- La suspension de 12 mois de Dr Iteeswaree Thacoor invalidée
C’est un principe élémentaire du droit administratif (administrative law) familier aussi bien aux avocats qu’aux étudiants préparant le barreau mais que l’ordre des médecins (Medical Council) semble avoir complètement zappé : que toute décision d’une institution, a fortiori gouvernementale doit être motivée surtout quand elle touche au gagne-pain d’une personne. C’est ce qu’on retient du jugement de la Cour suprême, rendu jeudi 21 décembre par les juges Véronique Kwok Yin Siong Yen et Sulakshna Beekarry-Sunassee dans l’affaire opposant la Dr Iteeswaree Thacoor au Medical Council où elle a invalidé la suspension de 12 mois de la praticienne.
Les faits datent de plus de onze ans, soit le 2 octobre 2012, à l’hopital Victoria. M.C.D, âgée de 19 ans, vient d’être transférée en salle de travail pour son accouchement. Au lieu d’effectuer d’urgence une césarienne comme l’exigeait son cas, la Dr Thacoor, gynécologue, a ordonné à son junior de lui administrer un médicament, le syntocinon, qui est contre-indiqué quand il y a détresse fœtale. Ce qui a entraîné le décès de la mère et de son bébé.
Le 4 octobre 2017, la Dr Thacoor a été traduite devant le Medical Council Disciplinary Tribunal (MCDT) où elle devait répondre d’une accusation de négligence médicale. Après audience (hearing), le tribunal l’a trouvée coupable de la charge retenue contre elle. Comme le veut la procédure, le MCDT a envoyé son rapport au Medical Council et le 21 décembre 2018, cette instance a décidé de suspendre la Dr Thacoor de toute pratique de la médicine pour une période de 12 mois (la sentence maximale que le Conseil pouvait infliger à un médecin à cette époque).
Breach of natural justice
La Dr Thacoor, qui, entretemps, avait fait valoir ses droits à une retraite anticipée du service public, s’est tournée vers la justice pour contester cette décision par voie de judicial review. Dans un jugement rendu jeudi dernier, les juges Kwok Yin Siong Yen et Beekarry-Sunassee ont accepté l’argument selon lequel la praticienne n’avait pas bénéficié d’un fair hearing vu que six ans se sont écoulés entre les faits qui lui sont reprochés et la décision du Medical Council de la suspendre. Or, selon la l’article 10(8) de la Constitution, tout hearing doit se faire dans un délai raisonnable.
Mais plus encore, la Cour suprême a trouvé que la décision du Medical Council de suspendre Dr Thacoor pour 12 mois est en violation du principe de justice naturelle car elle n’a pas été motivée. En effet, dans la correspondance signée du Dr Ancharaz, alors Registrar du Conseil, pour informer la doctoresse de sa décision, le Medical Council fait seulement mention que « (…) the Council decided that you should instantly be suspended from practice of medicine for a period of 12 months. » Tout en reconnaissant qu’en droit administratif, « there is no general duty to give reasons for administrative decisions » – d’ailleurs, dans le cas présent, il n’y a aucune provision sous le Medical Council Act qui oblige le Medical Council à fournir des raisons pour ses décisions –, les juges sont d’avis que dans certains cas, il est important de motiver toute décision, surtout quand « a person’s civil rights and obligations are being determined. »
Le fait que le MCDT ait trouvé Dr Thacoor coupable de négligeance « does not amount to sufficient reasons for a specific disciplinary measure », estiment les juges. L’obligation de fournir des raisons dans le cas présent et dans tout cas où un médecin est interdit de pratiquer la médecine pendant un certain temps, ne peut être banalisé, poursuivent les juges Kwok Yin Siong Yen et Beekarry-Sunassee car Maurice est signataire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui garantissent le droit au travail. « The suspension no doubt causes hardship to the applicant and she is entitled to know why a year’s suspension was necessary. » La Cour suprême conclut qu’il y a eu breach of natural justice. Elle a, donc, annulé la suspension d’un an infligée au Dr Thacoor, invitant le Medical Council à déterminer de nouveau la sanction disciplinaire qui sera imposée à la practicienne et les raisons qui ont amené à cette décision.
La Dr Thacoor avait retenu les services de Mes Antoine Domingue, SC, et Ammanah Saya Ragavoodoo, avouée, tandis que le Medical Council était représenté par Mes Robin Ramburn, SC, et Aratee Prayag, avouée.