Me Robin Mardemootoo : « Pour le Groupe Refugiés Chagos, l’accord est historique ! »

Notre invité de cette semaine est Me Robin Mardemootoo, conseil légal du Groupe Réfugiés Chagos. Dans l’interview qui suit, il nous explique pourquoi, de son point de vue, l’accord entre la Grande-Bretagne et Maurice sur les Chagos est historique.

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l Commençons par les présentations. Qui êtes-vous Robin Mardemootoo ?

— J’exerce la profession d’avoué et suis le conseil légal du Groupe Réfugiés Chagos. C’est à ce titre, mais également en tant que Mauricien, que je me suis exprimé à la télévision la semaine dernière sur l’accord entre l’Angleterre et Maurice sur les Chagos. Hormis ma capacité légale, j’estime avoir le droit d’émettre une opinion sur le sujet.

l Quelle est votre opinion sur cet accord que certains qualifient d’historique et d’autres de trahison ?

— Chacun a droit à son avis, son opinion, mais selon ma lecture, c’est un accord historique. Mon sentiment à moi est que celui qui ne reconnaît pas l’aspect historique de cet accord n’a jamais été directement et personnellement mêlé, influencé et impacté par la question des Chagos. C’est très facile d’avoir des avis et des opinions sur tout. Or, c’est une autre chose que de suivre, de vivre un dossier de façon quotidienne. J’écoute ce que les intellectuels disent, écrivent, on m’envoie des messages sur ce sujet. Quelle d’arrogance du Mauricien qui se permet, avant même de se poser la question de son locus standi sur la question, d’émettre une opinion, alors qu’il y a d’autres qui sont plus autorisés a le faire. En tant que Mauricien, j’ai le droit d’avoir un intérêt sur la question, mais le Mauricien, qui est aussi Chagossien, a certainement plus d’intérêt et de droit que moi d’émettre son avis. On entre dans un débat concerné par le droit international qui a évolué. Auparavant, la souveraineté de l’État primait sur tout, sur les terres, mais depuis un siècle, vous avez une cohabitation entre la souveraineté absolue des États et le peuple à qui appartient ces terres

l Êtes-vous en train de dire que la question des Chagos doit être traitée d’abord et avant tout par ceux qui sont nés sur l’archipel : les Chagossiens ?

— Tout ce que je dis, c’est que le Mauricien, comme moi, aurait dû d’abord se demander ce que pensent les Chagossiens de l’accord. Ce sont eux les premiers et les principaux concernés par le sujet.

l Vous trouvez qu’on n’accorde pas suffisamment d’importance ou d’espace à la parole chagossienne ?

— Ce qui me gêne dans tout ça c’est cette arrogance de certains Mauriciens sur la question des Chagos. Ça fait trente ans que je vois cette arrogance mauricienne sur ce dossier. Cette manière de lev nene en l’air quand il s’agit des Chagossiens. C’est une arrogance que certains pourraient prendre pour de l’indifférence, pour ne pas dire du mépris. J’ai 53 ans et j’ai passé, entre le moment où j’ai commencé à pratiquer le métier d’avoué et aujourd’hui, 99% de mon temps à me dire : quel cirque, quelle ironie ce monde, ce droit international, ces crimes décidés, perpétrés et appliqués par les superpuissances et contre lequel on ne peut rien faire parce que ces superpuissances ont un droit de veto dans les instances de décisions internationales. Même en étant de nature optimiste, j’ai beaucoup de mal à vivre avec cela, surtout avec le changement de langage et d’opinion et l’hypocrisie de certains.

l Pourquoi pensez-vous que c’est un accord historique ?

— Dans le contexte du droit international, c’est extrêmement rare d’aboutir à un accord après quelques années de négociations. Quand on parle en termes d’âge des humains, on pense à des périodes de 10 ou 20 ans, ou 50 ans, du temps qui s’écoule depuis la naissance jusqu’à la mort d’un être humain. Mais ce n’est pas le cas en droit international, qui ne mesure pas le temps de la même manière.

l Les Chagossiens ont été autorisés à retourner sur quelques îles des Chagos, pas la principale, la plus importante : Diego Garcia. C’est ça l’accord historique ?

— Mais vous êtes à côté de la plaque. L’archipel est composé de beaucoup d’îles où vivaient ses habitants. J’ai parmi mes clients plusieurs natifs de Diego Garcia, qui ont toujours insisté pour y retourner. Pour les autres, il n’y a pas de problème puisqu’ils reviennent sur les îles où ils vivaient, et il y a beaucoup de Chagossiens dans ce cas de figure. Ce ne sont pas eux qui ont choisi de quitter leurs îles, on les a expulsés, ce qui fait qu’ils ont été victimes une première fois. Au départ, ils voulaient tous que l’archipel leur soit restitué dans sa totalité, y compris Diego, et qu’ils puissent y retourner, mais au fil du temps, il y a eu une évolution forcée dans leur manière de penser, parce qu’on a compris que la base américaine de Diego Garcia ne va pas fermer. En dehors de Lalit qui a toujours prôné la démilitarisation, je n’ai jamais entendu un gouvernement ou un parti politique mauricien venir réclamer la fermeture de la base en disant « We want this out ! We want the base to closed. »

l C’est vrai qu’ils se sont surtout préoccupés du montant de la location qu’on pourrait tirer de Diego !

— Sans commentaires. Face à la position des gouvernements et des partis politiques mauriciens, les Chagossiens se sont demandé ce qu’ils pourraient tirer de bien de cette situation, sachant qu’on ne pouvait pas aller demander à un juge en chambre d’ordonner la démolition de la base de Diego. Il n’y avait rien à faire sur le plan légal. On ne pouvait rien obtenir de plus compte tenu du contexte actuel et du fait que Maurice n’est qu’un État insulaire, un petit point dans l’océan Indien face à des superpuissances. C’est ça la réalité.

l Il fallait donc accepter l’existence de la base et ses conséquences ?

— Bien sûr. Je ne vais pas prétendre exprimer l’opinion de tous les natifs des Chagos et de Diego Garcia, mais le Groupe Réfugiés Chagos a toujours milité pour une cohabitation civile et militaire à Diego Garcia, sans renoncer à quelque droit que ce soit. La cohabitation entre population civile et population militaire existe partout à travers le monde. Si on demande à un natif de Diego s’il préfère vivre dans un faubourg de Port-Louis ou à Peros, il vous répondra mille fois Peros. C’est une réponse spontanée et symbolique qui a à voir avec ce qui s’est passé dans l’histoire de l’archipel et de ses habitants depuis 1968. Ce qui m’énerve chez certains Mauriciens, c’est à quel point ils peuvent être aveuglés par leurs propres intérêts. Ils font fi de tout ce qui les entoure. Je crois que même les natifs de Diego préfèrent vivre à Peros plutôt qu’à Port-Louis, ce qui ne veut pas dire qu’ils ont oublié le crime commis contre les habitants de l’archipel.

l C’est parce que le souhait de faire revenir Diego Garcia sous la souveraineté mauricienne est, pour le moment du moins, un rêve impossible que l’accord rendu public au début d’octobre est historique ?

— L’accord est historique pour plusieurs raisons. Historique pour ceux qui sont nés dans l’archipel et peuvent y retourner, ce qui était inimaginable il y a seulement quelques mois, et c’est, quelque part, l’aboutissement du combat mené depuis des années et des années. Historique aussi pour ceux qui viennent de Diego, puisqu’ils retournent sur l’archipel, ce qui est une étape, une grosse étape vers la finalité du combat. Tous ces gens qui écrivent dans les journaux et donnent leur opinion sur l’accord à la radio, où est-ce qu’ils étaient, en juillet 1982, quand le gouvernement d’alors a fait imprimer les formulaires de renonciation pour être distribués et signés par les Chagossiens ? Ces intellectuels ne se sont pas demandé le Chagossien qui ne savait ni lire ni écrire, et qui a signé le formulaire avec l’empreinte de son pouce, a compris ce qu’on lui a demandait de faire ? Tout ce qu’il a compris, c’est que lui, qui était exilé de force et n’avait plus rien, devait signer le formulaire pour avoir droit à l’enveloppe avec quelques centaines de roupies pour survivre. Cet argent provenait des 4 millions de livres que le gouvernement britannique de Margareth Tatcher avait consenti à payer au gouvernement mauricien de l’époque en guise de compensation pour l’excision des Chagos ! Et aujourd’hui, certains de ceux qui ont participé à cette opération osent faire la leçon sur l’accord ! C’est inacceptable !

l Pourquoi cet accord est-il historique pour le gouvernement mauricien ?

— C’est un accord historique pour l’île Maurice pour des raisons évidentes. On voit tout ce qui se passe actuellement dans le monde, plus particulièrement en Ukraine, en Palestine et maintenant au Liban, où le droit international n’est pas respecté, pour ne pas dire totalement ignoré. Maurice est un pays insulaire sans ressources naturelles, sans rien d’extraordinaire, avec une tendance à la paresse qui se prend, néanmoins, pour le nombril du monde. Maurice n’a jamais eu de gouvernance sérieuse et je cite en exemple la gestion — ou plutôt l’absence de gestion — de nos lagons, ce qui permet le pillage systématique de nos ressources. Dans ces circonstances, c’est un accord historique pour Maurice, puisqu’il prévoit une aide au niveau matériel technologique pour gérer notre zone exclusive, y compris une partie de l’archipel des Chagos. Il y a aussi l’engagement des Anglais et des Américains pour réhabiliter les îles de l’archipel et les rendre vivables. J’espère que le gouvernement mauricien a su négocier l’utilisation de Maurice comme centre de ravitaillement pour la base militaire, ce qui est actuellement le cas pour les Philippines, le Sri Lanka et Singapour.

l Il faut donc tirer avantage de cet accord en tenant compte de la situation géographique, politique et économique de Maurice ?

— C’est une évidence. Il y a des milliers de soldats à Diego Garcia, il suffirait que Washington dise que Maurice va devenir leur lieu de rencontre avec leurs épouses, enfants et parents qui viennent les visiter au lieu que ce soit Singapour ou les Philippines, comme c’est actuellement le cas. Il suffirait que Washington décide que l’approvisionnement de la base pour apporter un sérieux plus à l’économie de Maurice.

l En ce faisant, et si ce projet aboutit, ne serions-nous pas en train de créer une nouvelle dépendance des États-Unis ?

— Nous sommes en train de parler d’économie. Sans ressources naturelles, Maurice a su créer l’agriculture, le tourisme, la zone franche, l’offshore et en ce moment le digital sector. Actuellement, on est en train de dépenser l’argent du contribuable dans des roadshows pour attirer des investisseurs étrangers à Maurice. Nous dépensons des millions de roupies en termes de publicité pour promouvoir le tourisme mauricien. Avec les parents des soldats postés à Diego Garcia, il existe un marché touristique et alimentaire potentiel qui ne demande qu’à être développé. Il est possible de créer un autre secteur, de trouver des moyens de développer le projet que je viens d’avancer pour faire évoluer nos industries, élargir nos horizons et participer au développement économique du pays.

l Même si le prix à payer pour ce développement économique est de mettre Maurice sous la coupe américaine, le Big Brother ?

— Le monde est devenu un village global, dont Maurice, petit pays insulaire sans ressources naturelles, doit utiliser toutes les possibilités pour développer son économie. Il doit utiliser pleinement son potentiel économique et politique. Je ne dis pas que je suis pour le système de Big Brother, mais je reconnais qu’il existe et que dans la cour de récréation qu’est devenu le monde, Maurice a intérêt à avoir un grand frère pour le protéger. Qui, avec cette protection, osera mettre Maurice sur une grey ou une black list ? Nous n’entrons pas sous l’ombrelle américaine comme vous venez de le dire, et je n’ai pas plus de sympathie pour un bloc que pour un autre, mais je suis réaliste et nous devons l’être dans le monde d’aujourd’hui. Ce qui me plaît dans cet accord, c’est que mon pays retrouve la plénitude de son potentiel pour vivre et pour permettre à mes concitoyens chagossiens de retourner chez eux.

l La location de Diego Garcia aux Américains à travers les Britanniques a suscité pas mal de réactions à Maurice et ailleurs…

— C’est une des conditions de l’accord. On a tendance à se focaliser sur la location de Diego Garcia, dont on ne connaît pas le montant, en oubliant quelle tragédie humaine a été l’expulsion des Chagossiens de leurs îles. Il faut rappeler ce dont on ne veut pas se souvenir : qu’il y a eu des responsables à Maurice qui ont décidé de ne plus envoyer de sucre, de lait en poudre, d’huile, des médicaments de ce qui est considéré comme étant nécessaires pour la survie pour obliger les Chagossiens à quitter leurs îles. Sait-on, a-t-on voulu savoir dans quelles conditions les Chagossiens ont été entassés sur le bateau qui ramassait le guano dans les îles et ont fait la traversée jusqu’à Maurice comme des animaux, alors que ceux des administrateurs étaient mieux traités qu’eux ? Comment veut-on que les Chagossiens et leurs descendants oublient cela ? Aujourd’hui, tout le monde est en faveur des Chagossiens, mais qui s’est occupé d’eux, leur a donné protection quand ils ont été chassés, déportés, mal accueillis, mis de côté, ignorés, méprisés lors de leur arrivée à Maurice et pendant des années encore ? Comment peuvent-ils oublier que quand ils sont allés en cour pour défendre leurs droits, ils ont été critiqués, accusés d’antipatriotisme, de nuire aux intérêts de Maurice, un pays qui, pendant très longtemps, ne les a pas considérés comme faisant partie de ses habitants ? Un pays dont pendant très longtemps — et même après l’indépendance — le système d’éducation enseignait l’histoire d’Angleterre, mais pas celle de Maurice, encore moins celle de Diego et des habitants déportés. Il leur a fallu insister, se battre contre tout et tous pour se faire entendre, pour faire découvrir leur histoire, ce qu’ils ont dû subir.

l Vous avez participé à une émission de la MBC sur l’accord et qui affichait le slogan suivant : Enn nouvo lindependans pou Moris. Ce slogan n’était-il pas un peu exagéré ?

— J’ai participé à une émission de la MBC sur l’accord en tant que représentant légal du Groupe Réfugiés Chagos. Je n’ai pas fait attention au slogan que vous mentionnez.

l Si on a bien compris, le bail de 99 ans renouvelable à Diego Garcia, accordé par le gouvernement mauricien au gouvernement britannique dans le cadre de l’accord pour le maintien de la base militaire américaine, ne vous choque pas ?

— Je ne suis pas au courant de toutes les conditions de l’accord, ce qui relève des deux gouvernements qui l’ont conclu. Je n’ai pas été mêlé aux discussions entre propriétaire et locataire. C’est facile pour nous qui sommes en dehors de critiquer.

l Cet accord a suscité une série d’interpellations au Parlement britannique, et le ministre des Affaires étrangères a fini par dire qu’il était question d’un prétraité…

— Avant le Joint Statement, on était dans un espace juridique où il y avait le droit international et des interprétations opposées de ce droit par l’Angleterre et Maurice. L’interprétation de Maurice a été soutenue par la Cour internationale de La Haye, puis par les Nations-Unies. Le Joint Statement règle le contentieux, puisque l’Angleterre reconnaît l’interprétation de Maurice du droit international sur la question des Chagos. C’est une interprétation que l’Angleterre refusait d’admettre depuis que la question a été portée devant les instances internationales. Je vous le redis : de ce point de vue, c’est un accord historique. Bien sûr, il faudra, pour respecter les procédures, que le traité soit débattu et approuvé par le Parlement britannique, mais le contenu du Joint Statement a ses propres conséquences légales.

l Au Parlement britannique, le ministre des Affaires étrangères a déclaré lors des interpellations de cette semaine que le traité, qui est « neither signed nor ratified », sera présenté en janvier prochain pour ratification. Que se passerait-il si le Parlement anglais ne ratifie pas le traité, qui devrait être aussi approuvé par le Parlement mauricien ?

— N’importe quel traité doit être ratifié par le Parlement. Je profite de l’occasion pour dire que Maurice fait partie des champions des traités internationaux ratifiés, mais qui ne sont pas appliqués. Mais le Joint Statement a en lui-même une valeur en droit international, ce qui fait qu’il est historique. Dans un domaine où les avancées se comptent en dizaines d’années, si ce n’est plus, pas en un ou deux ans. Il s’agit d’un Joint Statement de deux États souverains par des gouvernements élus démocratiquement sur une situation donnée. Je ne sais pas ce qui va se passer demain au Parlement anglais ou au Parlement mauricien. Ce que je sais, c’est qu’un accord historique a été signé qui reconnaît aux Chagossiens leurs droits sur les îles natales.

l Dimanche dernier dans Week-End, Jean-Claude de L’Estrac a qualifié le bail de location de 99 ans renouvelable comme étant la deuxième vente de Diego Garcia. Votre commentaire ?

— Je crois qu’il faudrait, en fait, parler de trois locations-vente de Diego Garcia. La première a eu lieu au moment de l’indépendance, et on vient de parler longuement de la troisième. Mais on oublie volontiers la deuxième location-vente qui eut lieu en juillet 1982, quand le gouvernement mauricien fit imprimer et signer le formulaire de renonciation aux Chagossiens. Est-ce que celui qui parle aujourd’hui de deuxième vente de Diego Garcia n’était pas ministre du gouvernement qui a fait signer le formulaire de renonciation en 1982 ?

l Terminons par une question personnelle. Comment êtes-vous devenu conseiller légal du Groupe Réfugies Chagos et fervent défenseur de la cause chagossienne ?

— C’est grâce à votre collègue Henri Marimootoo, qui a été pour moi une source d’éducation extraordinaire sur les Chagos et les Chagossiens. C’est lui qui m’a envoyé Olivier Bancoult par la suite. Par ailleurs, mon père, constatant mon intérêt pour ce sujet, m’a référé à un de ses amis, Me Raymond d’Unienville, avocat et historien, qui m’a accompagné dans ma tentative de compréhension de ce dossier, et j’ai continué.

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