OCTOBRE ROSE : Lorsque le cancer est une fatalité de famille 

Anny avait 56 ans lorsqu’elle a appris la terrible nouvelle en 2016.

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Elle avait un cancer du sein. Deux ans plus tard, alors qu’elle rentre en phase de rémission, après une chimiothérapie éprouvante, elle a la désagréable surprise d’apprendre que sa mère est aussi atteinte par une tumeur maligne… au sein.

Comme elle. Main dans la main, elles se serrent les coudes pour affronter cet intrus inlassablement. Malheureusement, alors qu’Anny semble avoir gagné le combat, le sort frappe encore chez les siens. Cette fois, c’est à son aînée, Angela, que le médecin annonce l’implacable nouvelle : son sein est également le siège d’une attaque de carcinome. Une mère et ses deux filles, toutes trois touchées, c’est étrangement une fatalité. En ce mois d’octobre rose où Week-End a modestement participe à la sensibilisation et à la lutte autour du cancer du sein, Anny nous livre son angoisse de rechuter…

Je suis Anny, j’ai 61 ans. En ce moment, je ne suis pas très en forme. J’ai une atroce douleur au bras et une drôle de sensation. Si bien que, mercredi, je me suis rendue à l’hôpital où, après avoir vu le médecin, j’ai effectué une échographie mammaire et une échographie du ventre. Il faut dire que ces douleurs, qui viennent et qui partent, sont actuellement un peu lourdes à vivre avec. Ou est-ce parce que je suis stressée ? Ma sœur doit bientôt subir une opération. Elle aussi a eu le cancer. Comme moi. Comme ma mère. Alors, je me pose des questions. Est-ce que la maladie est revenue ? Cinq ans après ? J’ai des doutes…

À l’hôpital, ils m’ont dit que tout était normal. Mais il faudra attendre les résultats. Un mois encore. Comme la dernière fois. La dernière fois, ça remonte à 2016. Plusieurs fois avant j’avais été faire des tests. Et les médecins n’avaient rien trouvé. Pourtant, je ressentais comme une lourdeur de mon bras gauche. Le soir quand je dormais, ce côté était douloureux. Puis un jour, alors que les jeunes apprentis médecins m’avaient encore une fois dit qu’il n’y avait rien, le Dr X, lui, dès qu’il a palpé, m’a dit qu’il y avait une grosseur et qu’il fallait l’enlever.

« Alala, cancer. Bizin opere »
Ce jour-là, je m’étais rendue à l’hôpital seule, comme à mon habitude. Lorsque le médecin m’a annoncé cette grosseur, je me suis dit : « Ok, ça arrive. On va voir ce que ça donne. » Je n’ai pas pensé au cancer à proprement parler, car on m’a déjà dit que les grosseurs pouvaient être bénignes. Je savais aussi que cela pouvait être autre chose. Du coup, je me suis dit : on attend. Le médecin avait parlé d’une biopsie. Je n’y ai pas réfléchi. J’en ai parlé chez moi, sans plus. J’ai subi mon examen et lorsque j’ai revu le médecin, il a été très dur, me disant : « Malerezman, kan dir zot al fer test zot pa vini. Alala, cancer. Bizin opere. »

Ce jour-là, j’étais en compagnie de mon mari Parveen et de ma jumelle Anita. L’espace de cinq minutes, j’étais sous le choc. Plusieurs choses se bousculaient dans ma tête. Mais je pensais surtout à mon mari et à mes enfants, à ma famille… Je me suis demandé quelle serait la réaction de mon mari, car je comprenais que je n’aurais plus un sein. Je savais qu’il allait me manquer quelque chose, quelque part. Puis, je me suis dit : « Arrivera ce qui arrivera. Il faut opérer, on va opérer. On verra ensuite. » Mes proches eux étaient dévastés. Ma jumelle a beaucoup pleuré. Mes enfants aussi. Mes autres proches également. Mais moi, j’étais plutôt courageuse. C’est ce qui a d’ailleurs aidé les membres de ma famille à se reprendre et à m’encourager à leur tour.

« Je n’étais ni amère ni anxieuse »
Je n’étais ni amère ni anxieuse. La veille de mon opération, ma belle-sœur m’avait envoyé un message avec un texte de la Bible que je garde toujours en mémoire. Il est du prophète Isaïe : « Ne crains rien, car je suis avec toi ; Ne promène pas des regards inquiets, car je suis ton Dieu ; Je te fortifie, je viens à ton secours, Je te soutiens de ma droite triomphante. » Ce message m’a beaucoup touchée et m’a permis d’avancer. J’ai subi l’opération. On m’a coupé un sein. Tout s’est bien passé. Dans la salle où j’étais admise, je me suis fait des amies. Nous avions toutes le même problème et on en discutait ouvertement, partageant nos expériences. Tout cela m’a apaisée.

De retour à la maison, je me posais toujours la même question : comment mon mari va-t-il me voir désormais ? Mais très vite, j’ai compris que le changement dans mon corps lui importait peu. D’ailleurs, avec mes filles, souvent, il me taquine. Une cousine qui vit à l’étranger m’a fait parvenir une prothèse mammaire. Ce n’est qu’un mois plus tard que j’ai revu le médecin de l’hôpital qui m’a référé à l’hôpital Candos. Là-bas, on m’a simplement donné une date pour que je commence ma chimiothérapie. J’avais déjà entendu parler de la chimio. Je savais que c’était un traitement difficile des fois, mais je ne savais pas ce que c’était réellement. Je ne savais pas pourquoi on le faisait et quelles étaient les procédures.

Je n’ai pas posé de questions. Il fallait que je le fasse, donc je l’ai fait. Sans savoir à quel stade de la maladie je me situais, ou de quel type de cancer je souffrais… Et jusqu’aujourd’hui, je n’en sais pas plus. À l’hôpital, on ne donne pas ces détails. Je me suis ainsi rendue à mes rendez-vous pendant six mois, chaque 15 jours. Parfois pour y passer toute la journée. Parfois trois heures. Cela dépendait des jours. Ma première session, j’avais un peu peur, car on m’avait dit que je vomirais, que j’aurais des malaises, etc. Mais à part un peu de nausée, je n’ai rien eu. Pas une seule fois j’ai vomi. Pour les autres sessions aussi. Mon traitement s’est plutôt bien passé.
Mais à la maison, c’était une autre histoire. J’ai remarqué que depuis que j’ai commencé mon traitement, je me fatigue très vite. Je n’ai plus d’énergie. Je n’ai plus le même courage. D’ailleurs, après mes six mois de convalescence, plusieurs fois j’ai eu à m’absenter de mon emploi. Heureusement que mes employeurs étaient compréhensifs. J’ai aussi eu le soutien de toute ma famille et mon mari a été formidable. Jusqu’aujourd’hui, il est aux petits soins. Cela me permet d’être plus sereine. Même s’il y a des jours où j’ai le blues, comme on dit.

Plus rien n’était pareil
Cet état d’âme, c’est peut-être aussi dû à mon traitement, car après la chimio, depuis presque cinq ans maintenant, je suis aussi sur l’hormonothérapie. Au départ, les médecins avaient dit qu’il faudrait que je fasse la radiothérapie. Pour cela, j’avais pas mal d’appréhension. Je me voyais déjà avec des traces de brûlure sur le corps. À cause de la maladie et du traitement, j’étais changée. Je ne voulais pas être à nouveau martyrisée et marquée, car si physiquement on peut tenir, moralement ce n’est pas simple. Heureusement, par la suite, au dernier moment, les médecins m’ont dit que la radiothérapie ne serait pas nécessaire. Du coup, j’ai été mise sur l’hormonothérapie et quotidiennement, je dois pendant cinq ans prendre un comprimé pour « empêcher que le cancer ne revienne. » C’est ma bataille.

Je me bats aussi avec moi-même, car même si j’ai l’air “bien”, tous les jours ce n’est pas facile. J’ai changé. J’ai perdu mes cheveux à cause de la chimio. Juste après ma première séance d’ailleurs. Le médecin m’avait prévenue, mais je ne pensais pas que ce serait ainsi. Quelques jours après ma première chimio, je me faisais un shampoing et c’est par “gobe” que mes cheveux tombaient. C’était assez impressionnant. Mais je me suis fait une raison, sachant que c’était une des conséquences du traitement. Je me suis adaptée.

« Mo kontinie met mo dirouz kan mo sorti »

Lorsque je devais sortir, je portais un chapeau. Cela a été difficile d’accepter que j’avais changé, car je suis de nature très coquette. Comme disent mes proches, « mo enn alert. » Mais depuis l’opération et le traitement, les vêtements que je portais n’étaient pas seyants sur moi. Plus rien n’était pareil. C’est énervant. Mais je m’y suis fait. Surtout que malgré tout, je voulais garder un peu de féminité. Je refuse de me laisser aller. Mo kontinie met mo dirouz kan mo sorti. Je ne veux pas, parce qu’il me manque un sein, paraître différente. Et cela aide. Surtout les jours où je n’ai pas le moral. Car il faut dire que même si je suis énormément soutenue par ma famille, il y a des jours où l’on voit tout en noir, où l’on se pose des questions.

Surtout que deux ans plus tard, c’est ma mère qui a eu un cancer du sein. Voir sa mère souffrir, à cet âge-là, ce n’est pas facile, surtout que je suis passée par là et je comprends combien les jours peuvent être tous différents des autres. Un jour ça va, le lendemain ça va pas. Un jour on est plein d’entrain et le lendemain on se dit qu’on est foutu. Je pense souvent à comment ma mère a-t-elle attrapé la maladie. Je me suis dit, « est-ce moi qui porte la poisse ? » Cela me stresse des fois. Mais mon expérience a permis à la famille de mieux appréhender les séquelles de la maladie pour ma mère.

Mais depuis quelques jours, j’ai une autre angoisse. Non seulement je ne me sens pas totalement en forme, avec des douleurs au bras et au flan gauche, mais aussi dans mon autre sein, celui qui reste. Mes cheveux se sont remis à tomber. J’essaie de vaquer à mes occupations, comme je peux, mais c’est difficile. D’autant que je m’inquiète aussi pour ma grande sœur qui a subi une biopsie et pour qui les nouvelles ne sont pas réjouissantes. Elle devra elle aussi subir une opération. Tout cela joue sur mon moral. Je me pose plusieurs questions. Sur moi, sur la maladie, sur la poisse. On me dit souvent que je suis forte. Sans doute. Mais trois cancers dans une même famille, c’est tout de même difficile à imaginer. Devrait-on toutes passer par là ? Je pense à ma jumelle. Est-ce qu’elle aussi souffrira comme moi ? Comme nous ?

J’ai été faire une écho-mammaire et une échographie du ventre cette semaine. Mais comme d’habitude, à l’hôpital, on ne dit rien. Le radiologue a simplement dit qu’il ne voit rien. Mais la dernière fois aussi ils avaient dit la même chose. Il me faudra attendre les résultats, dans un mois. Déjà, je sens qu’il y a quelque chose. Le cancer est peut-être revenu. Après cinq ans. J’essaie de ne pas y penser. Mais les douleurs sont là pour me rappeler que nous ne sommes pas à l’abri. Personne n’est à l’abri.

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