Les SDF et leur quotidien : Ensemble dans la galère, seul dans la détresse

Contrairement à la rue où les SDF sont livrés à leur sort, Caritas Île Maurice à travers ses deux abris de nuit, à Saint-Jean et Port-Louis (St-Antoine), leur permet d’avoir un vrai rempart contre le froid et la faim qui les tenaille. Dans ces deux abris, les résidents sont des pensionnés, travaillent et perçoivent des salaires dépendant de l’emploi.

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Certains ont des comptes bancaires, un compte Pel qui leur permettra d’accéder à un toit après deux ans. À les voir, ils n’ont rien d’un SDF. Bien rasés, les cheveux coiffés et l’habit propre, on les prendrait en chemin pour des êtres sans aucun problème apparent. Pourtant, la réalité de la misère est bien ancrée dans leur regard. Ils ont des interrogations sur la vie, et surtout cette solitude qui les saisit à la gorge.

Ensemble avec les autres dans la galère dans un abri de nuit, le SDF reste au fond de lui seul dans la détresse. La drogue, l’alcool, l’indifférence de la famille l’ont plongé au fond de l’abîme… avec l’espoir de s’en sortir et d’accéder à un abri de fortune, un toit. Certes, à l’abri de nuit, ils ont eu des repères, des règles strictes, une sorte d’assistanat qui leur a permis de se prendre en main. Se relever pour avancer, mais à quel prix ?

Fred, 41 ans : « L’abri de nuit regarde l’humain avant le statut social »

Célibataire, Fred – c’est ainsi qu’il veut qu’on le nomme – a trouvé refuge à l’abri de nuit de Port-Louis. « Mo tonton inn instal mwa. » Il se remémore ses 25 ans, encore chômeur, faisant du sport, dans une des pièces de la maison de son oncle. Il était seul, quand des policiers ont frappé à sa porte. « Enn matant ki dir mwa, to bizin sorti dan lacaz la ale. » Il n’a rien compris Fred, encore abasourdi, jeté à la rue, il se voit embarqué par les policiers.
En premier lieu, c’est sa mère qui l’a renié avant qu’il ne trouve refuge chez son oncle. Rebelote, il se voit contraint de s’habituer à la rue, errant à Quatre-Bornes à Port-Louis, au Champ-de-Mars, il connaît pendant quatre jours, la disette, sans eau, ni nourriture, il se trouve affaibli. Un bon samaritain lui offre un take-away de nouilles avec des morceaux de poulet et l’aide à décrocher un emploi de colporteur.

Au fil des années, Fred s’est constitué une bonne somme qu’il a enfouie dans les poches de son pantalon. Manque de pot, une nuit, quelqu’un lui déchire les poches à l’aide d’un cutter, il perd une partie de son argent. Personne n’a cru que c’était le fruit de son travail. Errant encore dans les rues, au théâtre de Port-Louis, il trouve un abri pour la nuit. « On m’a suggéré d’ouvrir un compte, cela m’aurait permis de ne pas perdre d’argent. C’est fait aujourd’hui. Je viens même d’ouvrir un compte Pel, mais on me dit il faut attendre deux ans pour un logement. Je peux payer, si quelqu’un peut m’aider dans mes démarches. »
Fred n’aime pas revenir en arrière sur son passé, trouvant que le SDF n’a pas le droit de se souvenir des choses atroces. « Bizin get divan, aret guet dan retrovizer.» À l’abri de Port-Louis, il reconnaît que les règles lui ont permis de gérer sa vie. « Il y a une heure pour rentrer à l’abri. Si on bosse tard, il faut prévenir, autrement, on est banni. Il faut toujours être propre et surtout être le libre arbitre de son choix. Si on veut rester à l’abri, il faut stopper la drogue ou l’alcool. L’abri est un moyen de nous adapter, une sorte de refuge contre la souffrance humaine. Ici, on ne regarde pas le statut social, on regarde l’humain. »

Jacques, pensionné : « On reçoit un accueil sans jugement »

Il a de l’allure, Jacques, malgré ses cheveux et sa barbe grisonnante. Père de quatre enfants et grand-père, il clame : « Fami ne pli bizin mwa, mo SDF. » Un ami a vu sa situation et l’a conduit à l’abri de nuit de Saint-Jean. Avant, il prenait son bain dans la rivière. Il avoue s’être drogué, d’où le rejet familial. Il survit grâce à sa pension.

À son âge, il n’a pas retrouvé de l’emploi, pourtant il reconnaît que les personnes qui l’approchent ont du mal à voir en lui des traits d’un SDF. « Mo prop sak fwa. » Sur la question de l’hygiène, il est exigeant et respecte à cet égard les consignes de tout abri de nuit.

Jacques trouve que le visage du SDF d’aujourd’hui a changé. « Nou bizin soutien moral. Si mo aksepte koze, devwal mo lidentite, se pou mo gagn enn edd moral. Mo kapav pay dan mo ti pansion pou gagn enn abri. Sekour la kot pou vini ? »
À l’abri de nuit de Saint-Jean, il peut prendre une douche, avoir le petit-déjeuner avant de partir en balade le matin et de rentrer avant le couvre-feu imposé, ensuite dîner. Car avec son problème à l’épaule, Jacques ne peut travailler et dépend de sa pension. Il reconnaît au passage : « Ici, on reçoit un accueil sans jugement et on repart de là quand on se sent l’âme prête à redémarrer. »

Yousouf, 66 ans : « Abri permet mwa gard enn aspe imin »

Marié et père de trois enfants, Yousouf a subi la perte de sa première femme. Depuis, il virevolte entre les copines. L’une d’elles avait un penchant pour la boisson et il a préféré la quitter. Et, avec sa nouvelle copine, il est en réflexion. « Se pa fasil kan mo realiz mo ena enn gran lakaz eki mo finn bizin retrouv mwa lor lari. Mo bann kopinn pa mem relizion, difisil fami aksepte. » Il évoque aussi ce dur passage avec le ventre vide avant qu’il ne découvre l’abri de nuit. « Trwa fwa monn kit abri, monn revini. Mo bizin bien kalkile avan al aste. »

L’hiver l’a fait reculer. Ici, il se sent au chaud avec ses draps propres, son molleton et même le chauffage à l’eau chaude. « Abri permet mwa gard enn aspe imin… se pa fasil gard enn dignite dan lari. » Yousouf évoque la possibilité de construire sur le terrain de sa fille. Cette dernière devrait lui donner son consentement par écrit. Et, lui, devrait honorer ses dettes. Ce qui lui permettrait d’avoir un toit et de couler des jours paisibles.

Yasser (prénom fictif), 34 ans : « Difisil pou abit sel »

Yasser ne veut pas trop se livrer, sauf qu’il a connu un passage à vide avec la boisson. Ce père de famille relate ce grave incident de parcours : « Kiken inn trik enn mamb fami, linn bwar, linn sign san konpran, finn perdi lacaz. » Yasser trouve refuge dans une voiture abandonnée à la casse, mais avec l’eau qui entre par les fissures, il décide de quitter la rue.

Malgré un emploi fixe dans une compagnie, il a dû mal à se réhabiliter. Il assure pouvoir se payer un logement, mais refuse d’adhérer à cette idée de solitude. En effet, il est difficile pour lui d’habiter seul, il a besoin d’avoir des gens autour de lui, comme un rempart contre sa solitude. Il n’envisage pas l’option de dormir à la belle étoile, de peur de sombrer à nouveau dans la délinquance.

Mahadev, 59 ans : « Donner, pour recevoir »

Il attend avec impatience de célébrer ses 60 ans, l’an prochain. Mahadev est heureux dans les cuisines de l’abri de nuit de Saint-Jean. Lui, l’ancien marchand de roti, est devenu SDF. Pourtant, il se fait une joie de mitonner des recettes. Ce soir, une bonne rougaille de Glenryck et de lentilles rouges, accompagnée de riz blanc, attend les SDF de l’abri de nuit de Saint-Jean.
Mahadev ne voit pas plus loin pour l’avenir. Il est payé pour entretenir le centre et n’hésite pas à prendre dans son salaire pour donner à manger à un de ses proches en difficulté. «Donner pour recevoir » telle est sa philosophie de vie. Aujourd’hui, le miroir lui renvoie l’image d’un homme seul, mais capable de faire du bien autour de lui. Alors qu’il prépare le repas, on voit un large sourire se dessiner sur son visage. Heureux, il l’est, épargné de vivre dans la rue, en faisant de ses bonnes actions un gage pour un avenir meilleur.

Drew (prénom fictif) : « Li pa vinn lor destin, se la malsans plito »

Il travaille comme maçon mais éprouve des difficultés à joindre les deux bouts : « Manz gramatin, vant vid aswar. Dan abri gagn enn repa, ek ene lili, deor freser donn bal. » Pourtant, il a exercé comme chauffeur en Afrique, le salaire était conséquent, mais ce qu’il garde en mémoire : « Bann kout bal ki rezone. Si bien finn ranvoy mwa Moris. »

Sur son sol natal, Drew est devenu SDF. Sa femme étant décédée, on peut déceler encore sur son visage de la tristesse. « Sur la rue, il y a la violence, le froid, l’indifférence, les mauvaises fréquentations, la drogue, l’alcool. Nou pa kapav gat prestiz abri, isi nou parey kouma dan enn lacaz. Il y a le respect des uns et des autres. »

Entouré de 25 autres résidents à l’abri de nuit de Port-Louis, Drew fait face à la réalité de la vie. « Li pa vinn lor destin. C’est de la malchance plutôt. Avek metie mason mo fer, mo bizin calm, gard mo konsantrasion. Mo deza enn proprieter lakaz me avek difikilte me mo pa finn kapav tini les renn. Lespwar li ankor la, bizin kapav reusi. »

Nicolas : « La solitude est la plus grande détresse »

Il est en charge des repas à l’abri de nuit de Port-Louis Nicolas, célibataire, avoue que la solitude l’a conduit à devenir SDF. Il est cuisinier de son état. Le matin, il part préparer les repas à l’hospice de Saint-Jean et le soir, il s’attelle à en faire de même à l’abri de nuit de Port-Louis.
« Un problème familial m’a emmené ici, mais pas pour longtemps. La solitude est la plus grande détresse. Je me suis retrouvé seul même quand j’étais avec mes proches. C’est difficile de remonter la pente, seul, mais avec les autres SDF, j’ai grandi. J’attends d’avoir une maison au plus vite à la NHDC. Aster mo ne pli per. Si j’arrive à obtenir la clé de ma nouvelle maison, cela sera ma plus belle réussite. »


Noël Ortello de l’Abri de nuit de Port-Louis :

« On accompagne les SDF dans leur réinsertion sociale »
Avec le Covid et avant la levée des restrictions, pour intégrer l’abri de nuit, il fallait les trois doses de vaccins, la carte d’identité et un proche qui soutient les SDF dans leurs démarches. « Le règlement est clair, il ne faut pas être sous l’influence de la drogue ou de l’alcool. Le couvre-feu est à 19h. Il y a des résidents SDF qui sont parfois toujours au boulot, ils nous appellent pour nous informer de leur retard », a déclaré Noël Ortello de l’Abri de nuit de Port-Louis.
Selon ce dernier, autrefois, il y avait des bagarres entre résidents. Mais avec le groupe en place, chaque SDF a compris qu’il est ici pour s’abriter contre le froid et qu’il a droit à un repas chaud. « C’est le contact humain qui est privilégié. J’ai moi-même bénéficié de l’enseignement du père Souchon qui avait mis en place le groupe Tonnelle pour les Mam San Baz. L’abri sert de relais en étant aussi un service d’aide et d’accompagnement pour les aider dans leur réinsertion sociale. »

Lynley Lachicorée de l’abri de nuit de Saint-Jean : « On essaie aussi de les réconcilier avec leur famille »

Cela prend du temps d’accompagner les résidents et leur permettre de rebondir, dira Lynley Lachicorée de l’abri de nuit de Saint-Jean. Il y a 34 résidents sur place. La majorité d’entre eux ont un travail comme gardien. « Beaucoup de SDF qui veulent avoir un toit ont cette contrainte d’argent pour payer trois mois en avance pour une maison. Car souvent ces SDF ont des jobs de quatre jours à Paris. »
Autre constat de Lynley Lachicorée, beaucoup ne veulent pas vivre seuls, par peur de rechute, et encore moins se retrouver à la rue dans le froid. Car, à l’abri, tout est gratuit. Les SDF qui viennent ont chacun une source de revenu.

« Caritas a aussi un projet. Si quelqu’un a un lopin de terre et veut se réconcilier avec le résident qui est de sa famille, on peut entamer des discussions pour trouver une entente et les réconcilier. Caritas propose un accompagnement adapté avec un programme psychosocial pour permettre cette réinsertion dans la société et la réintégration dans la famille. Récemment, cela a été le cas pour un des SDF et on appelle cela une vraie “success story” », devait ajouter Lynley Lachicorée.

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