Depuis quelques années, les 37 hectares du Jardin botanique de Pamplemousses (SSR Garden) offraient un bien triste spectacle autour des Samadhis de sir Seewoosagur Ramgoolam et sir Anerood Jugnauth. Après les atermoiements à répétition, sinon le silence radio des autorités, le travail colossal actuellement mené par une équipe de scientifiques en vue de réhabiliter ce lieu mythique est en train de porter ses fruits. Il suffit, pour s’en convaincre, de contempler ces magnifiques tâches roses imprégnant les fleurs de lotus qui, après avoir totalement disparu des étangs, affleurent de plus belle. Les étangs de nénuphars géants, devenus d’infâmes marigots, titillent de nouveau la curiosité des promeneurs.
Week-End avait tiré la sonnette d’alarme, en août 2022, sur l’état désastreux dans lequel se trouvait le jardin. Sauf que les mois se sont égrenés sans que les autorités ne dégagent un plan d’action concret pour mettre fin à ce marasme. Il y a finalement eu un sursaut d’orgueil, en novembre 2023, lorsqu’un budget de Rs 150 millions fut voté sous le National Resilience Fund et mis à la disposition du conseil d’administration du SSR Botanic Garden Trust (SSRBGT). Vikram Hurdoyal, ex-ministre de l’Agro-industrie et de la Sécurité alimentaire, avait annoncé au Parlement ce plan ambitieux en vue de restaurer ce havre de paix – pétri d’une végétation luxuriante et d’étendues sauvages aux allures de paradis terrestre – à son ancienne gloire.
On attendait de voir si les actes allaient suivre les paroles car l’état de délabrement dans lequel se trouvait le jardin résumait assez bien le spectacle pathétique auquel se livrait l’administration en charge du site, en proie au chaos. Deux ans se sont écoulés depuis l’article paru dans nos colonnes. Donnons du crédit à ladite administration pour avoir confié les prérogatives de réhabiliter le jardin à un scientifique de renom, botaniste de formation, longtemps impliqué dans la flore des Mascareignes et ayant une longue expérience de la gestion de corps académique et de recherche. Aux côtés de responsables attachés quotidiennement au site, il endosse l’habit du sauveur de l’Éden créé par le célèbre botaniste Pierre Poivre (1719-1786) qui a consacré sa vie et la majeure partie de sa fortune personnelle à le façonner en y introduisant des espèces végétales du monde entier.
Ses pétales roses ravissent le regard
L’équipe de botanistes en charge de la réhabilitation du site n’a pas lésiné sur les moyens pour tenter de redonner au Jardin botanique ses lettres de noblesse. “Mon équipe et moi faisons un travail colossal et nous attendons la fin de l’ouvrage avant de tirer des conclusions sur sa finalité mais je suis très confiant qu’on aura les résultats escomptés. En témoigne les commentaires élogieux qui déferlent depuis quelques mois sur le site Tripadvisor, je pense qu’on s’approche de l’objectif”, confie le botaniste et scientifique et botaniste qui pilote ce projet de remise à neuf.
Il fallait bien commencer par rendre hommage à Pierre Poivre. Après avoir été négligée, la patine cuivrée du buste en étain de cet illustre personnage luit de nouveau à l’ombre des feuillages du jardin, au même titre que la statue de Bernardin de St. Pierre et l’Obélisque Liénard. Le portail en fer forgé, récompensé à l’exposition internationale de Crystal Palace en 1862 en Angleterre, était en piteux état, car partiellement rongé par la rouille. Il fait, enfin, l’objet d’un plan de réhabilitation.
Envahie par du taro (brède songe), l’entrée du site a été nettoyée. Autour de la vaste étendue verte que forme le jardin, des fleurs de lotus émergent de l’eau boueuse où elles prennent racine. Parmi les plantes aquatiques, aucune ne suscite autant l’admiration que le lotus, tant par l’élégance du port de la plante, par la grâce de la fleur que par la richesse des traditions qui l’entourent. Ses pétales roses ravissent le regard des promeneurs. Les lotus du jardin botanique s’épanouissent de nouveau depuis quelques semaines, après avoir subi les foudres d’une maladie cryptogamique identifiée dans un des quatre bassins. Le programme de réhabilitation, mis en place pour traiter ce problème spécifique, a été couronné de succès si on se fie à ce reluisant spectacle. L’étang cristallin, qui avait été transformé en une mare d’eau boueuse, est clair comme de l’eau de roche.
De gigantesques moules à tarte !
Le vaste bassin de 93 mètres de long, qui regorge des célèbres nénuphars provenant d’Amazonie, était un crève-cœur : c’est le sombre tableau qu’on avait dressé en août 2022. Ces immenses feuilles flottantes n’étaient plus que l’ombre d’elles-mêmes, étant entourées de goémons et d’algues. Les choses ont bien changé depuis que les « experts » se sont retroussés les manches pour faire en sorte que les nénuphars, qui furent introduits en 1927 sous le règne de la reine Victoria, ressemblent de nouveau à de gigantesques moules à tarte. Le résultat est d’autant plus encourageant que pendant l’hiver, le spectacle est censé être beaucoup moins impressionnant.
On peut admirer les jeunes feuilles en forme de cœur et contempler à contre-jour les petites épines qui hérissent le revers de leurs contours. Les fleurs sont évidemment moins nombreuses, mais elles sont là, avec leur cycle de vie immuable : début de floraison au coucher du soleil ; la fleur se referme jusqu’au milieu du lendemain après-midi ; elle s’ouvre à nouveau ; elle disparaît le lendemain. Elles sont blanches le premier soir et deviennent roses, puis rouges 24 heures plus tard, avant de se faner dès le lever du soleil suivant…
Durant l’hiver austral, les visiteurs du Jardin peuvent aussi découvrir l’inflorescence spectaculaire de la Rose de la montagne, originaire du Venezuela. Énorme et d’un rouge écarlate, son terme scientifique est Brownea grandiceps. Les fleurs ne sont visibles que sous les branches de l’arbre, les protégeant ainsi de la vision de l’extérieur. Deux gros boutons donnent naissance à de petites roses rouges s’ouvrant progressivement jusqu’à former un énorme boule ronde entre 15 et 20 cm de diamètre. A l’instar des fleurs de lotus, la Rose de la montagne a repris vie.
Pas besoin d’être un fin botaniste pour apprécier la beauté retrouvée des lieux, quitte à se frotter parfois les yeux devant cette métamorphose. Au cœur de cette nature, au milieu d’espèces de fleurs et de plantes inédites, les animaux semblent également avoir compris que ceux qui ont la charge de leur prodiguer les soins et le confort nécessaires sont sortis de leur léthargie. Seules les tortues géantes font la sieste à l’ombre.
Dans le coin d’animaux en captivité, les jeunes cerfs jouent, alors que les mâles adultes se font entendre pour attirer les biches qui jouent. Les beaux oiseaux colorés, les canards, les perroquets et des landes de Madagascar se sentent aussi ragaillardis.