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Incendie à Mare-Chicose : les habitants de Cluny et des environs à bout de souffle

Une forte odeur de fumée étouffe cette agglomération paisible du Sud, provoquant des irritations du nez, de la gorge et des problèmes respiratoires

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Ajay Khedoo (conseiller) : « Il est temps de trouver une alternative à Mare-Chicose »

Cela fait des années que ça dure. À chaque incendie – phénomène de plus en plus fréquent –, le village de Cluny est envahi d’une épaisse fumée. Les villageois se disent à bout et souhaitent que le nouveau gouvernement trouve des solutions à leurs problèmes. Plusieurs d’entre eux ont dû recevoir des soins ces derniers jours, car ils n’arrivaient plus à respirer. Les tests de la qualité de l’air effectués par des officiers des ministères de la Santé et de l’Environnement dans le village sont loin de les rassurer. Car la réalité est étouffante.

D’épaisses volutes de fumée grise s’échappent sans cesse du centre d’enfouissement de Mare-Chicose et suivent leur chemin vers les Plaines-Wilhems. L’odeur de brûlé se manifeste depuis La Vigie. Mais sur cette trajectoire, c’est le village de Cluny, situé sur les hauteurs, entre Rose-Belle et Mare-Chicose, qui prend en plein toute cette pollution. Ce ne sont pas les habitants, qui vivent un véritable calvaire depuis le 6 novembre dernier, qui diront le contraire.

Oulagen Veeramalay est le président du village de Cluny. Son enfant a dû recevoir des soins à l’hôpital récemment, car il éprouvait des problèmes respiratoires. « À l’hôpital, on l’a mis sous oxygène, car il n’arrivait plus à respirer convenablement. Je ne sais pendant combien de temps encore nous allons subir cette situation. Plus ça va, plus la situation s’aggrave », déplore-t-il avec angoisse.

Ce dernier a assisté mardi dernier à une réunion avec les nouveaux députés de la circonscription de Rose-Belle/Vieux-Grand-Port (No 11), ainsi que les députés Joanna Bérenger et Arvin Boolell. « Ils ont fait leur devoir et sont venus faire un constat des lieux. Le Dr Boolell a bien parlé et a donné 15 jours au contracteur pour circonscrire ce feu. Mais pour nous, habitants de Cluny, il faut aller plus vite. Nous ne pourrons tenir encore tout ce temps », s’insurge-t-il.

Il explique l’urgence de la situation par les problèmes de santé qui sont ressentis. « Nous avons demandé la présence de médecins sur place pour consulter les habitants. Nous espérons que les autorités seront à l’écoute », dit-il. Il montre également le ballet de camions remplis d’ordures qui traversent le village pendant toute la journée, mettant en péril la sécurité des habitants.

« Certains camions passent par Deux-Bras, New-Grove, pour arriver à Mare-Chicose, mais d’autres, continuent de passer par Cluny, en dépit de nos différentes demandes auprès des autorités pour les interdire », regrette-t-il. S’il arrive que deux camions se croisent dans le village, l’un d’eux doit se rabattre sur les trottoirs. Ce qui explique que ceux-ci sont abîmés à différents endroits.

Ajay Khedoo, conseiller et District Councillor, avance pour sa part que le problème de Mare-Chicose a connu une nette aggravation avec le temps. Il affirme avoir tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises, mais que rien n’a été fait. « Nous avons rencontré des ministres par le passé, et à chaque fois on nous a dit que le nécessaire sera fait. Mais voilà, le problème reste entier », confie-t-il.

Si les incendies à Mare-Chicose sont devenus choses courantes ces dernières années, ajoute ce dernier, cette fois, l’ampleur est plus importante. « D’habitude, les pompiers parviennent à circonscrire le sinistre après quelques jours, mais là, cela fait trois semaines que ça dure. Je peux assurer que cette fois, c’est plus grave. Surtout concernant la fumée qui asphyxie le village », fait-il comprendre.

Ce dernier s’indigne sur le fait qu’au lieu de trouver des solutions, le centre d’enfouissement est en train de s’agrandir. « On est en train de prendre encore plus de terrain. D’un côté c’est en train de brûler et de l’autre, on continue d’empiler des ordures. » Il fait ressortir que les habitants de Mare-Chicose ont été déplacés à cause du centre d’enfouissement, mais que les habitants de Cluny, eux, en subissent toujours les conséquences.

Ajay Khedoo regrette également que les élus ne soient pas venus à la rencontre des habitants pour écouter leurs témoignages. « J’en ai parlé à un Adviser, mais il m’a dit que ce sera pour plus tard. J’espère que d’ici la semaine prochaine, ils auront le temps de venir au village pour constater dans quelle situation nous sommes. »

Maux de gorge et difficultés à respirer

Devianiee Ramasawmy, habitante de Cluny, dit faire face à une situation très inconfortable depuis le début de l’incendie. « Quand je me réveille le matin, j’ai les yeux rouges et j’ai mal à la gorge. Mes fenêtres sont fermées toute la journée et toute la nuit. Plus les jours passent, plus je me sens plus malade à force de respirer cette odeur de fumée. » Elle affirme être à bout avec les incendies à répétition à Mare-Chicose. « Lane ale, lane vini, mem zafer. L’année dernière à la même période il y avait encore un incendie », se souvient-elle avec colère.

Shanti Mahadoo partage ses difficultés à s’occuper de son époux de 80 ans, malade. « Il a des difficultés à respirer, mais il ne peut se déplacer seul. C’est pour cela que j’aurais aimé qu’il y ait des médecins qui viennent nous rendre visite sur place. Entre-temps, je lui donne des pastilles pour soulager ses maux de gorge et je le fais gargariser », dit-elle.

Pratima Dabee est asthmatique. Elle a dû recevoir des soins à l’hôpital et est encore sous traitement. « Je n’arrivais plus à sentir cette odeur de fumée et je me sentais mal. À 5h30 du matin, mes proches m’ont transportée à l’hôpital de Rose-Belle. On m’a fait une injection et on m’a mis sur Nebuliser pour que je puisse mieux respirer. Pendant trois jours, je dois me rendre au centre de santé pour le traitement par Nebuliser », dit-elle avec colère.

Elle souhaite qu’avec le changement de gouvernement, des solutions alternatives au centre d’enfouissement de Mare-Chicose seront trouvées. « Je ne suis pas en train de faire de politique, mais j’espère que cette fois nous aurons un bon ministre de l’Environnement qui fera un bon travail. » Outre les inconvénients liés à la fumée, elle évoque également les odeurs nauséabondes qui se dégagent de certains camions qui passent dans le village pour se rendre à Mare-Chicose. « Parfois, nous avons honte d’inviter des gens chez nous tant ça sent mauvais », poursuit-elle.

Pratima Dabee ajoute qu’à l’hôpital, les médecins ont recommandé aux habitants de porter un masque N95 pour mieux se protéger. « On m’a dit que les masques ordinaires ne serviront à rien. Je lance un appel pour que les autorités ou la compagnie concernée distribuent des masques N95 aux habitants de Cluny. »

Tesha Rajmun habite Cluny depuis 46 ans et c’est la première fois qu’elle est aussi affectée par les fumées se dégageant de Mare-Chicose. « Mes enfants m’ont dit de venir habiter chez eux, mais pendant combien de temps pourrais-je quitter ma maison ? » se demande-t-elle avec émotion et en éprouvant des difficultés à parler. Selon elle, il faut trouver une alternative à Mare-Chicose au plus vite, car la situation s’aggrave au fil des années. La vie des habitants est aussi chamboulée. « Je donne des cours d’hindi à des enfants, mais en ce moment, les parents ne laissent pas sortir leurs enfants… et c’est compréhensible. »

Preety Fakhoo est elle aussi à bout. Elle se demande pendant combien de temps elle pourra laisser les enfants enfermés dans la maison en pleines vacances. « Pensez-vous qu’il est possible qu’à 36 ans je doive marcher avec un masque, car je ne sais pas ce que je suis en train de respirer ? J’ai mal à la gorge, je n’arrive pas à parler. Mais à l’hôpital, on m’a dit qu’il ne s’agit que d’une irritation. Ce n’est pas évident de vivre dans de telles conditions. »
Jyoti Seereevassen, qui a subi une angiographie il y a quelque temps, fait également état de graves problèmes respiratoires. « Toutes les portes et les fenêtres chez moi sont fermées. La maison sent mauvais. Je ne peux même pas faire la lessive. Cela fait 36 ans que j’habite ici et c’est la première fois que nous sommes aussi affectés. Je crois que cet incendie est le pire que nous ayons connu », dénonce-t-elle.

Dhanraj Ramasamy, président de la Cluny Senior Citizen Association, est très remonté. « Croyez-vous normal que des personnes âgées doivent faire face à une telle situation. Nous avions un ministre, à chaque fois que nous allions le voir, qui disait que le problème allait être réglé dans les six mois, mais rien n’a jamais été fait. »
Ce dernier est particulièrement en colère, car il y a eu l’impression d’un laisser-aller quand l’incendie s’est déclaré en raison de la campagne électorale. « S’ils avaient agi tout de suite, peut-être que nous n’en serions pas là aujourd’hui. Mais ils étaient trop occupés avec la campagne électorale », suppute-t-il.

Preetam Pyndiah est, lui, planteur. Sa plantation de légumes se trouve à proximité du centre d’enfouissement. Il avoue qu’il doit tous les jours braver les fumées pour se rendre sur place. « Il y a des légumes dans ma plantation; je ne peux tout abandonner. Je suis contraint de travailler dans cette fumée tous les jours. Même les masques ne servent à rien. »

Après un peu plus d’une heure en compagnie des habitants de Cluny, les séquelles de la fumée émanant de Mare-Chicose commencent à avoir des effets d’irritations au nez, à la gorge et sur le bout des lèvres. Et dire que les habitants de ce village n’ont d’autre choix pour l’instant de respirer l’irrespirable…

À Bananes aussi

Le petit village de Bananes, à proximité de Cluny, est également affecté par les fumées émanant de l’incendie à Mare-Chicose. Abhimanyu, habitant du village, fait ressortir que cela fait des années que les autorités ont été alertées des problèmes liés au centre d’enfouissement. « Jusqu’ici, il n’y a eu aucune alternative pour traiter les déchets. Il est temps que Maurice passe au tri. »

Selon lui, le centre de Mare-Chicose est saturé et ne peut plus contenir les déchets de toute l’île. Il est d’avis qu’il y a eu trop de laisser-aller et fustige le ministre de l’Environnement sortant, Kavy Ramano, pour son laxisme « C’est l’un des pires ministres que nous avons eus. Il était dans son bureau et ne se souciait pas de nos problèmes. Nous espérons que le nouveau ministre de l’Environnement qui sera nommé sera quelqu’un de compétent et qu’il pourra aider à trouver une solution », déplore-t-il.

Sanjay Conahye est District Councillor. Il se demande quelles ont été les leçons tirées du passé. « Ce n’est pas la première fois que nous nous retrouvons dans une telle situation. Il semble que le gestionnaire des lieux n’a pas tiré des leçons. Quelles ont été les sanctions prises par le gouvernement ? » se demande-t-il.

Ce dernier, dit avoir également rencontré des pompiers, qui ont affirmé qu’une demande avait été faite pour qu’un gros tuyau puisse être raccordé de la rivière au site d’enfouissement pour faciliter leur travail en cas d’incendie. « Mais rien n’a été fait une fois de plus. Ils doivent prendre de l’eau à la rivière et revenir à chaque fois. »
Karishma Callychurn, habitante de Bananes, témoigne des difficultés rencontrées, surtout avec des personnes malades à la maison. « Il y a deux semaines, il y avait des flammes. Maintenant, il n’y a que de la fumée. J’ai des personnes malades chez moi et cela les affecte encore plus. Ce sont des émissions toxiques que nous sommes en train de respirer. »

Savitri Conhye, présidente du village, est inondée de doléances de la part des habitants. « Les gens se tournent vers moi, mais je ne peux rien faire à mon niveau. J’essaie de faire remonter l’information aux autorités concernées. De jour en jour, le problème est en train de s’aggraver ici », déplore-t-elle.

Le Domaine de La Grave affecté

Le Domaine de La Grave, site touristique comprenant des chalets et des sentiers de randonnées, entre autres, a aussi été affecté par l’incendie en cours à Mare-Chicose. Romain Houbert, qui réside sur place, confirme que c’est la première fois que la fumée émanant du centre d’enfouissement est passée près du domaine. « Nous pouvions voir clairement qu’il y avait un filigrane bleu dans cette masse, témoignant de la présence de particules. Ici, nous sommes habitués aux nuages et au brouillard… mais là, c’était bien autre chose », confie-t-il.

Ce dernier, qui a des enfants, témoigne qu’ils ont eu des difficultés à respirer et à dormir par moments. « Heureusement que les rafales du cyclone ont poussé les fumées plus loin et nous avons pu avoir un peu de répit. C’est la première fois que nous avons été autant affectés par un incendie à Mare-Chicose. » Il ne cache pas que cette situation a eu un impact sur les activités du domaine. « Des gens sont venus pour la randonnée et n’ont pu aller aussi loin qu’ils le voulaient. »

Pour l’heure, la situation est plus ou moins retournée à la normale au Domaine de La Grave, contrairement aux villages de Bananes et de Cluny surtout, situés sur la trajectoire de l’épaisse fumée qui continue de s’échapper sans aucun contrôle du site d’enfouissement.

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