Interview – Narendranath Gopee (négociateur de la Federation of Civil Service and Other Unions et président de la NTUC)

« GM pe donn dann lame drwat, me pe pran dan lame gos »

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Narendranath Gopee occupe depuis peu les fonctions de négociateur de la Federation of Civil Service and Other Unions (FCSOU). L’ancien président de la FCSOU, qui est toujours président de la National Trade Union Confederation (NTUC), livre ses impressions sur les récentes déclarations du nouveau ministre de la Fonction publique, Anjiv Ramdhany, et les différents thèmes ayant fait la une de l’actualité ces derniers temps, notamment le jugement de la Cour suprême déclarant la section 250 (1) de la Constitution du pays anticonstitutionnelle, les prix des carburants, le projet de transformation de la fonction publique, ou encore le protocole des grosses averses existant dans le secteur public. Pour lui, le jugement de la Cour suprême constitue une avancée constitutionnelle, mais c’est un « recul sur le plan moral ». Il affirme aussi que la récente hausse des prix des carburants est un coup de massue sur la tête des consommateurs, car cela a déjà entraîné une escalade d’augmentation des prix. Narendranath Gopee  se demande si la nouvelle ministre du Commerce, Dorine Chukowry, pourra faire le tour des stations-service pour recueillir les impressions des automobilistes, même avec la baisse du prix de l’essence car le prix du diesel a augmenté. Au fait, dit-il, « gouvernement pe donn dann lame drwat, me pe pran dan lame gos », avance le négociateur.

Comment accueillez-vous la déclaration du nouveau ministre de la Fonction publique, Anjiv Ramdhany, selon laquelle son ministère travaille sur un projet pour que le paiement du Lump Sum des fonctionnaires ne soit plus taxable ?

Le ministre a fait cette déclaration à l’occasion de la célébration du club Le Flamboyant ; je pense que c’était en toute sagesse. Il a également profité de cette occasion pour dire qu’il a l’intention d’instituer un système de mentorat pour s’occuper de recrues dans la fonction publique. Pour ce faire, il compte faire appel aux compétences des fonctionnaires du troisième âge. C’est une bonne décision, mais celle-ci devrait également s’appliquer à lui-même en tant que nouveau ministre. Il doit trouver un mentor avant de faire une déclaration qui ne rime pas avec la situation financière du pays.

Il ne peut affirmer du jour au lendemain qu’il a l’intention d’abolir la taxe sur le paiement du Lump Sum. Ce n’est pas une mauvaise décision, mais avec la situation actuelle, les caisses publiques sont vides, et le gouvernement ne sera probablement pas en mesure d’abandonner la taxe sur le paiement du Lump Sum. Actuellement, seuls les fonctionnaires qui touchent moins de Rs 2,5 millions comme Lump Sum sont exemptés du paiement de la taxe. Ceux qui touchent un Lump Sum de plus de Rs 2,5 millions sont principalement des hauts fonctionnaires qui touchent de gros salaires.

Nous ne pouvons pas tout d’un coup vider les caisses publiques pour essayer de satisfaire les fonctionnaires. Pour moi, cette déclaration est teintée de politique, surtout à l’approche des prochaines élections générales. Cela ne fait pas sens de dire maintenant que la taxe sur le paiement du Lump Sum sera abolie pour les fonctionnaires.

J’ai également remarqué qu’il a parlé d’économie à hauts revenus. Je pense qu’il n’est pas très bien renseigné sur la réalité du terrain. Nous avons certes une économie à hauts revenus…, mais elle est virtuelle lorsque nous prenons en considération la dépréciation de la roupie, la hausse du coût de la vie, et le nombre croissant de sans-abri et de mendiants. Nous avons également un troisième âge qui se plaint constamment de percevoir une pension de mendiant. Je pense qu’il devrait rectifier un peu son discours. Si nous avions une économie à hauts revenus, je pense que tout le monde serait bien loti et que nos poches bien remplies. Pour moi, l’économie à hauts revenus n’existe que sur papier. Il ne faut pas faire accroire à la population que nous pouvons jouer avec les fonds publics.

Et donc…

Je crois savoir que la déclaration du ministre Ramdhany fait suite à une série de rencontres avec les syndicats. Il devrait dire quel est le groupe de syndicalistes rencontrés. J’aimerais savoir quel est ce syndicat de la fonction publique qui a demandé au ministre d’abolir la taxe sur le Lump Sum. Je dois également souligner que l’abolition du paiement de la taxe sur le Lump Sum ne relève pas de sa juridiction. C’est plutôt le ministère des Finances qui est habilité à enlever cette taxe. En tout cas, si elle est enlevée, cela coûtera des milliards à l’État. C’est une décision que le ministre des Finances, Rengananden Padayachy, est habilité à annoncer dans son prochain budget. Pour moi, le discours d’Ajiv Ramdhany n’est pas vraiment fondé sur la réalité du pays.

Quel regard portez-vous sur la performance du nouveau ministre à ce jour ?

La fonction publique a toujours eu le malheur d’avoir un ministre qui vient de s’inscrire en politique, et ne connaissant pas les rouages du Service Civil. Avoir un ministre de la Fonction publique de la trempe d’Ahmad Jeewa relèverait presque de l’impossible… C’est le meilleur ministre de la Fonction publique que j’ai connu à ce jour.

Après lui, il y a eu des ministres de la Fonction publique avec des réalisations nulles. J’aurais aimé en tout cas que le précédent ministre de la Fonction publique, Vikram Hurdoyal, vienne déposer son bilan en tant qu’ex-ministre. J’aurais également aimé que le Dr Anjiv Ramdhany vienne déposer son bilan lorsque le moment viendra.

Pour le moment, il est en train de faire un show avec ses rencontres avec les syndicats. Il est vrai que l’on veut rencontrer les syndicats pour les connaître. Je n’ai pas de problème avec cette manière de procéder, mais est-ce que cela va améliorer les services offerts par la Fonction publique au grand public ? Si je comprends bien, les rencontres avec les syndicalistes se déroulent en l’absence de son Secretary for Public Service. Pour moi, il y a encore du temps. Anjiv Ramdhany peut bien accomplir sa tâche, et d’ailleurs, lors de la dernière déclaration, je lui avais accordé 100 jours pour faire part de son premier bilan. La fonction publique est le poumon du business du pays. Tout passe par elle. Nous, en tant que syndicalistes, nous savons que le ministère de la Fonction publique est rongé de problèmes. Il y a un manque de personnel, des postes vacants non remplis, des perspectives de promotion qui bloquent, des zones d’ombre dans les Schemes of Service, le Pay Research Bureau qui produit des recommandations ambiguës et des contraintes ici et là. Il fallait mettre à la tête un ministre avec beaucoup d’expérience dans les affaires de la Fonction publique pour « trap sa pwalon so ki ena dan Fonksion piblik-la ».

Je pense qu’il est un peu trop tôt pour jeter un regard global sur le nouveau ministre, mais j’espère qu’il parviendra à résoudre les problèmes des fonctionnaires. Je déplore toutefois le fait qu’à ce jour, il n’ait pas encore convoqué les fédérations de la Fonction publique pour procéder à des échanges. Le ministre rencontre des syndicats, mais pas les dirigeants des fédérations syndicales. Trois fédérations sont reconnues dans la Fonction publique, et la moindre des choses est de les convoquer pour des réunions. Peut-être qu’il n’a pas envie d’entrer en confrontation avec les fédérations syndicales mais nous avons l’intention de lui dire nos quatre vérités !

La saison des pluies arrive à grands pas. Le protocole sur les grosses averses dans la Fonction publique doit-il être revu ?

Effectivement, ce protocole n’est pas applicable à toute la Fonction publique. Il ne l’est pas, par exemple, pour les fonctionnaires qui travaillent selon un système de shift. Il y a eu tout récemment un gros problème pour les employés de l’Imprimerie du Gouvernement. Il y a eu un jour un flash flood vers 15h alors que des employés s’apprêtaient à prendre leur shift de travail. Ils n’ont pu arriver sur leur site de travail, et ont dû rembourser leur journée de travail avec leur Casual leave. Ce n’est pas normal. C’est pourquoi je dis que le protocole de grosses averses doit être revu, car il ne s’applique pas aux travailleurs qui travaillent sur le système de shift ou sur roster. Il faut revoir ce protocole de Heavy Rainfall. Ce dernier s’applique également durant les périodes cycloniques.

Le projet de transformation de la fonction publique est-il palpable en ce moment ?

On parle souvent de la transformation de la fonction publique, mais les faits ne confirment pas cela. Il y a certes des formations dispensées pour aller vers une transformation, mais il n’y a pas a priori un plan pour la transformation du secteur public. Il y existe un plan de transformation virtuelle, comme les dix piliers de la transformation.

Avant de parler de ceux-ci, il faut déceler où se situe le problème. Il n’y a pas eu au préalable une étude en ce sens. Nous savons tous qu’il y a beaucoup de problèmes au ministère de la Santé, et jusqu’à maintenant la situation demeure inchangée. Lorsqu’on parle de la transformation de la fonction publique, c’est aussi celle de tous les ministères. Le problème est que le ministère de la Fonction publique n’est pas au courant de certains problèmes auxquels font face différents ministères.

Je ne vois pas en tout cas cette transformation de fond en comble, à part entendre ici et là que l’informatique va faire ceci et cela et que l’Intelligence artificielle fera le nécessaire. Est-ce cela qu’on appelle la transformation de la fonction publique ? Il n’y a eu jusqu’ici aucune étude faite en consultation avec les fédérations syndicales du secteur public. C’est nous, les syndicalistes, qui sommes au courant des problèmes de tous les ministères. Pourquoi ne pas mettre en place un comité comprenant des représentants des syndicats pour aller de l’avant avec cette transformation ?

Le nouveau ministre a fait savoir qu’il va marcher sur les pas de son prédécesseur. Fode so predeseser finn fer enn-de pa pour ki li kapav swiv. Il ne faut pas oublier qu’une représentante de l’UNDP a déjà préparé un rapport sur la transformation de la fonction publique, mais rien n’a été fait par la suite. On a parlé de la transformation de la Public Service Commission, de la Disciplined Forces Service Commission, des PSC Regulations. Mais jusqu’ici rien. Ce sont tout simplement des discours à effet d’annonce que nous entendons.

La seule amélioration est l’établissement d’un comité ayant trait au Scheme of Service au niveau du ministère. La fédération a dû beaucoup batailler pour obtenir ce comité. Je félicite le Secretary for Public Service, Bojrazsing Boyramboli, qui a déjà pris sa retraite. C’est lui, au fait, qui a institué ce comité.

Dans le passé, lorsqu’un ministre introduisait un amendement dans le Scheme of Service, on nous envoyait tout simplement une copie de celui-ci amendé pour prendre en considération nos points de vue. Par la suite, le ministère faisait ce qu’il voulait, car la procédure indiquait que lorsqu’un ministère amendait un Scheme of Service, il devait tout simplement consulter les fédérations syndicales ou les syndicats pour que celui-ci devienne légal. Avec cette procédure, un ministère pouvait faire ce qu’il voulait, retenir nos points de vue ou rejeter nos suggestions. Les trois fédérations de la Fonction publique ont fait pression pour la mise sur pied de ce comité vers fin 2019. Désormais, toute proposition dans l’amendement du Scheme of Service doit passer nécessairement par ce comité tripartite composé de représentants du ministère de la Fonction publique, du ministère concerné et de représentants des fédérations syndicales.

Pourquoi exprimez-vous des craintes à propos du paiement de la pension des fonctionnaires ?

C’est une discrimination flagrante. Il existe actuellement deux systèmes de pension pour les fonctionnaires, alors que le Pay Research Bureau (PRB) et la Public Service Commission s’occupent des conditions d’emploi et de recrutement. Avant janvier 2013, le système de pension était le Defined Benefit Scheme. Avec ce système, le fonctionnaire savait à l’avance ce qu’il toucherait en termes de Lump Sum et de pension mensuelle. Le Lump Sum équivaut à 25 mois de salaire, et la pension équivaut à la moitié de son dernier salaire.

À partir du 1er janvier 2013, le PRB a proposé l’introduction d’un nouveau système de pension. Le PRB a proposé un Defined Contribution Scheme, car le fonds de pension ne pourra pas être soutenu à l’avenir. Maintenant, le quantum de la pension ainsi que le montant du Lump Sum des fonctionnaires dépendront du montant de leur contribution. Ce qui est pire maintenant est que le montant de la contribution n’est plus versé dans le Consolidated Fund comme c’était le cas avant 2013, mais dans un plan de pension géré par la SICOM, qui investit dans des projets. Maintenant, si le fonds de pension de la SICOM est en difficulté, elle demandera alors à l’employeur d’augmenter sa contribution, et elle peut même aller jusqu’à demander le paiement des arriérés.

Nous avons déjà eu à faire face à une telle situation dans le passé. Donc, avec le nouveau système, l’employé n’est pas sûr du montant qu’il obtiendra à la retraite en termes de Lump Sum et de pension. Moi, je crains que le fonctionnaire risque de ne rien toucher si le système de la SICOM s’effondre. J’ai déjà demandé au ministère des Finances d’enlever cette discrimination. La pension de tous les fonctionnaires doit sortir du Consolidated Fund, car il n’est pas possible qu’un fonctionnaire ait des doutes sur le montant qu’il touchera à la retraite.

Je profite de l’occasion pour dire que les travailleurs du secteur privé ayant déjà contribué au fonds NPF touchent leur pension à la retraite, mais à compter de septembre 2020, les travailleurs ont commencé à contribuer au fonds CSG. Ce fonds était géré par la MRA. Mais ils ont réalisé que le fonds CSG risquait de s’effondrer, car le fonds ne dispose pas d’un comité d’investissement. C’est un fonds dont la survie dépend de la contribution des employés. La CSG a été mise sur pied pour payer les Rs 4 500 qui allaient être accordées aux pensionnés pour que leur pension devienne Rs 13 500. Maintenant, le fonds CSG a été retiré de la MRA pour être confié au Consolidated Fund.

Que pensez-vous de la dernière augmentation des prix des carburants ?

Je déplore en tout cas totalement la hausse intervenue il y a environ une semaine. Le directeur de la State Trading Corporation (STC) a tenté de convaincre, et la ministre du Commerce, Dorine Chukowry, est restée silencieuse dans un premier temps. On dit maintenant que le fonds de la STC demeure déficitaire de Rs 4,5 milliards. Que s’est-il passé donc avec toutes ces augmentations que les automobilistes ont dû payer ? Cette dernière augmentation est en tout cas un véritable coup de massue sur la tête de la population.

Ils sont en train de jouer avec le sentiment de la population, et ils vont payer cher pour ce genre d’agissement, car la récente hausse du prix du diesel va entraîner une escalade d’augmentation des prix car beaucoup de véhicules utilisent le diesel pour transporter des marchandises. L’impact en tout cas sera général sur le coût de la vie, le taux d’inflation. Cela va entraîner la hausse des prix des denrées alimentaires, car les transporteurs des marchandises vont réviser à la hausse leur coût de transport.

En tout cas, la STC a recueilli beaucoup d’argent lorsque le prix du carburant était bas sur le marché mondial. La STC aurait dû profiter de l’opportunité pour utiliser cet argent comme un Buffer Fund en vue d’amortir toute hausse dans les prix. Il ne serait pas interdit de penser que la STC maintiendra le prix actuel si le prix des carburants baisse sur le marché mondial. Le but est d’engranger encore un Windfall Gain. Maintenant, nous nous demandons si nous allons voir la ministre dans diverses stations-service pour recueillir le sentiment des usagers de la route. Après une semaine, le gouvernement révise à la baisse le prix de l’essence mais augmente le prix du diesel. Il ne faut pas croire pour autant que le gouvernement a cédé sous la pression populaire. Au fait, pe donn ar lame drwat, pe pran ar lame gos. Le prix de l’essence aurait dû baisser par Rs 10. La population n’est pas dupe et elle est en train de constater que la baisse du prix de l’essence est en deçà de l’augmentation du prix de l’essence qu’elle a payé il y a une semaine de cela,

L’autre problème concerne l’approvisionnement du riz ration. La STC dit qu’elle met sur le marché ce produit, mais le public dit partout qu’il ne le voit pas dans les supermarchés. Je profite de l’occasion pour demander à la STC d’ouvrir un point de vente dans tous les districts du pays pour livrer le riz ration. Les boutiques du coin pourraient alors s’approvisionner auprès de ces points de vente.

Le jugement de la Cour suprême déclarant la section 250 (1) anticonstitutionnelle, quelle est votre réaction ?

C’est définitivement une avancée constitutionnelle mais un recul sur le plan moral. Les juges ont comparé la section 250 du Criminal Code et la Constitution de Maurice sur le plan strictement légal. Nous savons tous que dans la loi ce qui est peut-être immoral est finalement légal. En tant qu’ancien enseignant, je trouve ce jugement un recul sur le plan moral, ce qui aura des conséquences désastreuses à long terme. Je vois maintenant que l’acte sexuel est permis entre les homosexuels au nom d’un acte naturel d’avoir des relations sexuelles. Que va-t-il se passer maintenant entre les hétérosexuels ? Je pense qu’il fallait regarder toute cette affaire dans sa globalité, et non pas se limiter à un cas précis entré en Cour par le groupe de LGBT. Je pense qu’il fallait introduire une dose de moralité dans le jugement. C’est du moins mon point de vue.

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