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Le Port-Louis (Ile Maurice) d’hier et d’aujourd’hui (XXXIX) : L’incendie de 1893, l’estocade?

Après les ravages causés par les épidémies du début des années 1890 et le cyclone de 1892, un autre malheur frappait Port-Louis, un grand incendie en juillet 1893 qui «fut de sinistre mémoire l’un des plus dévastateurs que Port-Louis ait connus.»(1) Quelle fut l’étendue de cette nouvelle tragédie qui prit Port-Louis à la gorge? «Un quartier entier, très commerçant, comprenant notamment la rue de la Chaussée et de nombreuses autres, fut en une nuit la proie des flammes. Un an après le cyclone de 1892, certainement le plus coûteux en vies humaines, l’incendie de 1893 sembla l’estocade. Après les épidémies de malaria, de variole, de choléra, la fatalité semblait s’acharner sur la ville.»(Idem)

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Certes, l’incendie de 1893 ne fut pas le premier ni le dernier qui affecta la capitale. Récit: «Pendant la période de 1874 à 1897 le Port-Louis, qui, depuis le sinistre de 1838, avait été relativement épargné par le feu, paya un lourd tribut à cet élément destructeur. Le premier incendie à enregistrer pour cette période fut celui de l’Hôtel de l’Univers dont nous avons fait mention. Il éclata le 24 octobre 1877, à six heures du matin, dans les cuisines de cet établissement situé près du Jardin de la Compagnie, à l’entrée de la Chaussée. En un quart d’heure le bâtiment fut complètement embrasé. Lorsque les pompes arrivèrent sur les lieux il n’y avait plus aucun espoir de le sauver et les pompiers durent borner leurs efforts à protéger les édifices voisins. A 9 heures et demie ils étaient parvenus à se rendre maîtres du fléau mais ne purent sauver le magasin Coutanceau, les bureaux de M. Vincent Georges, situés dans une démeure appartenant à M. Lanougarède et deux autres immeubles plus petits qui furent tous réduits en cendres avec l’Hôtel de l’Univers. Il s’en fallut même de peu que le feu ne se communiquât à toute la Chaussée. Les pertes causées par cet incendie s’élevèrent à 102,500 piastres. Il fit en outre, parmi ceux qui étaient accourus pour le combattre, cinq victimes dont deux succombèrent.»(2)

16 ans plus tard, le désastre de 1893 !

L’incendie de 1893 fut beaucoup plus destructeur que celui de l’incendie de 1877 par son étendue ainsi que du cyclone de 1892 en faisant table rase de ce que l’ouragan avait épargné à la Chaussée: «Seize ans après, l’effroyable désastre qui avait pu être évité en 1877 se produisit. Toute la Chaussée, la partie la plus riche de la ville, que l’ouragan de 1892 avait laissé intacte, fut détruite en quelques heures.»(Idem) Qu’est-ce qui occupait cet espace? «Toute cette riche partie, occupée principalement par la communauté commerciale et comprise entre le ruisseau du Pouce d’un côté, la rue St. Louis de l’autre, la partie basse de la rue des Créoles (Mère Barthélemy) et la voie ferrée, a été entièrement détruite, sauf le magasin central des rhums, par un incendie formidable, auquel rien ne résistait. Le feu a débuté vers les 19 heures dans l’immeuble occupé par M. Chaumon, luthier. Lorsque la citadelle a donné le signal, la maison était presque complètement consumée et l’incendie s’était communiqué à la boulangerie Molière située tout contre.» (3)

 La propagation rapide et incontrôlée de l’incendie était le fait de deux facteurs pour l’essentiel. «La désorganisation des services anti-incendie de la Municipalité, et surtout le manque d’initiatives et de direction de la part des connseillers municipaux présents firent que l’incendie, au lieu d’être stoppé avec la destruction volontaire de quelques immeubles, s’est propagé très rapidement entre les rues de la Pompe, des Castries, du Rempart, Moka, Dumat, la Chaussée, le Passage Monneron et la gare centrale.»(Idem)

Comme il fallait s’y attendre la critique n’y alla pas de main morte pour dénoncer les carences, et la corporation municipale n’eut d’autre choix que de nommer une commission d’enquête au sujet de l’incendie. Les conclusions de l’enquête furent ‘damning’,comme dirait l’anglais:

«Les conclusions furent que le chef officier des pompiers, J. Simon, semblait avoir perdu la tête et manqua de jugement. Le conseiller Souchon , qui était venu sur les lieux à cheval depuis le Champ de Mars avait trouvé qu’il ne manquait pas d’eau, que le matériel était en bon ordre sauf qu’une des charrettes des pompes transportant du matériel n’arriva jamais à destination car la mule s’était abattue avant d’arriver sur les lieux du sinistre. Par contre, il fut noté que le canon de la Citadelle n’avait donné l’alarme que près d’une heure après le début des incendies. L’employé de service voua qu’il eut quelque peine à distinguer les signes du sinistre avec les fumes qui généralement à cette heure, s’échappaient des boulangeries Molière et David, situées à proximité. Enfin, une forte brise soufflait qui non seulement activait le feu, mais encore transportait au loin des flammes qui allumaient d’autres incendies.»(Idem)

Le rapport du lieutenant H. Pitcairn, du Black Watch, sur l’incendie du 23 juillet 1893, fut aussi critique. Il y écrivait: «La principale cause de l’extension rapide et désastreuse de l’incendie, est, dans mon opinion:

  1. Le nombre insuffisant de pompes, et leur mauvais état
  2. La quantité insuffisante de boyaux, et leur état de pourriture
  3. Le refus de la population de rendre service
  4. La lenteur des pompiers à faire jouer les robinets d’incendie et à adapter les boyaux
  5. Le manque de surveillance et d’autorité sur la population native, des autorités municipales à qui de l’assistance avait été demandée
  6. Le manque d’eau
  7. Le manque de haches etc.pour abattre les murs et les cloisons».(1)

La leçon qui fut tirée de ce désastre

Ce désastre fut coûteux : «au petit matin, la vision de désolation qui se présenta aux citadins, ne tarda guère à laisser la place aux comptes…»(1) «environ cinq millions de roupies tant pour les immeubles détruits que pour les marchandises.»(4) «Rien que la valeur cadastrale des premiers atteignit le chiffre de Rs 936,300. Les deux compagnies d’assurances locales eurent à débourser plus d’un million.»(2) Toutefois, ces remboursements se firent sans peine. «On indemnisa les victimes assurées rubis sur l’ongle dans un délai record, on se solidarisa des victimes…» (1) Fort heureusement, les deux companies d’assurances, à savoir la Colonial Fire et la Mauritius Fire, avaient «une forte réserve et purent, sans trop souffrir, faire face à cet énorme débours»(2) qui s’élevait à Rs 1,300, 000 en chiffres ronds. Les pauvres ne furent pas oubliés. «Nombre de familles pauvres, ayant perdu tous leurs effets dans l’incendie, se trouvèrent dans la plus grande détresse; le gouvernement affecta une partie des fonds de secours reçus après l’ouragan de 1892 à les soulager; la charité privée fit le reste.» (2)

Mais ces coûts n’étaient rien comparés aux mesures qui furent prises pour parer à pareil désastre à l’avenir. .«Mais la leçon fut pourtant tirée, on reorganisa de fond en comble le Service des pompes, créant un corps de Sapeurs-Pompiers structuré et ayant désormais autorité…on fit venir d’Angleterre à grands frais, des véhicules dernier cri, adaptés et performants.»(1) Ainsi, après les épidémies, le cyclone de 1892, la colonie put se relever des fâcheuses conséquences et s’équiper contre pareille menace.

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  Il était écrit que le jour…

Un chroniqueur du temps a fait cette description de la Chaussée, centre nerveux de Port-Louis, dans l’édition de L’Essor du 15 mai 1925: «Au sujet des constructions en bois, il faut faire mention de l’ancienne Chaussée, où se trouvaient réunis tous les plus beaux et riches magasins, vendant les articles de Paris et des marchandises françaises principalement. C’était un mouvement considérable, chaque jour, dans ces magasins, car la pratique des colis-postaux n’existait pas encore. Aux approches des fêtes, surtout, le coup d’oeil était vraiment beau. Mais il était écrit que le jour où un incendie éclaterait à cet endroit, toutes les vieilles maisons qui constituaient ce précieux et pittoresque carré-maisons en bois se touchant à n’en former, pour ainsi dire, qu’une seule, étaient condamnés à disparaître.»(3)

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Références

  1. Richon, Emmanuel, “Fire-Fighters, 1893…”, Exposition au Blue Penny Museum, 14 novembre 2014-21 février 2015.
  2. Toussaint, Auguste, Port-Louis, deux siècles d’histoire, 1735-1935, La Typographie Moderne, 1936. Une nouvelle édition de cet ouvrage est sortie en 2013 aux Editions Vizavi, Port-Louis.
  3. Chelin, Jean Marie, Port-Louis, Histoire d’une capitale, Volume I, des origines à 1899, Phoenix: Imatech 2017.
  4. Le Cernéen, 25 juillet 1894.
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