L’intimidation scolaire, une souffrance invisible 

  Marie Quartier : « Ce ne sont pas les enfants des autres, mais nos enfants ».

Ce problème ne date pas d’hier et avec les réseaux sociaux, les choses s’enveniment. Il y a quelques mois, des milliers d’étudiants mauriciens ont repris le chemin de l’école. Dans la joie pour beaucoup, dans la peur pour d’autres. Les cas d’intimidations scolaires et d’agressions, qui plus est filmés (voir encadré), ne décroissent pas et les parents et le personnel enseignant tirent la sonnette d’alarme. Ainsi, dans le cadre du projet Service d’Écoute en milieu scolaire, la compagnie Action for Integral Human Development (AIHD) du Diocèse de Port-Louis, a sollicité les services du Centre de Ressources et d’Études Systémiques contre les Intimidations Scolaires (ReSIS), engagé dans cette lutte. La première session de formation en ligne sur cette thématique a eu lieu en janvier avec la Française Marie Quartier, cofondatrice et directrice des pôles formation et consultation du centre, qui nous explique comment faire pour gérer ces situations parfois très difficiles.

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Chaque mot est important, surtout lorsqu’il s’agit de phénomènes touchant directement à la vie d’autrui. C’est pour cette raison que Marie Quartier et ReSIS préfèrent l’utilisation des termes « intimidation scolaire » au lieu de « harcèlement scolaire »« Nous penchons pour le mot “intimidation”, car il permet de recouvrir les parties fines de ce problème », explique Marie Quartier, que nous avons interviewée sur Zoom, durant la semaine. Elle explique ainsi que suivant la Méthode de la Préoccupation Partagée (MPP) inspirée de la méthode du psychologue de l’éducation Anatol Pikas, l’on parvient à mieux cerner ce phénomène qui sévit dans les cours de récréation du monde entier. À Maurice, en distanciel, la première session de formation en ligne sur l’intimidation scolaire a eu lieu le 24 janvier avec Marie Quartier et la deuxième le 7 mars avec Jean-Pierre Bellon, directeur du centre ReSIS, suivie par l’équipe des responsables de projet, l’équipe thérapeutique ainsi qu’une centaine de membres du personnel enseignant.

« L’on parle, ailleurs dans le monde, de bullying ou encore de mobbing, qui met l’accent sur le fait que l’élève dès son entrée à l’école se retrouve en groupe. » Un “mob”, soit un groupe d’élèves qui existent ainsi comme un petit monde, et où finalement l’enfant se retrouve dans une « sorte de cercle vicieux ». Marie Quartier et ReSIS insistent sur cet aspect-là et questionnent le terme « harcèlement » qui renvoie bien souvent à un monde d’adultes. « Quand on entend “harcèlement”, on a cette image de quelqu’un qui a une intention de nuire. Et il y a aussi cette disproportion des forces entre le harceleur et le harcelé », explique-t-elle. Elle soutient qu’habituellement, ces perceptions-là sont liées à des profils types, alors qu’à l’école, dans la cour de récréation, ce ne sont pas les enfants des autres, mais “nos enfants”.

Pour elle, ce “piège des profils” est à éviter lorsque l’on essaie de gérer une situation d’intimidation scolaire. “C’est la dynamique du groupe qui fait que l’enfant se retrouve dans une place ou l’autre, car l’intimidateur peut devenir l’intimidé.” L’enfant qui intimide l’autre ou qui lui-même se fait intimider est en fait “pris au piège” dans un “effet de groupe” et qui agit par peur d’être exclu. S’agissant des réseaux sociaux, elle souligne les dangers de cette plateforme qui, finalement, est devenue “le pire des groupes et qui n’a plus de contours. C’est pour cela que, souvent, les adolescents livrés à la pression du groupe se voient obligés d’être sur les réseaux”, dit-elle.

« Un retour de l’adulte »

Elle explique par ailleurs que la place de l’adulte est fondamentale. “L’erreur c’est de considérer qu’il existe un monde des enfants qui devrait pouvoir s’autoréguler.” C’est d’ailleurs pour cela que son équipe et elle prônent “un retour de l’adulte”. Elle explique aussi que parmi les tout-petits, le sens de la morale n’est pas suffisamment développé et qu’il incombe aux adultes de les écouter et de les guider sans pour autant être moralisateurs. Avec cette nouvelle méthode de la préoccupation partagée (MPP) inspirée de la méthode Pikas, il y a donc des entretiens individuels. “Il s’agit d’une méthode éducative qui consiste à partager avec l’élève intimidateur une préoccupation pour son camarade qui ne va pas bien, et à l’amener à cesser les brimades pour faire quelque chose de positif envers lui”, avec en parallèle un accompagnement de l’élève intimidé. Marie Quartier demande que les institutions prennent ces cas plus au sérieux, et que des entretiens non-blâmants soient conduits.

Soulignant les manquements dans le système français, qui a trop longtemps mis ce problème de côté, elle observe qu’à Maurice, le constat est le même. “Après avoir écouté les enseignants et autres, j’ai senti qu’il y avait pas mal de similitudes entre contextes français et mauricien. J’ai senti que les personnels ont besoin d’outils.” Et elle ajoute qu’il “faut créer cette relation entre l’enfant et l’école, et le personnel enseignant et non-enseignant. Par exemple, dans les écoles scandinaves, les proviseurs et enseignants mangent à table avec les écoliers. Il faut apprendre à réinventer ces liens au sein même de l’institution”, dit-elle.

Avec la MPP, Marie Quartier souligne qu’il y a eu de “bons résultats”, et cela, “sans menaces ni sanctions.” Pour ce qui est du phénomène de “classes difficiles”, elle explique que l’effet de groupe est encore plus présent et se “coalise”, et qu’il doit à ce moment-là avoir un protocole clair qui soit mis en place. “Dans le cas d’élèves qui participent moins bien aux sessions, il faudra creuser et chercher ce qui ne va pas. D’ailleurs, toute méthode éducative procède par méthode répétitive. On explore et on découvre.” Il faut savoir que suite à ces journées de formation, l’objectif est de mettre en place des équipes ressources au sein des collèges pour gérer les situations d’intimidation scolaire. Cette structure propose aux institutions scolaires un dispositif complet de lutte contre les souffrances scolaires : intimidation (harcèlement scolaire, cyberharcèlement), humiliation, chahut, sexting. Il permet, grâce à la constitution dans l’établissement d’une équipe ressource, de traiter efficacement les situations par une prise en charge globale de tous les protagonistes.

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