Dev Sunassy : « Prezidan pa’nn mem ekout so bann konpatriot avan »
C’était peine perdue. Rien ne laissait poindre la perspective d’un changement de cap de Pravind Jugnauth en faveur du retrait ou d’un assouplissement de l’Independent Broadcasting Authority (IBA) (Amendment) Bill. Malgré le branle-bas de combat des radios privées indépendantes, de l’opposition parlementaire et de la Plateforme pour la Liberté d’Expression (PLE), le projet de loi a été voté sans amendement à l’Assemblée nationale, mardi. L’IBA Act, défendu bec et ongles par les ténors du MSM mais décrié par les internautes qui, faute de ne pouvoir se mobiliser en grand nombre dans la rue, ont fustigé le gouvernement pour son entêtement à promulguer une loi liberticide alors même que le pays traverse actuellement une crise sanitaire et financière sans précédent. Le président de la République, Pradeep Roopun, en a aussi pris pour son grade pour avoir donné son assentiment aux amendements. Les membres de la PLE ont manifesté devant la State House, hier, pour réclamer la démission du principal concerné.
Rarement, peut-être, depuis 1984 et les dispositions scélérates du Newspaper & Periodicals (Amendment) Act, visant à museler la presse écrite, a-t-on évoqué avec autant d’accent la question essentielle des libertés des médias. Ils étaient nombreux au sein de la société civile, de l’opposition et même du côté de Reporters sans frontières (RSF) à jouer leur va-tout dans une tentative désespérée de convaincre le gouvernement de faire marche arrière dans l’adoption de l’IBA (Amendment) Bill. Il n’en a rien été. La pilule est d’autant plus indigeste pour les trois radios privées que trois de leurs anciens journalistes, Gilbert Bablee, Sandra Mayotte et Subashnee Lutchmun Roy ont donné leur approbation au projet de loi. Avec ses faux airs de pistolero mexicain, le premier nommé avait eu pour mission, à l’antenne, durant plusieurs années, de défendre le droit à la liberté de parole.
« Diktater »
Après la manifestation qui s’est déroulée, mardi, dans un climat de grande tension devant l’Assemblée nationale (voir plus loin), la PLE a récidivé hier, à la mi-journée, devant la State House en reprenant des slogans hostiles à l’égard du président de la République, Pradeep Roopun, actuellement en butte à une vague de contestation faisant suite à sa décision d’approuver ledits amendements du projet controversé. Avec Rama Valayden, Bruneau Laurette, Raouf Khodabaccus, Dev Sunassy et Jean-Claude Barbier en première ligne, les manifestants se sont succédé par groupe de dix devant la résidence du Président, où un important dispositif des forces de l’ordre a été mobilisé. Un mot est revenu en boucle durant la manif : « Diktater. »
« Rubber stamp
President »
Avec le franc-parler qui le caractérise, Narendranath Gopee, président de la Federation of Civil Service and other Unions, n’est pas allé avec le dos de la cuillère pour critiquer la décision de Pradeep Roopun. « Nous continuons à avaler, presque sans broncher, les couleuvres politiques que nous servent au quotidien ces princes qui nous gouvernent et ces institutions dites républicaines qui regorgent de nominés politiques qui s’apparent plus à des cireurs de pompes comme Pradeep Roopun ! » Dev Sunassy, qui a qualifié ce dernier de « rubber stamp President », regrette qu’ « en tant que garant de la Constitution, il n’a pas daigné au minimum écouter la colère des Mauriciens qui se sont exprimés en masse contre cette loi liberticide. »
Le rassemblement, qui s’est terminé au bout de 30 minutes, s’est déroulé sans anicroche et dans le respect de la Public Gathering Act et des gestes barrières. Hormis peut-être la prise de bec entre des policiers et le syndicaliste Narendranath Gopee à qui ils reprochaient d’avoir bloqué la circulation. Le chef de file de la PLE, Rama Valayden, a lancé un appel à la population pour ne pas s’endormir sur ses lauriers, car « nou konba pe kontinie e nou pou revinn ver zot demin pou dir zot ki bizin fer. C’est un combat des justes. »
Chronologie de la Résistance
La tension était palpable, mardi, devant l’Assemblée nationale à quelques heures du vote sur l’IBA Act. La pluie fine n’a pas refroidi les ardeurs des manifestants qui protestaient contre le projet de loi à l’appel de la PLE. Contrairement à ce qu’a affirmé Rama Valayden, la police a estimé que la Public Gathering Act n’a pas été respectée ce jour-là. Du coup, une enquête a été initiée le lendemain pour le délit d’unlawful assembly qui a débouché sur l’interpellation de Rama Valayden et Raouf Khodabacus. Retour sur les faits saillants de cette semaine.
Mardi 30 novembre
Devant l’Assemblée nationale
Des manifestants de tous bords se sont donné rendez-vous devant l’Assemblée nationale. La police avait déployé les grands moyens, avec notamment de nombreux policiers affectés à la rue Intendance sise entre le Parlement et le PMO. Des fourgonnettes de la SSU avaient pris place devant la grille principale de l’Hôtel du Gouvernement. Quelles sont les raisons d’un tel déploiement ? La police estime qu’une telle manif n’était pas autorisée en ce jour de séance parlementaire. Qu’importe, les manifestants, munis de pancartes, se sont rassemblés en grand nombre pour faire entendre leur voix. Compte tenu de la pluie qui arrose la capitale, ils tentent tant bien que mal de conserver la distanciation sociale et le nombre requis de 10 personnes alignés en vertu de la Public Gathering Act. Vers 16h55, les députés de l’opposition rejoignent les manifestants. Certains d’entre eux s’adressent à la presse avant de regagner le Parlement.
Mercredi 1 décembre
Valayden et Bibi ciblés, mais pas l’opposition
Une enquête est initiée au pénal pour le délit de unlawful assembly. La police cible plus particulièrement Me Rama Valayden et l’activiste social Ivan Bibi qui, selon elle, n’auraient pas obtempéré à certaines instructions. L’enquête policière ne se rapporte pas néanmoins aux membres de l’opposition qui n’ont pas pris part à la manif, selon eux.
Jeudi 2 décembre
« Pa kone si inn aret nou »
L’avocat Rama Valayden est interpellé dans le cadre de l’enquête initiée sur le rassemblement organisé mardi, alors que le Parlement siégeait. Me Rouben Mooroongapillay s’est rendu au CCID pour le représenter. Raouf Khodabaccus est aussi interpellé. Les deux manifestants avancent que le CCID ne leur a pas dit de manière claire s’ils sont en état d’arrestation.
Vendredi 3 décembre
« Le DPP tranchera ! »
La police s’en remet au bureau du DPP pour décider de la marche à suivre dans le cas de Rama Valayden et Raouf Khodabaccus. Si à jeudi elle ne s’était pas exprimée clairement pour dire si le duo était en état d’arrestation, elle avait néanmoins évoqué des termes comme « charge provisoire. » Ainsi, les deux manifestants sont repartis libres des Casernes centrales.