Brisée par des mois de harcèlement moral et verbal par l’ex-CEO d’une compagnie subsidiaire d’un grand groupe bancaire pour lequel elle travaille, Cathy a longtemps souffert en silence. Entre humiliations, dépression, des envies suicidaires, elle a trouvé la force de se relever grâce au soutien de son époux. Déterminée, Cathy a porté cette affaire en justice et entrepris des études en… droit. Touchée par une histoire quasi similaire à la sienne que nous avions rapportée dans nos colonnes il y a quelques semaines, elle a voulu à son tour faire entendre sa voix pour dénoncer la perversité d’un supérieur toxique.
Il y a deux semaines Cathy (nom modifié), jeune quadragénaire, prend connaissance d’une nouvelle dans nos colonnes. Il s’agit d’une action en justice par une ancienne haute responsable d’une banque pour licenciement abusif et harcèlement moral et verbal. En parcourant ces lignes : « Après 15 années de service exemplaire, elle affirme avoir été poussée à la démission dans un climat professionnel toxique […] elle décrit une véritable campagne de harcèlement menée par le CEO par intérim, le CFO et le Chief Technology and Operations Officer (CTOO). Elle rapporte des humiliations publiques, des remises en cause infondées, un traitement différencié par rapport à ses collègues masculins et des pressions constantes. L’un des épisodes les plus marquants s’est déroulé lors d’une réunion interne, où le CEO par intérim aurait publiquement lancé : « Tu pisses sur moi », une phrase dégradante qui aurait profondément choqué l’assistance, et nui à son autorité et intégrité », Cathy est immédiatement touchée par ce cas.
Celui-ci est quasi semblable à son histoire. Les humiliations, elle en a connu. Trop même ! En parcourant cet article, non seulement Cathy revoit les moments difficiles qu’elle a dû endurer lorsqu’elle était la secrétaire personnelle de celui qu’elle appelle encore son « bourreau », mais elle tient à réagir. « Parce que derrière le cas qui a été rapporté dans les médias, il y en a encore d’autres semblables », nous dit-elle. Même si, pour l’instant, elle ne peut en parler ouvertement, car elle a elle aussi saisi la justice pour les torts que lui a causés son ancien chef et les séquelles qu’elle en garde, Cathy veut se faire entendre. Partager son histoire pour que d’autres femmes ne se laissent plus faire, dit-elle, est essentiel.
« Quand je traversais cette épreuve, je me disais que ma compagnie qui, aux yeux du public, prônait le succès au-delà des chiffres, renvoyait l’image d’un groupe ancré dans les actions sociales et défendait l’égalité des genres, ne m’avait pas entendue lorsque j’avais appelé à l’aide. Elle n’avait pas su me protéger quand il le fallait », se désole Cathy. Sa relation avec l’ex-Chief Executive Officer de sa compagnie avait pourtant démarré — il y a une quinzaine d’années — sur ce qu’elle croyait être de bonnes bases. Ce dernier était alors responsable du département de Cathy.
« Nous nous entendions bien. Nous étions, comme on dit, de bons collègues. Et comme tout bons collègues, nous parlions de nos familles respectives. Quand ça n’allait pour lui, je le conseillais et soutenais. À la création de la compagnie subsidiaire du groupe, il a été nommé CEO de celle-ci, et je suis devenue sa secrétaire. C’est un homme extrêmement brillant, qui connaissait son métier et qui apportait des résultats que la compagnie attendait de lui. Pendant les premières années, tout se passait plutôt bien. Et puis les cris et les remarques ont commencé, jusqu’à devenir notre quotidien, jusqu’au jour où il s’est mis à remettre en cause mes compétences. Depuis, il s’est arrogé le droit de m’insulter quand bon lui semblait », relate Cathy.
Cathy, qui comptait déjà de longues années de service, avait du mal à accepter les commentaires négatifs à son encontre, d’autant, dit-elle, que son travail n’avait jamais fait l’objet de critiques de la part de sa hiérarchie. Dans un premier temps, elle a essayé de comprendre pourquoi il s’en prenait à elle : « Il avançait des explications qui n’étaient jamais claires. » À partir de ce moment-là, Cathy explique qu’elle se rendait à son travail « avec l’estomac noué ». Elle raconte : « Au bureau, on savait qu’il était désagréable et qu’il s’en était déjà pris à d’autres collègues, pour la plupart des femmes, et que ces derniers s’en étaient plaints. Mais il n’y a jamais eu de conséquences. »
Pendant neuf mois, Cathy subira les paroles humiliantes de son CEO, aussi bien entre les quatre murs de son bureau qu’en présence de ses collègues lors des meetings. « Comme il connaissait certaines choses de ma vie familiale, il se permettait de les utiliser à ses fins. Il est même allé jusqu’à dire que j’étais une mauvaise mère. Et parce que mes parents sont divorcés, il a déduit, en présence d’autres personnes, que j’avais eu une enfance problématique », confie Cathy. « Il agissait comme un pervers narcissique. Il vous mettait en confiance pour mieux vous dénigrer », assure Cathy.
Rongée par l’incompréhension et perturbée psychologiquement, Cathy perd le sommeil et du poids. « Il avait remarqué que j’avais maigri et ne s’est pas privé de le faire remarquer lors d’une réunion », indique Cathy. Cette perte de poids, Cathy la vivait très mal. « Je n’osais plus me regarder dans un miroir ni me montrer nue devant mon époux », concède-t-elle. Durant les neuf mois de harcèlement au travail, Cathy n’en parle ni à son époux ni à ses proches. Son silence donnait le feu vert à son PDG pour poursuivre ses attaques, allant même jusqu’à taper du poing sur la table pour montrer son autorité. La mère de famille revient sur un moment qui lui a été particulièrement humiliant.
« Ce jour-là, j’étais debout devant notre bureau, face au couloir par lequel passaient mes collègues. Il s’est emporté et a frappé violemment la table. J’ai été envahie par la peur et j’ai uriné sur place », confie-t-elle. Convaincue que le CEO allait de plus en plus loin dans ses comportements humiliants et abusifs, Cathy décide de le rapporter à la direction de la compagnie. Ce n’est qu’au bout d’un mois qu’un fact finding committee est institué.
Entre-temps, elle craque et tombe malade. « À force de critiquer mon travail et tout ce que je faisais, j’ai fini par douter de moi. D’ailleurs, lorsqu’il agissait ainsi lors de nos réunions et que je me défendais, il haussait le ton sans se départir. J’ai fini par faire une dépression », explique Cathy, qui termine dans le cabinet d’un psychiatre. Elle en sort avec des antidépresseurs et un long congé médical. Elle a des envies suicidaires. Elle se sent tiraillée : « J’avais peur de perdre mon travail, il avait fini par me diminuer. Je m’en voulais de n’avoir pas réagi plus tôt. » Et de poursuivre : « Le hasard a voulu que j’apprenne que d’autres personnes ayant subi la violence verbale de cet homme ont consulté le même psy que moi. »
Avant la fin de son congé médical, Cathy prend soin d’appeler la responsable des ressources humaines pour lui confier ses craintes. « Je lui ai dit que j’avais peur de reprendre le travail. Mais elle m’a expliqué que si je voulais changer de département, je n’avais d’autre choix que d’attendre qu’un poste vacant se libère dans la compagnie pour postuler, car on ne pouvait pas me déplacer. C’est mon époux qui, un après-midi, en venant me chercher au bureau à ma demande, m’a fait prendre conscience que tout cela devait s’arrêter. Ce jour-là, j’étais pétrifiée en sortant d’une réunion qui avait duré deux heures. Je n’en pouvais plus. Je ne pouvais même pas envisager de conduire ma voiture pour rentrer à la maison. J’ai dû l’appeler. Quand il m’a vue dans cet état, il m’a dit que je devais agir et me battre », raconte Cathy. Cette dernière décide alors de faire appel à un homme de loi.
Convoquée par le fact finding committee mis sur pied par la compagnie, Cathy donne sa version des faits. Les avocats du groupe recommandent alors qu’on la change de département. « L’enquête devait continuer. Lui, il a eu un avertissement », se désole-t-elle. Et c’est non sans amertume qu’elle confie : « Il a fallu que je paye un avocat pour me sentir en sécurité dans mon travail ! » Malgré l’avertissement reçu, le CEO, selon Cathy, n’aurait pas changé de comportement. Les torts ayant été causés, cette dernière décide de porter l’affaire en justice au civil réclamant des dommages de Rs 2M à cet homme et fait assigner le groupe comme co-defendant. « J’avoue que je craignais des représailles de la part du groupe. Mais il n’en a rien été. J’ai même été promue ! » fait-elle remarquer.
Lorsque le groupe change de direction et qu’une nouvelle administration est mise en place au sein de la compagnie subsidiaire, les mesures à l’égard du CEO deviennent plus fermes. « Dans un premier temps, il a été placé en garden leave. Il s’est ensuite présenté devant un comité disciplinaire, qui a statué sur ses fautes, et il a été licencié », explique Cathy. « Lorsqu’il a été assigné en justice, il est entré dans une colère bleue. Il s’est défendu en prétendant que c’était moi le problème, affirmant que mes collègues féminines, qu’il terrorisait, et moi-même étions amoureuses de lui ! Heureusement, mon couple est solide, et mon époux connaissait la nature de mes relations professionnelles avec lui depuis le début. »
Plus forte
Il y a quelque temps, l’affaire a été appelée en justice. « Le revoir m’a profondément perturbée. J’ai craqué en cour. L’affaire a dû être renvoyée », confie Cathy. Elle devra se présenter à nouveau devant la cour dans plusieurs semaines. Même si elle appréhende ce moment, elle se sent mieux préparée pour affronter son ex-collègue. « Cette épreuve m’a fait perdre des moments précieux auprès de mes enfants. Toutefois, elle m’a rendue plus forte. Je me protège désormais. J’apprends à ma fille à ne pas se laisser humilier, à être une personne forte », dit Cathy.
Cette année marquera aussi la fin de ses études en droit. « Je verrai où cela me mènera. Si je peux défendre des victimes comme moi, qui sait ? Si à l’époque j’avais des connaissances en loi, je me serai défendue… », avance Cathy. Quant à celui qu’elle appelle son bourreau : « Il continue ses activités comme membre du conseil d’administration d’un autre groupe connu », dit-elle.