Le Centre Nelson Mandela a été créé en 1986 pour préserver la mémoire et la culture des ancêtres des Mauriciens de souche africaine. Le 20 avril, à l’occasion de la Journée internationale de l’Art, une quinzaine d’artistes se réuniront pour rendre hommage à Nelson Mandela dont la vie a été consacrée au combat contre l’apartheid.
Difficile de ne pas se laisser happer par des émotions lors d’une visite au Centre Nelson Mandela, avec une architecture des plus impressionnantes, qui met en relief tout un pan de l’histoire locale. Il y a des peintures, des sculptures et des instruments de musique qu’Anouchka Massoudy présente avec une facilité déconcertante. Certains viennent des Seychelles, d’autres de Madagascar. On découvre une harpe qui peut se jouer dans toute sa circonférence, le makalapo, le ngoni, un tronc d’arbre sculpté de l’intérieur en provenance du Mali. Il y a aussi le kbosa, le makalapo ou encore… le balai de coco, utilisé comme instrument de musique pour les sonorités qu’il dégage. On feuillette au passage Revi Kiltir Kreol, une publication annuelle d’analyses académiques et de recherche sur les cultures créoles à Maurice et dans la région de l’océan Indien.
L’objectif du centre, selon son directeur, Stephan Karghoo, est de construire une nation mauricienne où chaque culture a sa place et où chaque Mauricien peut se retrouver tout en apprenant à connaître la richesse culturelle de l’autre. Essayons un instant de nous mettre dans la peau d’un jeune qui découvre ce lieu chargé d’histoire et qui le renvoie dans le passé. Une des questions que se pose souvent un adolescent a trait à l’importance de la mise en place d’un Centre culturel africain à Maurice. Stephan Karghoo, qui est aussi historien, le Centre Nelson Mandela existe depuis le 27 octobre 1986, soit 35 ans d’existence, avec pour mission principale la préservation et la promotion des arts et de la culture africaine et créole.
« Ici notre travail consiste en des activités culturelles, des concerts, des conférences, des ateliers. Depuis moins d’un an, le Centre culturel Nelson Mandela s’est doté d’un coin connu sous l’appellation L’Espace l’Art où nous invitons les artistes mauriciens à venir exposer leurs œuvres et à les vendre. Les personnes ayant des origines africaines peuvent aussi retracer leur arbre généalogique à travers leurs noms de famille. Quand on connaît notre histoire, cela nous aide à forger notre identité comme mauricien. »
Préserver la culture ancestrale
Revenons-en au lieu qui abrite le Centre Nelson Mandela, appartenant jadis à la famille Koenig qui a voulu en faire une réplique d’un château en Allemagne mais en plus petit. Ce lieu tombé en décrépitude a été restauré en 2021 pour abriter L’Espace l’Art. Il invite les Mauriciens à découvrir et à soutenir des talents locaux en achetant également les tableaux lors d’une expo-vente. « Il faut savoir que sur le continent africain, il n’y a pas lieu d’avoir un centre culturel africain. Le continent africain compte 55 États », laisse entendre Stephan Karghoo. À Maurice, cela fera prochainement 36 ans depuis que le premier centre culturel a été créé. Selon Stephan Karghoo, sous cette « grande ombrelle appelée mauricianisme, il est important de préserver la culture ancestrale. »
« À Maurice, on n’a pas eu de peuple autochtone, nous venons tous de quelque part, ce qui fait notre richesse. Ce serait facile de dire qu’on oublie tout et qu’on se base uniquement sur le mauricianisme. Ce serait une grave erreur, car l’important, c’est de célébrer la multiculturalité et nous sommes là pour représenter ce côté multiethnique. Car Maurice est connue pour être multiculturelle, multiethnique et multireligieuse. Dans cette multitude, il est important que chaque composante de cet arc-en-ciel soit valorisée. Le mauricianisme, c’est tout ce mélange de cultures qui donne la créolité », s’appesantit-il.
L’un des derniers projets du Centre Nelson Mandela pour la culture africaine à avoir vu le jour est L’Espace l’Art, institution qui s’occupe de la culture et du patrimoine depuis 1958. Stephan Karghoo maintient qu’il ne suffit pas de restaurer un patrimoine mais d’en faire aussi un élément utile. Ainsi, après sa restauration à La-Tour-Koenig, le centre a été converti en une galerie d’art pour les artistes mauriciens. L’Espace l’Art a été créé pour offrir une plateforme aux artistes mauriciens pour qu’elle puisse exposer et vendre leurs œuvres.
Un centre culturel valorise aussi les identités plurielles. Le Centre culturel Nelson Mandela travaille sur l’identité mauricienne et de ce peuple venu d’Afrique appelé les créoles. Et Stephan Karghoo de faire ressortir : « le kreol a pour origine ethnique l’Afrique. Le peuplement de Maurice a été fait par ces êtres humains forcés à l’esclavage venus du Mozambique, de Madagascar. Même si on compte 27 pays d’origine, la plus grosse majorité est venue de Madagascar et du Mozambique. »
Retracer ses origines
Dans une autre aile visitée, Stephan Karghoo met l’accent sur la vocation du Centre Nelson Mandela , axée sur la recherche et dira qu’une grosse partie de la culture s’articule autour de l’histoire. Il y a aussi une partie méconnue pour la jeune génération et qui traite de l’histoire de l’esclavage comme pour rester connecter à un passé recomposé et qui aide, au final à affirmer son identité en tant que Mauricien. « Dans la culture mauricienne, nous sommes différents. Il est important de se connaître pour connaître les autres. C’est l’ensemble de ces différences qui fait Maurice », précise-t-il.
Dans la salle de L’Espace L’Art trônent des dessins d’Hervé Masson, emprisonné en 1972. Il a réalisé ses œuvres en prison qui relatent l’histoire de l’esclavage et la naissance du peuple mauricien. Il y a aussi la pierre architecturale qui donne à ce lieu tout son cachet d’authenticité et qui, au toucher, rappelle toutes les mémoires du passé enfouies dans la pierre. Dans plusieurs pièces, au cours de notre visite, on découvre d’immenses pans de notre héritage culturel, ce qui fait la force de l’expression artistique et de notre identité.
« Le Centre Nelson Mandela a pour vocation de bouger, d’aller à la rencontre de son audience, des écoles. Il y a une sorte de résonance artistique. L’histoire de notre pays est aussi faite de plusieurs vagues de migrations de travailleurs engagés. » Le regard est confronté à des œuvres représentant des chaînes ensanglantées des esclaves comme pour dire que rien ne pourra gommer les souffrances, le souvenir de leur enchaînement à des colliers.
À travers ces expositions, Stephan Karghoo évoque aussi le rôle de la femme, personnage central de l’esclavage. « La femme, racine de la société, est responsable de la transmission de son nom à son enfant car le mariage était interdit entre esclaves. On vole à l’individu à sa capture son nom, on lui donne un numéro, il est vendu, et le nouveau propriétaire d’esclaves qui l’a acheté un lundi le déclare sous le nom de lundi ou du jour qu’il l’a acheté. Et parfois, il est affublé de noms tels que Paresseux, Agréable, Gourmand. Voilà pour l’origine de ces noms », poursuit-il.
Aujourd’hui, le Centre Nelson Mandela a pour projets de se faire connaître à travers ses activités, son expo-vente. En accord avec ses objectifs, un projet de recherche appelé généalogie des origines est en cours d’élaboration depuis 1996. L’objectif est de mettre en place une structure qui aiderait les Mauriciens à établir leur ascendance et à retracer leurs origines linguistiques, géographiques et culturelles.
Toutes les données démographiques, ethnographiques et historiques sur la population d’esclaves ont été recueillies. La collecte démographique comprend des déclarations d’enregistrement d’esclaves et des déclarations de marronnage, toutes de formats différents. Le travail est terminé et la base de données est maintenant disponible sur le site web : NMCACTF/http://mandelacentre.gov.mu. Les Mauriciens d’origine africaine désireux de faire des recherches sur leurs ascendants de n’importe quelle partie du monde peuvent y accéder.