– « Un Act of God ne prend pas de vie, à moins qu’il y ait des manquements humains et des défaillances institutionnelles ! »
Cela fait 12 ans qu’Allan Wright et son fils, Jason, ont survécu à Sylvia (46 ans), épouse et mère, et Jeffrey (18 ans), second fils du couple, 12 ans également, que les parents et proches des frères Teewary, Amrish (24 ans) et Trishul (19 ans), leur cousin Keshav Ramdhary (29 ans), Vikesh Khoosye (25 ans), Vincent Lai (45 ans ), Rabindranath Bhobany (52 ans), Stevenson Henriette (32 ans), et Retnon Sithanen (36 ans) conjuguent leurs vies entre espoirs, attentes et courage.
Il en va de même pour la famille de Christabel Moorghen, une habitante de Canal-Dayot. Choquée par la montée des eaux, elle a fait une crise cardiaque, et en est décédée sur le coup. Ce dimanche 30 mars, tous ceux qui pleurent leurs êtres chers disparus en ce terrible Black Saturday seront, une nouvelle fois, réunis à l’entrée du tunnel Sud du Caudan Waterfront, le temps d’une commémoration, le temps d’un devoir de mémoire autour de prières communes et dans l’attente « de quelque chose de concret, qui nous permettra de faire le deuil de nos disparus, et de continuer nos routes… »
Allan Wright a entrepris, depuis la tragique année, de prendre les initiatives pour réclamer justice au nom des 11 disparus. C’est lui qui maintient le lien, fragile, entre ces familles meurtries et traumatisées depuis ce triste jour. « L’argent, que différents décideurs politiques qui se sont succédé depuis 2013 ont promis, ne nous rendra pas nos êtres chers. L’argent aide à payer des choses, c’est sûr. Comme les études. Et de subvenir aux besoins basiques de toute famille. Mais quand nous avons entamé une action légale, d’un commun accord, ce n’était pas pour seule la compensation financière », s’est appesanti Allan Wright.
« Les administrations locales doivent se préparer ! »
Cet ancien ingénieur des administrations locales, qui compte une riche carrière à la municipalité de Curepipe, avoue qu’il est, en cette année 2025, « avec la tenue des élections municipales, bientôt, très enthousiaste » Et « mo demann mwa si mo pa pou port moem kandida ! »
Raison de sa motivation : « Et si enfin, avec les équipes qui vont prendre les commandes des cinq villes, nous parvenons à travailler ensemble, élaborer un plan commun pour assainir nos villes et les préparer pour d’autres catastrophes naturelles, dans l’envergure des inondations meurtrières de mars 2013, quand nous avons perdu les nôtres ? N’est-ce pas là un magnifique acte d’humanité, de solidarité et de vision à l’intention de la population ? Les prochaines élections municipales, je le souhaite ardemment, doivent changer la donne. Nous pouvons préparer notre pays à faire face à d’autres catastrophes naturelles. Car il ne faut pas se leurrer : avec le changement climatique, des inondations meurtrières, comme celle du 30 mars 2013, et d’autres événements vont continuer à nous frapper. D’ailleurs, depuis les pluies torrentielles de mars 2013, le pays a eu plusieurs autres épisodes, n’est-ce pas ? »
Il le martèle d’ailleurs à chaque occasion : « je demeure convaincu que la mort de Sylvia, Jeffrey, Amrish, Trishul, Keshav, Vikesh, Vincent, Rabindranath, Retnon, Stevenson et Christabel doit servir à quelque chose de concret ! Nous, survivants, nous leur devons justice. Que leurs départs nous servent de leçon. Que nous n’ayons plus à pleurer la mort d’êtres chers pour les mêmes raisons… Et à nos enfants et petits-enfants, nous devons tout aussi bien la responsabilité d’avoir appris de nos erreurs ! »
« Nounn vot sanzman, nou bizin amenn li ! »
Allan Wright déplore que « malheureusement, pas plus tard que janvier 2024, un épisode de pluies torrentielles, en plein passage du cyclone Belal, a vu périr d’autres Mauriciens ! » Et celui-ci de renchérir : « Je parcourais, à nouveau, il y a quelques jours, le rapport du Fact-Finding Committee du juge Bushan Domah, qui avait été mis sur pied en mars 2008 suite aux inondations qui avaient coûté la vie à quatre personnes. Aucune des recommandations n’a, à ce jour, été concrétisée ! Comment expliquer cela ? »
De fait, A. Wright suggère aux nouvelles équipes qui vont prendre le relais des villes, et par incidence, les autres qui vont aussi gérer les districts et les villages, que l’on travaille sur un plan large de Land Drainage Strategy. « Cela nous permettra de mettre en place des mesures correctives, certaines déjà présentes dans les différents rapports réalisés ; et d’autres, avec le concours de techniciens et personnes qualifiées comme Osman Mahomed, actuellement ministre des Transports et avec qui j’ai travaillé, et qui est quelqu’un qui a une grande expertise de l’aménagement du territoire ! »
M. Wright évoque les actions légales en cours et qui, « nous avons toujours la foi, déboucheront sur une prise de mesures et de conscience citoyenne pour l’avenir ». Parallèlement, il met en avant : « Dans nombre d’occasions, on me fait comprendre que dans ce qui s’est passé le samedi 30 mars 2013, il y a l’élément d’un Act of God. Je ne dis pas le contraire. Néanmoins, à mon humble avis, un Act of God ne réclame pas de vie, à moins qu’il y ait des défaillances humaines et institutionnelles ! »
En ce sens, l’homme interpelle tous ses compatriotes. « Dans ce qui s’est passé, il y a 12 ans, il y avait aussi beaucoup d’irresponsabilités citoyennes, avec de mauvaises pratiques comme jeter ses ordures dans des drains et autres points d’évacuation des eaux. En novembre 2024, la population a voté pour le changement. Le résultat est le troisième 60-0 de notre histoire. Soyons à la hauteur de ce que nous voulons et faisons les choses comme il le faut pour un réel changement ! »
Ce dimanche 30, au nom de la mémoire
Fidèle à une tradition démarrée en 2014, ce 30 mars, parents et proches de Sylvia et Jeffrey Wright, d’Amrish et de Trishul Tewary, de Keshav Ramdhary, de Vikesh Khoosye, de Vincent Lai, de Rabindranath Bhobany, de Stevenson Henriette, de Retnon Sithanen et de Christabel Moorghen répondront présents à l’entrée Sud du tunnel menant au Caudan Waterfront; de même que des anonymes, qui viennent régulièrement soutenir ces familles pleurant leurs morts. Il y aura, également, des représentants de toutes les religions du pays de même que des personnalités politiques. Allan Wright a personnellement entrepris des démarches pour que des soldats de la SMF jouent The Last Post. « C’est un événement très symbolique, cela va de pair… Ce n’est pas une entreprise facile mais je tiens à le faire. Cela me tient beaucoup à cœur. »
Souvenirs d’un Black Saturday
Samedi 30 mars 2013. Des pluies torrentielles s’abattent sur la capitale. Il tombe plus de 152 mm de pluies en moins de 90 minutes !
Le bilan est lourd : 11 morts, dont six dans le tunnel Sud menant au Caudan Waterfont. Les corps de cinq autres victimes sont repêchés dans d’autres points de la ville : le parking souterrain de l’immeuble Harbour View, le Ruisseau du Pouce et le canal près de l’emplacement qui abritait un KFC store, détruit récemment.
Ce samedi-là, la soudaine montée des eaux transforme le Ruisseau du Pouce en torrent et la Place d’Armes en un immense bassin… Les rues avoisinantes voient déferler des eaux déchaînées… C’est la panique à Port-Louis. La traditionnelle journée de courses au Champ-de-Mars est interrompue et les gens tentent de quitter la capitale le plus vite possible. Des chaînes humaines se créent pour éviter que les uns et les autres soient emportés par les flots en colère…
Sur un tronçon de l’autoroute et une partie de la voie qui passe par Bell-Village, nombre d’automobilistes tentent de fuir la capitale au plus vite mais sont rattrapés par des trombes d’eaux qui envahissent ces espaces… Comme au Champ-de-Mars, plusieurs voitures décollent du bitume et voguent au gré des vagues inattendues !
Les scènes de désolation se succèdent. Les unités de la police, des sapeurs-pompiers, des gardes-côtes prêtent secours aux citoyens, pour protéger le maximum de vies. À Canal Dayot, quartier périphérique de la capitale, des maisons sont englouties par les eaux…
Depuis ce triste épisode, de nombreux Mauriciens redoutent les moindres pluies sur Port-Louis. Certains évitent même de s’y rendre. Les commerces avaient énormément souffert. En l’occurrence, les magasins du Caudan Waterfront, endroit à vocation récréative, qui devint désert pendant plusieurs mois… Lentement, très lentement, certaines blessures se sont cicatrisées. Mais d’autres demeurent béantes…