À toi Jacques, l’ami
Il y a presqu’un quart de siècle, beaucoup grâce à ton initiative, naissait notre groupe de golfeurs passionnés. Tu nous considérais comme de “jeunes croulants” plus ou moins libérés d’activité professionnelle.
Dès lors, les Vagabonds enthousiastes s’organisent, découvrant les joies des réseaux sociaux et tissant des liens d’amitié avec pour catalyseur notre passion “golfique”. Notre confrérie est à la fois joyeuse et festive, nos rencontres sont des rendez-vous qui se préparent dans une atmosphère sérieuse (tumultueuse même, parfois), mais nous apprécions chaque moment de cette aventure!
Nos échanges sur le parcours tournent essentiellement autour de nos prouesses et catastrophes à propos de la petite balle blanche… en attendant le 19e trou!
Pour les non-initiés, c’est le moment précis où les Vagabonds se lâchent. Tu y étais avec nous, il n’y a pas si longtemps. Pour les sujets d’actualité, c’est évidemment toi qui tenais le crachoir… pour des raisons évidentes! Entre deux appels au Journal, tu nous sortais tes fameuses blagues souvent de ton propre cru, issues de tes observations aiguisées!
Avec toi, et aussi chez toi à Trou aux Biches, nous avons vécu d’inoubliables parties de rigolade, de gouaillerie même, autour de tables bien garnies où tintaient des verres de l’Amitié… rarement remplis d’eau!
Nous avons ensemble refait le Monde des centaines de fois, en plus d’échanger nos remèdes miracles pour nos inévitables petits bobos de jeunes vieillissants…
Merci Jacques pour ta bonne humeur, ton enthousiasme, ton appétit de la vie et ton sens de l’Amitié.
Cheers, l’Ami!
Tu vas beaucoup nous manquer!
Les Vagabonds
Jacques Rivet, serviteur du Mauricien
Ce lundi 11 avril, le logo rouge du Mauricien s’est subitement drapé de noir. En une, pleine page, le regard perçant de Jacques Rivet, en noir et blanc. Pendant plus de 60 ans, ces yeux-là ont discerné entre l’essentiel et le superficiel pour informer les Mauriciens. À 81 ans, Jacques le marathonien, serviteur de la presse mauricienne, a complété son dernier tour de piste.
Je n’étais pas de ses intimes, mais un des employés de Monsieur Rivet. Et à 25 ans, en 1998, c’était un immense honneur, tout simplement énorme. Énorme parce que le logo rouge du « Mauricien », je le connais depuis toujours. Mon père le ramenait chaque soir à la maison : une baguette de pain, des biscuits et Le Mauricien. Ce journal était le 6e membre de notre famille, celui qui nous disait ce qui se passait dans le pays.
Plus tard, pendant cinq ans extraordinaires dans cette maison, de 1998 à début 2002, membre de l’équipe rédactionnelle dirigée par Gilbert Ahnee, j’ai plusieurs fois croisé Jacques au premier étage. Les sorties de son bureau vitré avaient quelque chose de théâtral. Des tenues multicolores – quand il n’allait pas en Cour –, toujours ce geste en relevant ses lunettes au-dessus du front. « Ça va ? », lançait-il en jetant un coup d’œil parfois amusé aux motifs de mes cravates. Et il suffisait de répondre « Non, ça ne va pas » pour qu’il s’arrête. Jacques était un patron qui écoutait.
Beaucoup de personnes de passage étaient loin de savoir que celui qu’elles croisaient en train de superviser des travaux; la mise en place d’une armoire, de climatiseurs, d’ordinateurs; celui qui était occupé au garage avec les chauffeurs du groupe était, en fait, Jacques Rivet. Il avait les yeux partout, touchait à tout. Dans le silence de son bureau, nous savions qu’il suivait de près ses journaux. Il lisait tout, ne se privait pas d’une remarque après parution. Jacques nous poussait à l’exigence. En retour, malgré les difficultés, il s’est investi pour pérenniser cette entreprise de presse essentielle dans notre pays.
Jacques Rivet avait un lien particulier avec nos collègues qui étaient de sa génération, celles et ceux avec qui il avait poursuivi la construction du Mauricien, la création de Week-End, de Week-End Scope. Avec nous – de la génération de ses enfants –, c’était différent. Une grande bienveillance, une attention très paternelle. Je n’avais pas besoin de l’entendre tous les jours. Mais je savais qu’il était là, qu’il ne laissait pas tomber ses journalistes dans les coups durs, comme lorsque tombent des assignations en Cour une objection to departure. « Tu n’as pas à t’en faire. Ton enquête est bonne ! » Beaucoup, comme moi, n’oublieront pas ses mots rassurants qui permettent de rester motivés.
Jacques pouvait aussi surprendre, nous présenter à des personnes totalement hors de l’actualité chaude, des rencontres inattendues. Et il ne cachait pas son enthousiasme : « Entre Jean-Luc ! Il faut que tu rencontres cette dame ! » Dans son bureau, il faisait les présentations – c’est là que j’ai su qu’il lisait attentivement mes papiers – et, effectivement, après quelques minutes, je comprenais les raisons de l’enthousiasme. Après la parution du papier, Jacques revenait en me disant : « C’était bien, hein ? » Ces moments inattendus me manquent.
Les adieux à Jacques Rivet, les mots d’une de ses filles, Mélissa, lors des funérailles en l’église de l’Immaculée Conception à Port-Louis, le 12 avril, étaient bouleversants. La haie d’honneur rue St-Georges, faite de journaux brandis par le personnel, nous a émus.
Je ne peux que dire MERCI. Merci Jacques pour la place que vous avez accordée aux nouveaux, comme moi, au n°8 de cette rue historique de la presse, d’abord, comme reporter et, plus tard, comme contributeur occasionnel. Jacques, vous avez permis à ma signature de journaliste d’exister dans la presse mauricienne. Ça n’a pas de prix.
Éternelle gratitude, Monsieur Jacques Rivet.
Jean-Luc Mootoosamy
Témoignage
Le plus comique arrive…
Et s’il n’existait pas, comme le chante si justement Joe Dassin: « Je crois que je l’aurais trouvé, le secret de la vie, le pourquoi, tout simplement pour te créer… »
Jacques Rivet, que de merveilleux souvenirs… Pour nous, tu auras été tonton Jacques et, en fait, bien plus que cela. Tu étais à la fois le grand frère, le guide, l’ami et notre animateur exclusif. Tu organisais tout, les prises de photos, les sorties de pêche, les compétitions de carrom, les matches de volley-ball sur la plage de Trou Aux Biches, les soirées familiales à Floréal, bref, tu étais l’incontournable de la famille, animé d’une joie de vivre, pour dire le moins, contagieuse…
Tu étais aussi celui à qui on se confiait, à qui on demandait conseil et toujours tu répondais présent, tu étais là pour nous soutenir, pour nous éclairer.
Avec toi, il n’y avait pas de moments ternes, à chaque occasion, tu avais une blague, une histoire à nous raconter. Avec ta verve coutumière et ton humour particulier, tu nous tenais en haleine avec tes récits parfois rocambolesques qui s’accompagnaient d’interminables interludes… On continuait toujours à t’écouter tout en sachant que le plus comique allait arriver… Ce que tu nous a fait rire !
Des projets, tu en avais plein la tête et, certes, tu les as concrétisés avec le succès que l’on sait, tant sur le plan professionnel que personnel. Mais je sais aussi que cette foutue maladie a mis court à tes ultimes desseins.
Tu envisageais un dernier voyage en Australie pour revoir tes sœurs Nicole et Marie-Claude, et certains de tes amis d’enfance. Et puis, ce fameux livre sur grand-père, Raoul Rivet, qui te tenait tant à cœur. Ce sera pour la prochaine fois. Heureusement que tu nous auras laissés à tous, les cousines, cousins et tes enfants, une copie du livre Ile de France… Ile Maurice de Pierre De Sornay qui contient plus d’une vingtaine de citations, discours et écrits du grand homme qu’est notre aïeul.
En guise d’adieu, un couplet d’une chanson de Serge Lama qui te résume tout à fait : « Voici donc quelques rires, quelques vins, quelques blondes, j’ai plaisir à te dire que la nuit sera longue à devenir demain. »
On attend toujours le plus comique…
Adieu, Notre hero.
Janot
« Un ami et un confrère respecté et respectueux des autres »
Ancien rédacteur en chef du Cernéen
Ma reconnaissance éternelle à Jacques Rivet
Si l’illustre Raoul Rivet, le père de Jacques, pouvait clamer haut et fort que c’est à la France qu’il doit d’être un homme pensant, je peux, aujourd’hui, sans me tromper, attribuer à Jacques ma fidélité sans faille, vieille d’un peu plus de cinquante ans, à l’hebdomadaire Week-End, dont il a été le père fondateur. Sans oublier tout ce que lui doit le groupe Le Mauricien Ltée dont il a maintenu haut le flambeau, contre vents et marées. On sait combien les années de braises, les 1970’s, ont été éprouvantes pour lui et la presse en général, et à ce moment-là, il était le capitaine qui a dirigé la barque, avec courage et audace. Nous te devons tout cela, Jacques !
Pour combien de figures de presse n’as-tu pas été le mentor, à travers le vivier qu’a été Place aux Jeunes (et que tu soutenais et encourageais personnellement avec générosité), et dire qu’en m’y joignant, avec l’encouragement de Coll (nous enseignions à New Eton à ce moment-là) j’ai fait un faux pas que, je l’ai appris de tes proches collaborateurs dans la rédaction, tu as pris avec un sourire. On ne s’était pas encore vu face à face. Malgré cela, magnanime, lorsque je t’ai approché, alors que Place aux Jeunes mettait la clef sous le paillasson, tu m’as accueilli, à bras ouverts, comme pigiste à Week-End et dans le groupe Le Mauricien. Excuse-moi de te tutoyer, moi qui te vouvoyais toujours !
À côté, dans ton bureau dans le vieux bâtiment en bois de la rue Saint Georges, se trouvait ton fidèle collaborateur Gaëtan Montenot, qui devenait mon fidèle contact à la presse. Et que dire de mon mentor spirituel, André Masson, celui qui a été à la rédaction en chef de Week-End à sa fondation et qui écrivait à mon propos : « Aujourd’hui, il a l’âge d’homme et il parle : il écrit des articles qui, sans doute, ne sont pas parfaits, mais qui attirent par leur accent » (Lettre de l’exil — Le petit-fils du jardinier, André Masson in Week-End, dimanche 24 décembre 1972). Je suis resté attaché à Week-End(comment ne pas me souvenir du slogan de ton crû pour faire la promotion de l’hebdomadaire : Un dimanche sans Week-End est un week-end sans dimanche ?), et avec le successeur d’André Masson à la rédaction en chef de Week-End, Gérard Cateaux, les choses ont beaucoup évolué pour moi.
Je manquerais à ce devoir de mémoire si je n’avouais pas que c’est grâce à toi que j’ai pris le goût de la plume et que je m’aventurais sur le terrain ardu de l’écrivain. Comment ne pas te dire que, lors de nos rares rencontres à ton bureau, tu ne me laissais jamais aller sans la promesse ferme de considérer toute requête pécuniaire, car avec toi, l’homme ne vivait pas de la plume seulement, mais aussi de pain. Et ce n’est ni André Masson ni Gérard Cateaux qui diront le contraire. Adieu, PDG Jacques, dans le nouveau chemin qui s’ouvre devant toi, devant vous !
B. Burrun
« Un journaliste accompli, un patron d’une grande mansuétude »
Amateur d’astronomie, on ne saura jamais si Jacques Rivet, tel un mage, avait attendu le bon alignement des astres en ce dimanche 25 septembre 1966 pour faire paraître le premier numéro de Week-End. Mais le franc succès rencontré en ses 56 ans d’existence par ce journal publié en format tabloïd pour la première fois en ce jour de la Saint Hermann donne à penser qu’effectivement, Week-End a dû naître sous une bonne étoile…
Ce « quotidien du dimanche » comme son fondateur se plaisait à présenter l’hebdomadaire qu’il avait lancé a en effet vite fait de se faire une place de choix dans le paysage médiatique mauricien. Si bien que, depuis, pour son large lectorat, « un dimanche sans Week-End, c’est comme un week-end sans dimanche… »
Déjà, jeune adolescent, suivant l’exemple de notre défunt père qui était un lecteur assidu d’André Masson, nous nous efforcions, chaque dimanche, de parcourir ce tabloïd à la recherche de ce qui pouvait nous intéresser. Et là, nous retrouvions les intelligentes chroniques sportives d’Yves Fanchette ou encore les pleines pages d’initiation, avant la lettre, à l’écologie et à la préservation de l’environnement et du patrimoine dans la rubrique Suivez le Guide de Daniel Appave. Il y avait aussi la page Place aux Jeunes, où des débutants, dont Jean-Clément Cangy et Coll Venkatasamy, s’initiaient au métier exigeant de journaliste. En ce temps-là, point de Netflix, d’Internet ni même de chaînes télé satellitaires. On se contentait du peu, mais on savait quand même tirer le maximum de ce qui nous était offert.
Les pages de programmes télé de la MBC et de sa consœur réunionnaise que publiait Week-End nous permettaient de faire, à l’avance, les bons choix d’émissions à ne surtout pas rater : Les Dossiers de l’Écran et Champs-Élysées, entre autres, sur l’ancêtre de Réunion 1re et D’une île à l’autre ou Star Show sur la MBC. Puis, évidemment, en fin d’après-midi, les émissions éducatives du Collège des Ondes qui étaient un complément fort utile surtout pour ceux qui, en ce temps-là, ne pouvaient se payer des cours privés.
Sinon, chaque dimanche dans Week-End, Gérard Cateaux, en fin connaisseur, nous faisait la critique du dernier film à l’affiche. Même si les censeurs veillaient encore au grain… Plus tard, André Masson nous appelait à lire entre les lignes de sa Chronique du Fou. Alors que Lindsay Rivière dans ses fort instructives Actualités Commentées éclairait notre vision sur ce qui faisait les news du moment.
Quand on s’est abreuvé de ce genre de lectures, il était donc un peu normal que l’on rêve d’une carrière de journaliste… C’est ainsi que, très jeune, et alors que le chômage était à son apogée, nous prenions notre courage à deux mains et débarquions, en un début d’après-midi, au 8, rue Saint-Georges, à Port-Louis. Nous venions pour demander à M. Rivet de nous faire l’honneur de nous prendre à l’essai. Nous nous présentions à la réception auprès de la regrettée Françoise, la standardiste d’alors. Dans le fil de l’action, elle nous fit signe que le directeur général du Mauricien Ltée était là, juste à côté, s’affairant au four et au moulin comme à son habitude et nous invitait à nous adresser directement à lui.
L’émotion fut telle que du haut de nos 18 ou 19 ans, le jeune novice que nous étions bafouilla pour expliquer ce qu’il était venu chercher. Si bien que M. Rivet comprit, à tort, que nous étions là à la recherche d’un… imprimeur pour publier un journal que nous voulions sortir ! Il nous fit alors comprendre, gentiment, que Le Mauricien Ltée n’était pas en mesure de nous aider mais qu’il pouvait nous recommander un autre imprimeur… Nous partions de là, très déçu de nous être mal fait comprendre auprès d’un tel monument du journalisme, fils de l’illustre Raoul Rivet, dont le buste trône au Jardin de la Compagnie et qui aura, bientôt, une five-star school en son nom…. Mais nous y reviendrons, quand même, sept ans plus tard, au 8, rue Saint-Georges. Cette fois, pour être bel et bien employé par M. Rivet après nous êtes initié, ailleurs, au métier sous la rigoureuse direction de cette autre sommité du journalisme mauricien, Jean-Claude de L’Estrac, et son équipe de collaborateurs, dont Gilbert Ahnee.
En 35 ans de métier à la rue Saint-Georges, nous pouvons dire aujourd’hui que les souvenirs de M. Rivet nous fourmillent encore à l’esprit. Comme en ce 28 novembre 1987 quand, sous sa direction experte, Week-End excella dans son compte-rendu du crash en mer du Boeing 747 de la South AfricanAirways (SAA) à l’Est de Maurice avec 159 personnes à bord. Pour ce triste événement de l’actualité, un concours de circonstances fit que nous avions trouvé le bon filon. En grand professionnel du journalisme, M. Rivet se faisait un devoir sacré de vérifier et de contre-vérifier auprès d’autres sources avec la rigueur qu’on lui connaît les informations de première main que nous lui refilions… Le lendemain du drame, par la qualité de sa « une », Week-End battait très largement toute la concurrence tant par sa présentation visuelle que par ses informations de l’événement.
Mais le directeur général du Mauricien Ltée ne s’intéressait pas qu’aux seuls faits divers dramatiques qui font, bien évidemment, vendre le journal. De tout temps, il a aussi suivi de près les grands projets de développement dans l’île. C’est ainsi que l’une des premières tâches que le journaliste tout-terrain qu’il était nous avait confié personnellement de faire des reportages détaillés des grands travaux routiers qui avaient démarré à partir de cette même deuxième partie des années 1980.
Dès lors, nous étions En Route Pour l’An 2000… C’était du temps où les premiers travaux d’enrobement à chaud des chaussées se faisaient dans l’île. Pour rester dans le domaine des routes, une anecdote fort amusante qui, quand on y pense, nous fait encore rire aujourd’hui à gorge déployée : c’était quand il était question d’introduire le parcmètre à Maurice pour régler le terrible problème de manque d’espaces-parking, surtout à Port-Louis. Un samedi, après avoir vu sur le marbre à la technique des textes devant être publiés dans le Week-End du lendemain, M. Rivet s’amène à la rédaction et, contrairement à ses habitudes, nous interpelle en ces mots sur un ton irrité : « C’est quoi ce bobard Hermann que tu nous as écrit ?! Alors, on va maintenant mettre un billet de Rs 50 dans un parcmètre pour pouvoir se garer ? »
Il faut dire que l’on était encore à l’époque quand il n’y avait en circulation que les seules pièces de Re 1.00. Ainsi, selon la logique du directeur général du Mauricien Ltée, il n’était absolument ni pratique ni faisable d’avoir à glisser 50 pièces de Re 1.00 dans un parcmètre pour se garer. Nous lui avons alors fait comprendre que nous avions travaillé notre texte à partir d’un arrêté ministériel qui avait déjà été publié à l’officiel dans la Government Gazette et qui récapitulait les tarifs des différents temps de stationnement dans les parkings.
Voilà que M. Rivet continue son réquisitoire allant jusqu’à presque suggérer que le ministre ou ses techniciens pourraient avoir comme une araignée au plafond ! Devant son argumentation disant qu’il n’était ni pratique ni faisable de glisser 50 pièces de Re 1.00 dans un parcmètre, nous commencions par douter du bien-fondé de notre propre texte. Même si celui qui nous avait refilé l’information au ministère du Transport était quelqu’un de sérieux et de fiable…
Nous avons douté de nous-même, jusqu’au moment où nous avons appris qu’il n’y aurait pas vraiment de parcmètre à proprement parler, mais que ce sont des coupons-parking qui allaient être utilisés. Et que, conséquemment, aucun automobiliste n’aurait la peine de glisser 50 pièces de Re 1.00 pour se garer ! Tendre un billet de Rs 50 pour se procurer un coupon-parking n’était en rien la mer à boire. Ni la terre à manger…
Nous avions alors été heureux que nous n’étions en rien l’auteur d’une fake news avant la lettre… Sacré M. Rivet ! Quand bien même, quand on y réfléchit, cette histoire pourrait presque servir de case study à des étudiants en journalisme. À savoir que tout journaliste consciencieux ne peut diffuser une nouvelle tant que l’information n’a pas été vérifiée et contre-vérifiée jusqu’à ce que le moindre doute qui subsiste encore à son sujet ne soit complètement dissipé… C’est la leçon que nous retenons de l’incrédulité affichée par le grand journaliste que fut le directeur général du Mauricien Ltée par rapport à cette affaire de parcmètre.
Sans doute parce que ses journalistes et lui ont subi les affres de la longue censure de la presse imposée par qui on connaît à l’époque de l’état d’urgence, M. Rivet a toujours défendu la pluralité d’opinions au sein de ses équipes rédactionnelles. En effet, jamais un seul jour ne s’est-il permis de nous empêcher de penser autrement que lui. À ce titre, il était dans la catégorie des patrons de presse qui ont longtemps compris que du choc des idées jaillit toujours la lumière.
Le directeur général du Mauricien Ltée en savait aussi des choses de la politique. Les sondages d’opinion qu’il commandait auprès de son ami et proche collaborateur Hervé (Tivé) Masson Jr et que publiait Week-End se révélaient toujours justes. Grâce à son réseau étendu de contacts, M. Rivet parvenait très tôt à prévoir l’issue de différents scrutins. Ainsi, longtemps avant le jour des élections de 2014, et alors même que tous prédisaient une très large victoire de l’alliance PTr-MMM d’alors, il nous confiait en aparté que la défaite allait être retentissante pour le tandem Ramgoolam-Bérenger. Et au final, il n’avait pas tort. Pour les législatives de 2019, c’est lui encore qui nous confiait que le MSM allait laminer le PTr, notamment en milieu rural. Une fois encore, il ne s’était pas trompé… C’est dire que son flair et son intuition ne l’ont pas trahi.
En conclusion, « Pas de pauvres chez toi », cette maxime tirée du Livre du Deutéronome dans l’Ancien Testament, qui est aussi le titre d’un livre de René Coste que nous avions acheté et que nous avions une fois égaré, « par inadvertance » dans son bureau le temps d’un « koz-koze », résume parfaitement le type de personne que le directeur général du Mauricien Ltée a toujours été sur un plan humain : un homme profondément bon envers son prochain et qui avait le cœur sur la main.
Merci M. Rivet…
Hermann Assy
Souvenirs
Sans Jacques Rivet…
« Ce ne sont pas seulement les partisans d’un courant politique qui lisent Week End, mais les Mauriciens dans leur diversité, et ils doivent se retrouver dans notre journal. »
Mardi dernier, quand le cercueil bleu de Jacques Rivet, poussé par son épouse et ses filles, s’est arrêté devant l’immeuble du Mauricien, juste sous son ancien bureau donnant sur la rue St Georges, les souvenirs du début de notre collaboration sont remontés à ma mémoire. C’était en 1985, deux ans après les élections de 1983 qui avait divisé le pays entre ceux qui étaient du bon côté de la montagne, celui du MSM et de ses alliés de l’époque, et les autres. Pas loin de la moitié de la population mauricienne. Ayant travaillé à la municipalité de Rose-Hill, à l’époque où elle était la capitale culturelle du pays, j’étouffais de la voir transformée en département administratif. Je voulais faire autre chose. J’ai écrit à Jacques Rivet pour lui demander s’il avait quelque chose pour moi dans son groupe. Il ne m’a pas répondu, mais il m’a téléphoné pour me dire : « Viens. tu commences demain. » C’est ainsi que je suis entré à Week-End et dans le journalisme. Jacques m’a d’abord installé dans un petit bureau au dernier étage, à côté des archives, avant de me faire descendre au premier, à l’étage de Week-End. Auprès de lui, j’ai appris qu’il ne suffisait pas de savoir écrire pour être journaliste, que ce métier était fait de 95% de travail assidu et de transpiration, et de 5% de talent, comme devait me le dire plus tard Jean-Pierre Elbakach dans une interview. Jacques m’a également transmis l’amour de ce métier à nul autre pareil, qui bouffe le temps qu’on devrait consacrer à la famille et qui s’impose à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Car l’actualité n’a pas d’horaire et ne respecte pas les heures de bureau. Avec Jacques Rivet, j’ai appris à juger de l’importance d’une information, à l’extirper du flot inutile qui l’entoure souvent ; à ne pas me contenter de ce qu’affirme un informateur – surtout si c’est un politicien ou un agent politique ; à ne pas publier une information sans l’avoir vérifiée et contre vérifiée et, surtout, de toujours respecter le lecteur. Il répétait que c’est à l’intelligence du lecteur que l’on doit s’adresser, pas à son émotion. Comme c’est, malheureusement, de plus en plus le cas aujourd’hui. J’ai commencé par des chroniques sur le cinéma – qui était encore une des principales distractions à Maurice, puis, sur les émissions de radio télévision – il n’y avait alors que la MBC dans le pays audiovisuel mauricien –, et après, bien après, sur la politique, alors, le sport le plus populaire à Maurice. Mais avant, je m’étais un peu spécialisé, par curiosité, dans les sujets de société et les rencontres avec les artistes de passage à Maurice. Ce qui m’avait permis de découvrir que Jacques Rivet était un passionné du spectacle avec une prédilection pour le cirque. Il ne rata le passage d’aucun d’entre eux à Maurice, passant autant de temps dans la salle que dans les coulisses pour discuter de la préparation technique d’un numéro en tâtant et testant les « accessoires » dont, une fois, un python royal… Il était un journaliste dans l’âme et affectionnait le travail sur le terrain, la rencontre avec les gens petits et grands. À chaque fois qu’il le pouvait, il allait suivre l’évènement là où il se déroulait. Parfois de façon, disons intempestive. C’est ainsi qu’un soir, je l’ai vu débarquer dans une taverne des faubourgs de Vacoas où j’attendais discrètement un témoin. Il devait me remettre des pages du log book des sentinelles de la résidence Bacha dont l’incendie devait donner lieu à l’un des plus célèbres faits divers de notre histoire. L’intrusion incongrue de Jacques Rivet jouant au client de passage voulant acheter des cigarettes provoqua un silence dans la taverne et fit fuir le témoin…
Il prenait le temps de lire attentivement tous les textes. D’abord, ceux qui constituaient le premier tirage, les pages magazines de l’édition. Puis, le samedi soir, il venait participer à la sélection et à la mise en page des textes constituant le dernier cahier : la politique et l’actualité dans la première partie, le sport et les résultats des matches de foot anglais ou des courses pour la dernière. Et là, en technique, il montrait qu’il savait tout faire dans l’élaboration d’un journal : depuis l’écriture jusqu’au montage, en passant par le choix des photos, la rédaction de leurs légendes et la chasse aux coquilles, qui parviennent toujours à se glisser dans un texte, malgré les multiples corrections préalables. Toto Soobye, grand chasseur de coquilles, aurait des tonnes d’anecdotes à raconter sur le sujet. Le travail, commencé en début de semaine, connaissait son peak le samedi soir et se terminait le dimanche matin quand Gaëtan Montenot remontait de l’imprimerie – d’abord située à Port-Louis, puis à Riche-Terre – avec les premiers exemplaires du journal imprimé. Un journal qui allait être lu, comme chaque dimanche, par des milliers de Mauriciens et, souvent, provoquer de vives réactions sur le champ ou en début de semaine. Les politiciens se disent tous démocrates et pour la liberté d’expression, mais quand ils sont mis en cause, ils se transforment en dictateurs réclamant au directeur du journal des sanctions contre le journaliste qui a osé les critiquer. Un autre des nombreux traits de caractère de Jacques Rivet est qu’il a toujours défendu ses journalistes contre les mauvais coucheurs ou les réfractaires à la critique. Il a toujours privilégié la diversité dans l’information et même dans les opinions. « Ce ne sont pas seulement les partisans d’un courant politique qui lisent Week End, mais les Mauriciens dans leur diversité, et ils doivent se retrouver dans notre journal. » C’est ainsi que Week-End, au contraire des autres publications, pouvait – et peut – avoir dans la même édition deux points de vue diamétralement opposés sur le même sujet, surtout politique. Josie Lebrasse peut en témoigner. Cette pluralité demeure une des marques de fabrique de Week-End voulu par son concepteur. Notre hebdomadaire reflète toutes les tendances politiques du pays dans sa diversité et, souvent, sa complexité. Cela fait un peu cliché, mais c’est une réalité : Le Mauricien se retrouve dans Week-End, son journal de référence. C’est ce qui explique son succès depuis sa création, malgré le fait qu’il ait été – et soit encore – l’objet de boycott de la publicité institutionnelle qui remplit les colonnes d’autres organes de presse, tirant à seulement quelques centaines d’exemplaires.
Nous n’avons pas toujours été d’accord sur tout, mais même dans les désaccords, il y a toujours eu un respect mutuel, de plus en plus rare dans la profession, pour ne pas dire dans la société mauricienne. Il a toujours respecté mon point de vue et je le répète : même quand il ne partageait pas mon opinion, il ne m’a jamais censuré. J’ai donc continué mon itinéraire à Week-End où j’ai commencé à réaliser des petites, puis, plus tard, de longues interviews, et à écrire, de temps en temps, un billet d’humeur qui est devenu, par la suite, une chronique hebdomadaire. L’introduction de nouvelles technologies et l’ouverture de nouveaux titres m’ont incité, à un moment, à quitter Week-End pour aller voir ailleurs dans la presse mauricienne. Quand je suis allé lui dire que je partais, Jacques m’a demandé si j’avais bien réfléchi et m’a dit que de toutes les façons, sa porte me serait toujours ouverte. J’avais fait un détour par Cinq Plus, par l’Express et j’étais à Business Magazine quand j’ai revu Jacques par hasard. Il m’a dit, sur le ton d’un père qui reproche une incartade à un de ses enfants : « Dis-moi, tu n’es fatigué décrire pour seulement quelques centaines de lecteurs ? Reviens à Week-End pour partager ton opinion avec le plus grand nombre. » Je l’ai écouté et je suis revenu à Week-End où, selon les partisans d’un journalisme aseptisé et sans aspérités, je sévis tous les dimanches. En faisant le compte, cela fait près de quarante ans que je fais partie de la presse mauricienne et j’ai passé les trois quarts de cette période de temps – la moitié de ma vie ! – à Week-End où, en 1985, Jacques Rivet m’avait dit au téléphone : « Viens, tu commences demain. » Sans lui, je ne serais pas devenu ce que je crois être : un journaliste qui essaye de bien faire son métier.
Ce sont tous ces souvenirs qui sont remontés à ma mémoire, mardi dernier, alors que les employés du Mauricienapplaudissaient une dernière fois leur directeur général, camarade de travail et ami. Son cercueil bleu m’a également rappelé des paroles d’une chanson de Gilbert Bécaud :
Quand il est mort le poète, tous ses amis pleuraient
Quand il est mort le poète, le monde entier pleurait
Je vois des sourires ironiques se former sur les visages de certains lecteurs. Non, je ne suis pas en train de tomber dans l’exagération des hommages posthumes dithyrambiques. Le fondateur de Week-End était, à sa manière, un poète, qui, selon la définition du Larousse, est « une personne sensible à ce qui est beau, un rêveur et un idéaliste ».
Est-ce que ce n’étaient pas quelques-unes des principales caractéristiques de Jacques Rivet ?
Jean-Claude Antoine
Hommage to Mr Jacques Rivet
It is with great sadness that I learned of the demise of my very good friend Jacques Rivet.
I have known him for many years. The ties of friendship between him and CITY CLINIC have been consolidated and have grown over the years.
I have regularly been in contact with Jacques and whenever I had to see him for anything, he was always ready to welcome me and my close collaborators.
Jacques was a man of extraordinary culture and kindness. He had immense skills not only as in the field of communications, but I reckon his leadership and innovative spirit at the helm of Le Mauricien. He was the backbone of Le Mauricien and we all salute what he had done.
I remember vividly that in one one recent visits to his office of Le Mauricien, together with Dr Audrey Cwc and Dr Michael Ah Tow, he was so delighted to show us how he crafted his cupboards and shelves. He had this innate ability to excel in the way he personally devised novel ways to build storage capacity.
As a man of communication, he was an exquisite professional and he was always keen to show us his archives, especially on Mauritian history.
I, on behalf of the management, staff and Directors of CITY CLINIC group wish to convey all my sympathies to Jacques’ family and staff of Le Mauricien. Jacques is a friend whom I shall always remember.
Dr Patrick J. CHUI WAN CHEONG
CHAIRMAN CITY CLINIC GROUP
11 April 2022
Hommage de Josie Lebrasse — Adieu l’artiste
Jacques Rivet est parti. Lorsqu’il y a deux ans tu m’as appelée pour m’annoncer qu’une méchante bête t’avait piqué, tu l’avais fait avec ton sens de l’humour très particulier en ajoutant que « j’ai dit au gars d’en haut que je ne suis pas pressé de le rejoindre ». Que la fin peut être repoussée. Que la mort peut attendre. Lors de nos tout derniers échanges, il y a quelques semaines, tu me disais, résigné mais serein, que ton cancer ne se résorbait pas, bien au contraire. Et cette fois, tu m’as tout simplement dit « je suis en partance ».
Notre première rencontre, c’est comme si c’était hier. Alors que notre collaboration aura duré près de 42 ans. Toute une vie ! Je me souviens encore du premier acte de ce long cheminement. Tu étais venu me chercher pour me dire qu’une de tes journalistes s’envolait pour de nouvelles aventures sous d’autres cieux et qu’elle t’avait suggéré de me contacter. Mon profil t’intéressait, pas parce que j’aurais été un crack, mais parce que je m’intéressais à la politique et que les femmes, à la fin des années 1970-début 80 ne s’approchaient pas trop de ce milieu fermé, confisqué par le mâle prépondérant, si ce n’est dominant. Déjà un pari audacieux. Parce que les femmes journalistes étaient alors astreintes aux rubriques mode, couture et recettes de cuisine. Fallait oser ! Et c’est ainsi qu’a démarré cette formidable aventure au sein de Week-End, ce « bébé » que tu as fait tout seul, comme le dirait Jean Jacques-Goldman. Un journal avec une ligne jeune, revendicatrice, militante et présente sur tous les sujets, sociaux surtout. C’est ta plus belle réussite.
Au fil de ces années passées à travailler sous la direction de Jacques Rivet, il y a certes eu des moments de divergences inévitables, des sujets de discorde, mais la règle a toujours été la liberté. De dire, de dénoncer, de commenter et de soutenir lorsque la situation l’exigeait. Une ligne jamais démentie.
Si le style du directeur est demeuré prégnant dans la mémoire de l’entreprise, c’est parce qu’il est quelque part unique dans l’histoire de la presse contemporaine. Jacques Rivet, qui a fait un peu tous les métiers de la presse, était animé d’une passion dévorante pour ce métier si socialement utile et gratifiant. La presse était pour lui un sacerdoce, une mission, une passion. Jacques n’a jamais fait que ça de sa vie, même s’il portait un intérêt soutenu pour le sport, les arts et la culture. Il n’était pas du genre à vendre des chemises ou d’autres produits à côté ou à utiliser sa position comme un tremplin pour de bonnes affaires, pour la politique ou pour une nomination.
Non, pour lui, la presse, la plus noble des aventures, n’est pas une entreprise comme les autres et encore moins une industrie. Elle était trop importante pour lui pour qu’il se disperse. D’où toute une vie consacrée à son groupe de presse. Avec lui, le moins de hiérarchie possible dans les rapports entre collègues, mais le respect, cependant, en toutes circonstances. Il lui arrivait de faire lire ses propres articles par quelques seniors de la rédaction, question d’avoir un autre regard sur ses écrits. C’est dire que pour directeur qu’il aura été, pour le fils unique d’une fratrie qui l’aura choyé et adoré, ce ne fut jamais la grosse tête, que certains, aujourd’hui, prennent à peine quelques mois passés à rapporter les événements.
Avec lui, l’insistance auprès de ses journalistes pour demeurer spectateurs et non jouer à l’acteur et entrer en compétition avec les politiques. Et surtout pas de titres ronflants distribués à gauche et à droite pour satisfaire des ego surdimensionnés et entretenir les rêves de vedettariat de quelques frustrés en mal de reconnaissance tombés par hasard dans la presse. Lui qui était journaliste, photographe, technicien, se méfiait de ceux qui, pour se donner de grands airs et de l’importance, se contentaient de juxtaposer deux mots savants pour impressionner leurs suiveurs sans rien connaître du terrain qu’il se faisait, lui, le directeur, un devoir d’arpenter pour être au plus près de l’actualité.
Il avait aussi une manière d’embrigader, de mobiliser ses équipes qui étaient rare. Cela créait souvent de joyeuses équipées. On pouvait, dans la même journée, commencer à Cap Malheureux et conclure à Mahébourg, question de ne rien perdre des événements où qu’ils se déroulent. Et ces virées improbables pouvaient quelquefois se terminer chez lui au sous-sol de la maison familiale à la rue Virgil Naz, à Curepipe, ou ailleurs pour un débriefing de l’actualité du moment autour d’un verre.
Il y a le directeur qui savait apprécier la loyauté, mais il y avait avant tout l’homme. D’une exceptionnelle générosité et d’une déconcertante simplicité. Un soir où il avait vu que la lumière était encore allumée à mon bureau, qui était juste à côté du sien, il est passé me voir pour me proposer de me ramener à la maison. Arrivés tous deux à la réception, l’officier de la sécurité était au téléphone essayant d’appeler plusieurs départements pour mettre la main sur un employé qui avait oublié sa « tant bazar » avec tous ses légumes. Jacques s’est tout de suite proposé pour aller déposer le colis chez lui. Et c’est ainsi que nous avons fait un crochet par Vacoas pour aller remettre la tant bazar à l’employé oublieux.
En fait, lui, le directeur, il connaissait l’adresse personnelle de tous les employés du groupe parce que cela lui arrivait de les ramener chez eux, où qu’ils habitent. Jacques Rivet a pratiqué l’égalité des chances bien avant que le concept n’existe. La promotion sociale, il l’a appliquée avant que les politiques ne s’en emparent.
Ils sont nombreux les fils ou filles de modestes employés qui ont connu de belles carrières au sein de l’entreprise. Lorsqu’on parle du Mauricien, ce n’est absolument pas exagéré de dire qu’il s’agit d’une grande famille. Avec ses inévitables tiraillements et ses moments de grande communion.
Jacques Rivet s’est lui-même décrit, avec une grande modestie, comme un « artisan » de la presse. Non, il avait, en fait, une âme d’artiste. Il n’y avait qu’à voir le choix du cercueil, de couleur bleu ciel, rehaussé par des inscriptions peintes à la main. Cela disait tout du personnage.
Les cheveux rarement coupés à la brosse, une tenue parfois colorée, un intérêt pour les travaux de construction, de bois, d’aménagement et de décoration, comme s’il était quelque part un architecte qui s’ignore, le choix du monochrome ou du sépia, des illustrations graphiques bien avant que les outils de la l’internet ne fassent le travail tout seul, tout dans le personnage révélait la recherche du bien si ce n’est du beau. Il avait concocté des unes du Mauricien et de Week-End et des montages de pages qui n’ont rien à envier à des œuvres d’art.
Celui que j’aimais jadis taquiner en l’appelant Jacquou le Croquant en référence au vieux feuilleton éponyme réalisé à partir de l’œuvre d’Eugène Le Roy nous a quittés. Son rire, ses blagues, son souvenir résonneront pendant longtemps encore dans cet immeuble de la rue St Goerges qui a été le témoin de tant de belles choses. Adieu l’artiste.
J. L.
Une perte incommensurable
ll y a de ces personnes qui touchent et marquent notre vie par leur grandeur d’âme, leur grande humanité, leur empathie, leur bienveillance, leur finesse, leur humilité et leur élégance intellectuelle. Monsieur Rivet en faisait partie.
Avoir un directeur comme lui est un privilège qui est rarement donné à quelqu’un dans une existence. Et ce privilège, nous l’avions eu (et nous sommes tellement chanceux que notre directeur actuel incarne les même qualités humaines que Monsieur Rivet – tellement rare de nos jours). La barre ne sera pas haute pour ceux qui souhaiteraient adopter cette formule qui devait être celle de Monsieur Rivet: « Faites de votre mieux au plus grand nombre car vos œuvres vous survivront. »
Monsieur Rivet a touché tant de familles et de personnes qui l’ont côtoyé ou qui ont eu le privilège de croiser sa route. Et j’ai la chance de compter parmi elles. Ma famille et moi-même avons pu mesurer ses grandes qualités humaines durant toutes ces années dans l’entreprise. Nous avons toujours eu des anecdotes élogieuses à son sujet. Il aura marqué la vie de nombre de ses employés qui ont pu s’appuyer sur sa grande générosité pour se relever et s’épanouir. Nos valeurs aujourd’hui s’inspirent grandement de sa sensibilité à l’humain.
Monsieur Rivet, pour toutes ces vies que vous avez contribué à rendre meilleures ; pour cette générosité naturelle et cette droiture qui auront imprégné plus d’un ; pour cet empathe, homme juste, simple, humble, d’une grande finesse que vous avez été ; pour votre présence chaleureuse, rassurante et lumineuse ; pour ce directeur plein d’humanité, d’humour, de bienveillance envers ses employés ; pour toutes ces valeurs qui nous inspirent ; pour cette belle aura lumineuse, qui a comme embrasé l’église à l’arrivée de votre cercueil, accompagnée de cette musique presque céleste et profondément touchante, je vous dis Merci.
Monsieur Rivet, vous n’êtes pas de ceux que l’on oublie. Je me rappellerai de vous toute ma vie. Vous laissez chacun de nous heureux et fiers de vous avoir connu.
À son épouse, ses enfants, sa famille : que nos témoignages vous donnent suffisamment de force dans ce moment douloureux.
Isabelle
Adieu et merci
L’ensemble de la classe politique et des médias a, à juste titre, rendu un hommage solennel à M. Rivet. Certes, son décès a plongé sa famille et l’entreprise dans une tristesse incommensurable, mais ceux qui l’ont encensé sur les réseaux sociaux ont eu le mérite d’éveiller l’intérêt et l’attention de la population sur les étapes de l’ascension d’un homme doté d’un esprit brillant au moment même où les succès d’internet et des journaux gratuits en ligne provoquent, hélas, de plus en plus, la désaffection d’une grande partie des lecteurs du format papier, notamment des plus jeunes.
Contrairement à mes autres collègues qui ont travaillé sous la houlette de M. Rivet, durant de nombreuses années, l’occasion m’a été donnée de côtoyer cet illustre personnage, une seule fois, au moment où il prenait de moins en part à la rédaction. C’était en 2018 et je faisais alors mes premières armes dans le métier. Nul besoin d’épiloguer sur le stress qui s’est emparé de moi lorsqu’il m’a proposé de rédiger un papier pour lui sur la technologie des panneaux solaires nouvelle génération, car compte tenu du franc-parler qui le caractérise, je me doutais bien que je n’avais pas droit à l’erreur et que le résultat devait être à la hauteur de ses attentes, sous peine de me faire remonter les bretelles. Son acquiescement de la tête au moment de lui présenter le travail a constitué un ouf de soulagement.
J’ai été frappé par sa sincérité et son désir d’échanger sur d’autres thèmes, à l’instar d’un dossier qu’il préparait sur les conséquences du retour des trains à Maurice qu’il voulait me refiler. Les conseils qu’il m’a prodigués à la fin étaient judicieux et m’ont réconforté dans mon choix de carrière. Adieu patron.
ANDY SERVIABLE
Mémoires vives
C’était le 9 janvier 2022. Alors que nous tous se remémorent le Jacques Rivet des grands jours, précurseur de la presse, patron humaniste arpentant les couloirs du Mauricien — tant qu’il fallait lui courir après si on tenait absolument à lui parler —, dandy aux couleurs flamboyantes mais avec ce petit je ne sais quoi de négligé qui posait le personnage et surtout journaliste résolument solidaire de ses journalistes, même au temps le plus explosif des polémiques, le Jacques Rivet que j’ai connu dès l’âge de 17 ans, alors stagiaire au journal puis comme journaliste pendant de longues années, était resté le même, ce 9 janvier, alors que la maladie suivait son cours inexorable. La longue phrase, c’est pour rendre hommage à son style d’écriture !
Il était certes amaigri, mais nullement amoindri. Le regard était toujours percutant, la mémoire vive, toujours centrée sur la presse, l’écrit, l’histoire et les histoires. Il était l’un des rares (avec ma mère) à prononcer mon nom « Marilène » depuis toujours et pendant toute cette longue rencontre, il a trouvé moyen de relever une erreur commise dans un livre historique récemment écrit, avec explications à l’appui, sans compter le schéma qu’il vous dessinait pour bien vous faire comprendre où se situait l’erreur. Le Jacques Rivet habituel, quoi ! Le Jacques Rivet journaliste, à l’affût de la véracité des faits. Puis, sans céder à la fatigue alors que la journée s’allongeait, il a retiré des tiroirs les tirages — qu’il m’a offerts — des différentes publications au fil des commémorations, les 30 ans de Week-End, ses 60 ans de carrière équivalant au 60e anniversaire du décès de son père Raoul Rivet et tant d’autres encore…
Il tenait à partager sa mémoire, à faire sien le mot de Paul Valéry — « La mémoire est l’avenir du passé ». Ses quatre magnifiques filles étaient là, tout en tendresse ; sa femme Jacqueline en souriante humeur et gentil humour teinté de tristesse qu’elle essayait de cacher derrière son éclatant sourire devant cet époux — journaliste qui est décidément incorrigible, toujours le même avec ses journalistes ; ses petits-enfants — les plus grands plus attentifs et les plus petits joueurs : un bon dimanche en famille, incluant sa famille journalistique dont je fus l’humble et fortuite représentante ce 9 janvier 2022. Et c’était le dimanche, jour de Week-End, notre journal, notre lecture du pays, notre histoire avec Jacques Rivet.
Marylène François
Dernière lettre à Jacques
Je suis triste de te savoir malade et je pense souvent à toi en ce moment. Et comme ce n’est pas facile d’arriver à se joindre, très concrètement, j’ai trop envie de te parler quand même, donc je prends la plume de ma souris, juste au cas où toi, tu oublierais de penser aux Français de Saint Sever, bien que je sois convaincue d’être inoubliable, évidemment !!!
Dis-moi, tu te souviens de la première fois qu’on s’est vus ? Dans ton magnifique jardin, par une magnifique journée, j’étais très triste de vous annoncer la disparition de mon fils et vous m’aviez fait un bien immense. Tant de chaleur humaine et d’amour émanaient de vous tous ! C’était impressionnant ! Et tu sais quoi ? J’ai toujours gardé une image de ta tête ce jour-là. Une tête d’un bonhomme hyper sérieux que je ne pouvais même pas prendre trop au sérieux parce que derrière ta tête d’ours puissant, protecteur et impressionnant je voyais un cœur de nounours tendre tellement responsable du bonheur de ceux qui l’entouraient.
Je dois dire que j’aurais dû être impressionnée par le personnage médiatique, mais j’ai toujours préféré le papa que je voyais, l’immense intelligence que j’ai toujours admirée, et la passion dans tes yeux. Le reste, ça sera toujours chouette chez toi aussi, c’est sûr quand même, mais bon, quand tu étais chez moi sur la terrasse avec Tatiana, quand on faisait une éclade en mettant le feu aux moules, quand tu faisais ton incomparable salade de fruits, j’avoue que j’ai adoré partager ces moments. Mais j’ai encore perdu ta recette.
Ça m’énerve…
Il y a longtemps que je voulais te dire tout ça et j’enrage de ne pas pouvoir prendre l’avion pour te le dire les yeux dans les yeux. Le temps passe trop vite et parfois, je me la joue un peu timide, d’accord…
Tu sais quoi ? J’ai détesté ton côté têtu-bourrique qui nous a imposé une balade en bateau dans le lagon. Tu sais quoi ? J’ai adoré ton côté têtu-bourrique qui nous a imposé une balade en bateau sur le lagon. Tu sais quoi ? Tu avais raison. Tu imagines comment c’est agaçant d’être agacé par quelque chose qui se révèle tellement génial ?
Ça m’énerve.
Ben voilà, c’est ça les contradictions de mon ami Jacques. Il a raison, mais il provoque des émotions contradictoires d’un instant à l’autre. Oh ! Cher Jacques, un coup d’œil et le monde pouvait faire semblant de trembler, un autre coup d’œil et tu reconstruis tout un univers. Mais comment tu fais ?
Ça m’énerve.
J’ai plein de questions à te poser. Sur ton histoire dont tu as dit quelques mots et qui est tellement passionnante. Sur tout ce que tu aurais pu m’apprendre aussi, mais tu sais quoi ? Tu m’as fait un cadeau que tu ne soupçonnes même pas. Figure-toi que tu t’appelles Jacques et que tu as restauré un autre Jacques, mon père. J’aurais donné n’importe quoi pour voir dans ses yeux à lui ce que j’ai vu dans tes yeux quand tu regardes tes merveilleuses filles. Et pour ça, je dois te dire un grand merci. Ça m’a fait un bien fou, il y a donc des Jacques qui aiment leurs filles ? Wahou ! Et voilà, encore une émotion dans mon cœur à cause de toi.
Ça m’énerve.
Bon bref, tu es un attachiant. De ceux dont le monde ne peut pas se passer, bien qu’ils nous énervent parce qu’ils nous dépassent sur tant de points, probablement…
Comment dans ces conditions ne pas t’aimer ?
Bon là ça suffit, je te dirai le reste en direct et en attendant je t’embrasse bien fort…
Et embrasse aussi toute ta belle famille, vous me manquez tous, vous êtes dans mon cœur parce que je vous ai adoptés et dans ma tête vous faites partie de ma famille. C’est comme ça ! Ouh la la !
Dominique Lamari
L’histoire d’une longue amitié qui est née par le pur des hasards
Heinz Doepgen, un Belge, nous raconte comment, par le pur hasard, il a rencontré, il y a 48 ans, Jacques, alors jeune imprimeur et éditeur. C’était une amitié profonde, qui aura duré toute une vie. Jacques considérait Heinz comme son meilleur ami. Heinz se souvient de Jacques lui disant : « Si je jamais je meurs, tu dois venir le jour même car ici, à Maurice, ils enterrent les morts très vite, si vite que certains n’étaient pas tout à fait morts. Promets-moi de venir vérifier. »
L’histoire de cette grande amitié a pris son départ en 1974. J’avais réservé un vol pour trois semaines de vacances aux Philippes avec mon épouse Loulou. Arrivant à l’aéroport de Francfort, la compagnie Lufthansa nous annonce un imprévu… pour des motifs politiques, le vol est annulé. En échange, il nous est proposé un vol pour l’île Maurice. L’île Maurice ? Encore jeunes et bêtes, nous ne savions même pas la situer sur le globe terrestre… nous avions vaguement entendu parler d’un timbre, le Blue Penny, mais rien de plus.
Nous embarquons donc pour un long périple… Francfort/Istanbul, Istanbul/Djibouti, Djibouti/Tananarive, Tananarive/Saint-Denis puis enfin Saint-Denis-Plaisance. Comment imaginer à cet instant qu’il eut fallu une annulation de vol puis ces quatre escales pour faire cette rencontre si extraordinaire… celle de Jacques, avec qui j’ai été profondément lié toute ma vie.
En arrivant, j’ai loué une petite voiture pour aller découvrir l’île. Premier lieu incontournable à visiter : la capitale. Je me gare dans une petite ruelle et en sortant, j’entends une voix qui crie : « Attention ! Attention ! » Je vois alors une bobine de papier d’environ 1 200 kilos qui s’était échappée du camion car, probablement, la cale avait été enlevée trop tôt. Je devine qu’une imprimerie, d’une importance assez notoire, doit se cacher quelque part, pas loin de là. Moi-même imprimeur et issu d’une lignée d’imprimeurs depuis 1866, je m’approche avec curiosité du jeune homme que je venais d’entendre crier et qui dirigeait les bobines (il s’agissait en fait de Gaëtan) et je lui demande : « Puis-je visiter votre imprimerie ? » Il accepte immédiatement et me conduit vers la rue Saint Georges.
C’est alors que je découvre, avec un certain étonnement, les équipements : une intertype (machine à composer des lettres en plomb) et une rotative typo duplex (base de caractère en relief). Je constate tout de suite quelques anomalies mineures, mais que je savais pouvoir régler, car je venais de passer une formation pour ces mêmes machines. Gaëtan me fait confiance et me laisse œuvrer. Après quelques heures de travail, je vois arriver Jacques, alors directeur et rédacteur en chef. La chose qui m’a le plus impressionné lorsque j’ai commencé à échanger avec Jacques, c’est sa maîtrise de la technologie alors que je m’attendais à rencontrer un « simple » rédacteur en chef. Il maîtrisait tout le bazar de A à Z. Complètement séduit et happé par cet après-midi, j’ai finalement passé une petite semaine à l’imprimerie, délaissant ma femme à l’hôtel qui n’était pas très contente que je travaille pendant nos vacances tant attendues.
Jacques est venu quelques mois plus tard en Belgique pour visiter mon imprimerie et il m’a demandé si j’étais d’accord de former son personnel. À cette époque, nous étions à la frontière d’un changement technologique majeur dans le monde de l’industrie graphique, passant de la composition de caractère en plomb vers la photocomposition (base du procédé de l’offset). Jacques a tout de suite compris qu’il fallait saisir la vague et il a décidé d’investir dans l’offset pour faire prospérer son imprimerie.
Depuis notre rencontre, il a fréquenté régulièrement l’Europe. J’étais en quelque sorte son conseiller technique, accompagné de Gaëtan et plusieurs autres collaborateurs. Ensemble, nous avons visité toutes les imprimeries et maisons d’édition importantes en Allemagne et les fabricants de rotative tels que Albert, KBA et Man. Il n’a jamais manqué la « Drupa », la plus grande exposition mondiale de l’industrie graphique, qui a lieu tous les quatre ans à Düsseldorf. Jacques se rendait également à d’autres expositions telles que l’Impex à Birmingham.
Grâce à ses visites, son imprimerie était toujours au sommet de la technologie. Il y a une quinzaine d’années, après une longue recherche, il a finalement fait le choix d’acheter la reine des rotatives : une Man Uniset 60 (capacité 60 000 exemplaires par heure).
Mon ami Jacques avait dans ma maison en Belgique ce qu’il appelait « ma chambre ». Entre temps, il maîtrisait la géographie de l’Europe centrale mieux qu’un indigène. Atterrissant à Rome, Paris, Londres ou Berlin, grâce à sa capacité d’orientation, il savait toujours se débrouiller, par n’importe lequel des moyens disponibles (train, bus…) pour arriver, par ses propres moyens, jusqu’à « sa chambre ».
Un des plus grands voyages que nous avons faits ensemble, c’était un tour d’Europe, avec sept de ses collaborateurs qui allaient devenir les conducteurs de la reine des rotatives. L’objectif de ce voyage était de former son personnel. Mais avec Jacques, la formation ne se limitait pas à la pure technique. Il voulait aussi offrir à ses collaborateurs une nouvelle vision et susciter chez eux la passion pour ce métier qu’il aimait tant.
En plus de son savoir-vivre, c’est sa passion communicative et son désir d’offrir le meilleur à ses collaborateurs qui a permis à son imprimerie de prospérer.
Il y a trois semaines, lorsque ta fille Tatiana m’a appelé pour m’informer de la détérioration de ton état de santé, j’ai immédiatement dit : « Je viens. » Le billet était pris, mais je n’ai pas pu prendre mon vol, car je me suis aperçu que mon passeport avait expiré. J’ai renouvelé en urgence mon passeport et réservé un autre billet. Mais à nouveau, je n’ai pas pu prendre mon vol, car mon test PCR s’est avéré positif. Alors que c’est un vol annulé, il y a 48 ans, qui m’avait conduit à toi, pourquoi le destin devait-il s’acharner contre moi pour m’empêcher de venir te voir pour être à ton chevet ?
Enfin, le 10 avril, j’ai pu prendre mon vol. En décollant, j’ai eu un mauvais pressentiment, avec une phrase qui me venait en tête : « Tu vas arriver trop tard. » C’est en arrivant au bungalow de Trou-aux-Biches, en voyant le visage de Jacqueline, que j’ai compris. Tu as commencé ton nouveau voyage juste après le décollage de mon avion. Je suis profondément triste, mais je me souviens de la promesse que je t’avais faite il y a 48 ans. Promesse tenue mon cher ami. Et je viens de comprendre pourquoi tu m’avais fait faire cette promesse, ce n’était pas pour vérifier si tu étais bien mort, mais pour être là pour ta famille que tu aimais tant.
Au revoir mon ami, aventi galoppi !
Merci infiniment, Jacques !
Jacques Rivet a joué un rôle capital dans ma vie, dès mon adolescence, en une profession que j’ai exercée avec passion au sein de trois de ses publications de l’île natale : Week-End, puis Le Mauricien et Week-End Scope, avant de revenir à Week-End sous la houlette de Bernard Delaître.
J’avais 15 ans quand a paru mon tout premier article dans Place aux Jeunes, lancé à l’initiative de Jacques Rivet, et qui paraissait en pages centrales de Week-End. En fin d’après-midi du lundi, dans la salle des chorales de l’église Notre-Dame de Lourdes, à Rose-Hill, se retrouvait une joyeuse bande de potes férus de journalisme, dont j’étais la benjamine, pour concocter ensemble notre « bébé » du dimanche suivant, conçu autour de thèmes de société les plus divers, tout en mangeant des gâteaux piment et samoussas chauds achetés non loin du Plaza. Chaque « papier » nous rapportait alors Rs 5 à Rs 50, et nous en étions ravis ! Jacques aussi.
De ce creuset de la fin des années 1960 et des années 1970 allait jaillir une fabuleuse équipe de reporters tels Gérard Cateaux, Gilbert Ahnee, Jean-Clément Cangy, Coll Venkatasamy, Breejan Burrun, Marc Atchiane, Kishore Mundil et Luc Ah-Choon qui, au fil des années, allaient éclore à différents postes de responsabilité dans les journaux de la société, toujours encouragés et soutenus par Jacques Rivet.
Ah, cette salle de rédaction commune jouxtant le bureau de JR, au premier étage du Mauricien Ltee, où, au lendemain de mes 24 ans, j’intégrais l’équipe avec, assis à ma gauche, l’ami Coll et, à ma droite, le fougueux Michel Dedans. Dans le cercle, l’inénarrable Daniel Appave, les reporters sportifs Janot Delaître et Alain L’Homme et, à côté, le si cool redac’en chef Gérard Cateaux. Nous avions plein de projets, beaucoup d’enthousiasme, et Jacques nous inspirait par son exigence professionnelle et son engagement indéfectible pour une presse libre.
Il m’avait donné « carte blanche » quand je suis entrée à Week-End comme employée (disant en souriant n’être pas le patron, mais un collègue), et quand, quelques années après, je quittais Maurice pour aller vivre à La Réunion, puis en France, il m’a dit que j’aurais toujours une place dans son entreprise de la rue St Georges à Port-Louis. Et il a tenu parole, même bien après, au gré de mes éternelles pérégrinations en Inde et de mes affinités yogiques. Toujours dans le respect et la bienveillance. Sa gentillesse, son sens de l’humour et son profond humanisme resteront à jamais ancrés dans mon cœur. Ma gratitude envers Jacques Rivet est infinie. Que son âme passionnée repose en Paix.
Roselyne-Aseema Lanfray