Salomon, il faudra donc s’organiser.

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