Brian Pitchen (coordinateur national du SeDEC) : « Très triste pour cette cohorte de 3 000 jeunes, servant de cobayes »
Le premier groupe de candidats d’Extended Programme prendront part pour la première fois aux épreuves du National Certificate of Education (NCE) cette année. Dès le départ, ce projet de la réforme dans le domaine de l’éducation visant les élèves n’ayant pu atteindre le minimum requis au Primary School Achievement Certificate (PSAC), examens de fin de cycle primaire, n’a pas fait l’unanimité auprès des pédagogies. Les résultats des derniers Mock Exams dans les collèges sont venus malheureusement confirmer ces appréhensions, avec un taux d’échec de plus de 90%. Aujourd’hui, c’est l’inquiétude concernant l’avenir de ces quelque 3 000 adolescents.
Pour la première édition du Primary School Achievement Certificate (PSAC) en 2017, ils étaient 16 061 candidats enregistrés pour ces examens. Parmi eux, 12 985 ont obtenu le minimum requis. Les 3 076 autres ont été dirigés vers la filière Extended Programme, mise en place dans les collèges régionaux. Selon les plans de la réforme de l’éducation enclenchée cette année-là, les étudiants concernés allaient suivre le même programme que leurs camarades du Mainstream, avec une année supplémentaire pour se préparer au National Certificate of Education (NCE). Soit quatre ans, au lieu de trois.
Dès le départ, ce projet n’a pas fait l’unanimité parmi les pédagogues. Pour la bonne et simple raison que parmi ces enfants dirigés vers l’Extended Programme (EP), la majorité avait connu l’échec pendant six ans au primaire. De plus, ils sont sortis d’un système avec six matières – qu’ils ne parvenaient pas à maîtriser – pour se retrouver dans un nouveau avec une quinzaine de matières… À plusieurs reprises, le programme a dû être modifié, car on s’est rendu compte qu’il n’était pas adapté à ce profil d’étudiants. La Banque mondiale, qui avait mené une étude en collaboration avec le Mauritius Institute of Education (MIE), avait même dressé un constat accablant (voir encadré).
Depuis, le programme a une nouvelle fois été modifié, avec accent sur l’alphabétisation et autres concepts de base, en vue d’aider les étudiants de l’Extended Programme à s’adapter. Mais selon le constat à la veille des examens du National Certificate of Education (NCE), cela n’a pas apporté de grands changements. Un recteur d’un collège d’État témoigne : « Peut-être que l’idée de base de l’Extended Programme, soit mettre les enfants dans le même programme que leurs camarades du Mainstream, est bonne chose, dans le sens où l’on voulait éviter la stigmatisation. Mais dans le concret, cela ne marche pas, car ils n’arrivent pas à suivre. Beaucoup ont d’ailleurs décroché ou se sont tournés vers les centres de formation technique », concède-t-il.
Ce dernier dit avoir enregistré un taux d’échec au-delà des 90% dans son établissement aux Mock Exams du deuxième trimestre. On sait que ces Mock Exams sont considérés comme la grande répétition avant les examens nationaux et internationaux. Ils permettent aux candidats de se situer et aux éducateurs d’établir un plan de rattrapage. « J’ai eu l’occasion de discuter avec quelques collègues et il semble que ce taux d’échec est une tendance générale. C’est triste, mais on le savait déjà. Il faut savoir qu’est-ce qu’on va faire de ces enfants maintenant », poursuit-il.
Brian Pitchen, coordinateur national de l’Extended Programme au sein du Service diocésain de l’Éducation catholique (SeDEC), confirme lui aussi cette tendance. « Les Mock Exams sont venus confirmer ce que nous savions déjà. Ce programme n’est pas fait pour le profil d’élèves que nous avons au niveau de l’Extended Programme. Ils n’ont pas les aptitudes pour cela et nous sommes en train de les forcer. Beaucoup ont des difficultés d’apprentissage, de compréhension et d’écriture. Il y aura quelques-uns qui vont réussir les épreuves du National Certificate of Education, mais la majorité va malheureusement expérimenter l’échec une nouvelle fois », regrette-t-il.
Il indique qu’il faudra revoir toute la structure pour offrir aux adolescents concernés quelque chose qui les intéresse et qui corresponde à leurs aptitudes. « Même s’ils font 10 ans dans le système actuel, ils ne vont pas réussir, tout simplement parce que ce n’est pas adapté pour eux. Il n’y a pas eu de grands changements en dépit du fait d’avoir modifié le programme. Nous sommes toujours dans un système d’examen élaboré pour le mainstream », dénonce-t-il.
Brian Pitchen fait ressortir qu’il faut prendre en considération que les élèves au niveau de l’Extended Programme ont connu l’échec pendant six années au primaire. « Nous ne pouvons faire des miracles en quatre ans. Le système doit être revu à la base. Après six ans, c’est trop tard. Je suis très triste pour cette cohorte qui va servir de cobayes. C’est une catastrophe », dit-il encore.
Le plus important, avancent les professionnels du secteur, est de savoir ce qu’on va faire pour la suite. « Après le déluge, il faudra reconstruire. Est-ce qu’on va persister avec le NCE ou est-ce qu’on va trouver un autre système ? Il faut aussi savoir quelles avenues leur seront proposées. On a entendu parler de filière technique, mais il n’y a rien de concret à ce jour », avance Brian Pitchen,
Pour le recteur de collège d’État, il faut prendre en considération qu’un grand nombre d’étudiants de l’Extended Programme viennent de milieux difficiles. « Au-delà du simple problème académique, il y a tout un accompagnement social qui sera nécessaire. Par exemple, quand les enfants décrochent, on envoie des Social Workers voir leurs parents, mais malgré cela, les enfants ne reviennent pas à l’école », fait-il comprendre.
Selon lui, il faudra également penser à une alternative sur l’échelle de qualifications nationales pour les enfants qui ne sont pas adaptés au système d’examen. « Le PSAC représente le niveau 1 au National Qualifications Framework et le NCE le niveau 2. Où va se situer un jeune qui échoue aux deux examens ? » se demande-t-il.
Les éducateurs plaident également pour que les étudiants de l’Extended Programme ne soient pas « lâchés dans la nature » après leurs quatre années au collège, et qu’un parcours bien préparé et adapté leur soit proposé.