Shirin Aumeeruddy-Cziffra soutient « sans hésitation » l’introduction du kreol morisien à l’Assemblée nationale
Dans le cadre de la Journée internationale de la langue maternelle, célébrée le 21 février, la Creole Speaking Union avait organisé une table ronde sur le thème Promoting Institutional Democracy through Language Access in Kreol Repiblik Moris and Digital Innovation. Invitée d’honneur à cette occasion, la Speaker de l’Assemblée nationale, Shirin Aumeeruddy-Cziffra, s’est prononcée en faveur de l’utilisation du kreol morisien au sein de l’hémicycle afin de permettre à la population de comprendre et suivre les débats. Elle a invité les députés et ministres à en discuter au sein de leurs partis respectifs.
Shirin Aumeeruddy-Cziffra a d’abord fait état d’une parenthèse sur la période où elle était ambassadrice à Paris, puis présidente du conseil permanent de la francophonie. Elle a indiqué que même si elle parle le français et l’anglais, elle est avant tout une citoyenne engagée du pays. Dans ce contexte, elle estime que « la langue est à la base de tout ».
Pour ce qui est des travaux parlementaires, elle souligne que les Standing Orders stipulent que l’utilisation de l’anglais est de rigueur, mais que le français est aussi accepté. « Mais c’est nous-mêmes qui faisons la loi. Moi, je dis sans hésitation que le kreol morisien doit aussi être utilisé au Parlement. Le projet n’est pas encore finalisé, il y a encore deux ou trois étapes à franchir », rassure-t-elle. Toujours est-il, qu’il n’y a aucune raison pourquoi le kreol morisien ne devrait pas trouver sa place à côté de l’anglais et du français.
Shirin Aumeeruddy-Cziffra réitère son point de vue du fait que l’Assemblée nationale est « la maison du peuple. » À ce titre, a-t-elle ajouté, le peuple a le droit de comprendre ce qui se passe au Parlement. « En tant que politicienne d’expérience, je sais que lorsque nous allons demander leurs votes aux gens, nous leur parlons en kreol. Mais par la suite, une fois à l’Assemblée, nous parlons une autre langue. Et les gens nous reprochent de parler une langue qu’ils ne comprennent pas », trouve-t-elle.
Elle précise que cela ne veut pas dire qu’il faudra bannir l’anglais et le français de l’Assemblée nationale. « Le multilinguisme est très important pour le pays. Les investisseurs viennent ici, parce que nous parlons plusieurs langues. Nos Call Centres marchent très bien, et notre tourisme aussi, grâce au multilinguisme. Toutefois, le kreol morisien doit avoir sa juste place dans le contexte multilingue », réaffirme-t-elle.
Elle a tenu à saluer le travail entrepris par le Pr Arnaud Carpooran et son équipe, ainsi que les pionniers, comme Dev Virahsawmy, Vinesh Hookoomsing et Ledikasyon Pu Travayer. Elle est aussi d’avis que les jeunes doivent prendre la relève pour poursuivre le travail et porter le kreol morisien à des niveaux supérieurs.
Parlant de la reconnaissance de la langue maternelle, Shirin Aumeeruddy-Cziffra a cité l’exemple des Seychelles, où le kreol est inscrit en tant que langue officielle dans la Constitution, tout comme l’anglais et le français. En Inde, les langues régionales sont utilisées au Lok Sabha, ajoute-t-elle.
À Maurice, précise Shirin Aumeeruddy-Cziffra, il n’y a pas de langue imposée dans la Constitution. Mais l’anglais est préconisé dans les institutions. « De quelle démocratie parlons-nous, si le peuple ne comprend pas ce qui se passe à l’Assemblée nationale, qui est la maison du peuple ? », se demande-t-elle.
Toutefois, elle a précisé que l’utilisation du kreol morisien ne veut pas dire venir parler de n’importe quoi et n’importe comment. « Pa krwar pou koz brit-brit. Pa pou koz kreol basilektal, me enn kreol korek, sofistike. » Le kreol n’est pas utilisé seulement pour dire des gros mots, mais pour exprimer des émotions et des idées de manière coordonnée. Dans la foulée, elle a salué les artistes et les écrivains qui ont beaucoup contribué à la promotion de la langue kreol.
Elle a toutefois exprimé son regret que le kreol ne soit pas encore utilisé comme langue d’enseignement à l’école, estimant que « zanfan mizer ki pa gagn mem frotman ki nou, bizin konpran li osi. » L’anglais, a-t-elle fait ressortir, demeure une langue étrangère, même si elle est importante. « Nous ne pouvons changer notre système d’éducation du jour au lendemain, mais il faudra qu’un jour, nos enfants puissent apprendre dans leur langue maternelle », dit-elle.
Shirin Aumeeruddy-Cziffra a invité Arnaud Carpooran et une équipe à venir la voir à son bureau, pour mettre en place, un plan de travail, afin d’aplanir les derniers obstacles techniques et juridiques, pour faciliter l’introduction du kreol morisien à l’Assemblée nationale. « Il faut s’y mettre rapidement, afin que dans dix ans, on ne vienne pas dire encore une fois qu’il y a des obstacles à aplanir. »
Elle a invité les députés et ministres à mener ce combat au sein de leurs partis respectifs. Le ministre délégué aux Affaires étrangères, Rajen Narsinghen, ancien chargé de cours à l’Université de Maurice, était également présent à cette conférence. Il a reçu une copie de la Constitution traduite en kreol morisien, tout comme la Speaker.