Le Port-Louis (île Maurice) d’hier et d’aujourd’hui (xxxxv) : La Tour Koesell: grandeur et décadence

Dans le temps Port-Louis a connu l’existence de deux tours qui ne s’y trouvent plus (il en existe encore une, la Tour Koenig du côté de Grande Rivière). L’une des tours était la tour Koessel, l’autre étant la Tour Sumeire. La Tour Koessel se trouvait dans la cour de la brigade des pompes à incendie. Qui a fait construire cette tour et pour quelle raison? «Mais qu’était cette Tour Koessel qui – toutes proportions gardées – était une des curiosités de Port-Louis, un peu comme la Tour Eiffel l’est à Paris? La Tour Koesell portait le nom de celui qui l’a fait construire. Le chef officier Koesell, chef officier de 1897 à 1916, construisit cette tour en fer (fer à angle, rail de tramway, etc.) – Gustave Eiffel avait fait école – pour servir de “hose hoist”. C’était une tour carrée, haute de 50 pieds, surmontée d’une plateforme à laquelle on mettait à sécher les boyaux des lances à incendie.»(1)

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Mieux encore, la Tour Koessel était utile à bien d’autres égards. «Comme vers la même époque on eut l’électricité, le téléphone et les ‘street fire alarms’, la tour servait aussi de pylône principal pour ces différents fils. A noter que le tableau de contrôle du téléphone et des ‘street fire alarms’ de l’époque, une magnifique pièce de ménuiserie, agrémentée de cuivre, se trouve encore dans le ‘watch room’ des pompiers.»(Idem) En bref, la tour était utilisé pour le séchage des boyaux des lances à incendie et comme pylône pour les fils utilisés pour la transmission pour l’électricité, le téléphone et les ‘street fire alarms’. Elle ne servait pas donc de tour pour observer d’éventuels incendies dans la ville. Alors, comment s’y prenait-on pour identifier un foyer d’incendie et le signaler à la brigade des pompiers ? Il y avait à cet effet un accord entre la brigade des pompiers et le ‘War Department’. Explications: «Quand la station des pompes municipales fut créée en 1851, il y eut un arrangement entre M. Frost, le chef officier, et les militaires du Fort Adélaïde (ou Citadelle). Ces militaires signalaient tout incendie par un coup de canon.»(Idem) La situation a évolué quand la municipalité elle-même plaça «un service de guet» sur la Citadelle. «Le jour, c’était les pompiers et le soir des”watchmen” de la municipalité. Les guetteurs, de jour comme de nuit, faisaient un rapport par téléphone au pompier de service à la station municipale toutes les 15 minutes.»(Idem)

Un litige municipalité/’War Department’ ébranle la tour

En 1936, l’accord permettant à la municipalité d’utiliser la Citadelle comme poste de vigie gratuitement est mis en cause par le ‘War Department’, comme le rapporte un journal de l’époque: «On nous dit que si on a décidé de hausser la Tour Koessel qui se trouve dans la station des pompes et servant d’observatoire à la vigie, préposée à surveiller les incendies à Port-Louis, c’est parce que le département de la guerre refuse de permettre à la vigie municipale de se servir de la citadelle à moins que la municipalité ne paye Rs 50 par an et une certaine redevance pour l’eau que consomme cette vigie. Le maire aurait refusé cela en disant que depuis 50 ans les pompiers se servent de la citadelle sans rien payer au gouvernement militaire.»(2)

Face à ce véto du ‘War Department’, «la municipalité décida de hausser la tour Koessel pour y faire son propre observatoire.»(1) Le chef officier de la brigade des pompiers, M. Noé Menty, a pris les devants et a confié le travail à ses pompiers. Un travail de casse-cou! «Sans échaffaudage, barre par barre, boulon par boulon, la tour fut haussée de 30 pieds avec une petite cabine au bout, laquelle cabine, construite aussi par les pompiers, fut hissée par des palans et placée et boulonnée au haut de la tour. Des tendeurs assurèrent le bon équilibre de toute la structure.»(Idem) La tour rehaussée a été inaugurée le 30 juillet 1937.

Vers la démolition de la tour suite à la hargne d’un officier

Mais le ‘War Department’ n’avait pas dit son dernier mot et avait dans le viseur la Tour Koessel dont la transformation en poste d’observation lui était passé en travers de la gorge. Il fallait donc l’abattre au plus tôt! De toute évidence, le ‘War Department’ avait fini par trouver la faille qui justifierait la dangérosité de la tour, ce qui rendrait nécessaire sa démolition. La version officielle de cet épisode se décline comme suit:-
«Après la mort de M. Menty, vint un officier anglais qui a laissé pas mal de souvenirs. En 1945, la tour fut secouée par les cyclones qui visitèrent l’île. Mais on retendit les tendeurs et tout rentra dans l’ordre. Or, un beau jour, 5 ou 6 ans après le cyclone, cet officier décida que la tour était devenue dangéreuse, que son centre de gravité s’était déplacé et qu’il fallait la démolir.»(Idem)

La petite histoire derrière la démolition coûte que coûte

Toutefois, il existe une version officieuse, une ‘petite histoire’ qui expliquerait la décision de l’officier de faire démolir la tour. «Mais la petite histoire, celle qui est toujours mieux informée, veut que vers la fin de sa carrière, cet officier, dont la famille était retournée en Angleterre, vivait seul et menait, paraît-il, la belle vie. C’est alors qu’il s’aperçut, à moins qu’il en fut informé par quelqu’un ‘de bien intentionné’, que les pompiers en vigie s’intéressaient bien plus à observer ce qui se passait chez les voisins, y compris, et surtout, chez lui, qu’à observer les éventuels incendies de la capitale. Il invoqua le cyclone 45, le fameux centre de gravité et d’autres raisons pour faire démolir la tour.»(Idem)
Et à Marcel Didier de conclure sa chronique sur cette note humoristique: «L’ironie, ou le ridicule, de cette situation set que, haussée pour servir de poste d’observation, la tour Koessel, sera démolie parce que, justement, elle était…un poste d’observation.»(Idem)
B. Burrun

A propos de Samuel Koesell

Samuel Koesell, ingénieur pompier, arriva à Port-Louis le 18 juillet 1896. «Ce dernier, homme d’expérience, prendra les rênes des services des pompiers municipaux et la transformera.» (3) Son prédécesseur était M. Gibbs, ancien officier tout comme Koesell de la ‘Metropolitan Fire Brigade’. M. Gibbs avait été chargé de la reorganisation la brigade des pompiers après le grand incendie qui ravagea le quartier de La Chaussée en juillet 1893. Au départ de M. Gibbs, ce fut Samuel Koesell qui prit la direction de la brigade des pompiers. Un mois après son arrivée dans la colonie Koesell fit littéralement son baptême de feu.

Voici dans quelles circonstances:

« Le 26 août 1896 plusieurs bâtiments commerciaux formant partie d’un carré compris entre les rues du Vieux Conseil, de la Poudrière, de la Comédie et de l’Intendance furent encore détruits par un incendie qui se déclara vers 9 heures et demie du soir dans les bureaux de la Mauritius Estates and Assets Company, rue de la Poudrière. Sous l’énergique et intelligente direction de M. Koesell, ex-officier de la Metropolitan Fire Brigade, qui venait de succéder à M. Gibbs comme chef de l’établissement des pompes, les pompiers se comportèrent vaillamment et combattirent le fléau avec vigueur. La conduite des «Sauveteurs-hospitaliers» et des cipayes qui se trouvaient alors en garnison au Port-Louis fut également digne d’éloges. Le maire, l’adjoint et plusieurs conseillers municipaux, accourus au premier signal d’alarme, contribuère par leur présence et leurs conseils aux mesures de sauvetage.» (4)

Mais en toute bonne chose il y a toujours un hic. «Toutefois, la police n’ayant pas réussi à assurer un service d’ordre convenable, plusieurs actes de pillage furent commis.»(Idem) A la fin de l’incendie on fit le bilan – les dégâts furent considérables. «L’incendie fit rage jusqu’à deux heures du matin; lorsqu’on parvint à s’en rendre maître il avait détruit une quinzaine d’immeubles évalués, avec les marchandises – dont une partie seulement put être sauvée – qu’ils contenaient, à environ Rs. 500,000.»(Idem)
Hors-texte II

A propos des photos

Nous voulons remercier M. Dorsamy Ayacouty, Assistant Chief Fire Officer, pour nous avoir dirigé vers M. Rishi Gooriah, jusqu’à peu Senior Station Fire Officer à la brigade des pompes à Port-Louis, qui nous as bienveillamment fait parvenir des copies des deux photos qui illustrent l’article de ce jour. La photo de la Tour Koessel est de sa collection personnelle. Soit dit en passant, qu’une photo de la Tour Koessel est conservée à la station des pompes de Flacq. Quant à la photo du tableau de contrôle du téléphone et des ‘street fire alarms’ de l’époque, elle a été prise au ‘watch room’ des pompiers à la station des pompes municipale à Port-Louis.

Par ailleurs, nous profitons de l’occasion de souhaiter bonne chance à M. Rishi Gooriah qui a commencé depuis quelques jours son pupillage en vue d’une éventuelle carrière au barreau. Bientôt, Me Rishi Gooriah!

Références
1.Didier, Marcel, «La municipalité décide de hausser la tour Koessel», in La Gazette des Iles, août/septembre 1986.
2.«Le Radical», jeudi 3 août 1936.
3.Chelin, Jean Marie, Port-Louis, Histoire d’une capitale, Volume I, des origines à 1899, Phoenix: Imatech 2017.
4.Toussaint, Auguste, ‘Port-Louis, deux siècles d’histoire (1735-1935)’, La Typographie Moderne, 1936.

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