Hugues Vitry (MMCO) : « Les requins migrent vers où trouver facilement de la nourriture »

« La zone de l’accident est davantage liée à l’estuaire de GRSE et aux mangroves, où les requins-bouledogues femelles viennent donner naissance à cette période de l’année » « Nous ne pouvons pas exclure la présence de fermes marines »

Depuis quelques jours, quelques vidéos amateurs de squales (voir encadré) nageant dans les mers mauriciennes circulent sur les réseaux sociaux. Elles découlent du tragique incident arrivé, le 30 décembre, impliquant le pêcheur Jean Lise Mike Antonio, dont le bateau aurait chaviré non loin de l’îlot Flamands, dans le sud-est de l’île.

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Si à ce jour rien n’a encore été confirmé par les autorités, une partie du corps de la victime aurait été, selon les bruits qui courent, dévorée par un ou plusieurs squales. Hugues Vitry, président de la Marine Megafauna Conservation Organisation (MMCO), est celui qu’on surnomme l’homme qui parle aux poissons. Par respect pour la victime et connaissant très bien les eaux mauriciennes, il ne saute pas sur la thèse de l’attaque de requins, même s’il concède qu’il n’y a jamais de risque zéro.

« ll y a beaucoup de choses qui sont dites et des surnoms que l’on colle à ma personne. Ce sont les réalisateurs de films documentaires sur le monde sous marin qui m’ont donné ce surnom dans des documentaires, tout simplement parce que j’ai développé sur plusieurs années une façon de communiquer avec certains animaux dits dangereux par des sons qui sont en fait un conditionnement pour faire savoir à ces animaux que je suis là. Il n’y a pas vraiment de langage intelligent, mais des sons pour faire comprendre ceci ou cela. C’est vraiment très limité », nous dit Hugues Vitry d’emblée. En effet, le monde marin, Hugues Vitry le connaît par cœur. Lorsque Week-End l’a sollicité pour parler de cette présumée attaque de requins, il a de suite dit oui à notre invitation pour « remettre les choses dans l’ordre. »

Lui aussi, comme beaucoup, est tombé sur ces vidéos et images du corps de ce pêcheur d’une violence extrême. « Les médias doivent faire attention quand ils font passer des informations, il ne faut pas faire le sensationnalisme et il faut respecter les familles de la victime. Il est plus acceptable de savoir un proche mort dans un accident que d’être une victime dévorée vivant par un prédateur », dit-il. Il indique, par ailleurs, que l’îlot aux Flamands serait très fréquenté par les requins. « Toutes les passes sont de potentielles entrées pour les prédateurs en chasse la nuit et il y a plus de risques quand ce sont des entrées d’estuaires et embouchures de rivières où certaines espèces de requins qui viennent en été donner naissance à leurs progénitures. Oui, ces deux passes de chaque côté de l’îlot Flamands sont connues pour être fréquentées par des requins. »

« On ne peut pas parler  d’attaque de requins »

Il poursuit que « d’après les informations que j’ai reçues, l’incident s’est passé la veille au soir et les pêcheurs ont retrouvé les requins sur les restes du cadavre le lendemain, donc, on ne peut pas parler d’attaque de requins. Il est fort probable que la victime ait dû se noyer au moment de l’incident et son corps est resté au fond de l’eau, où les requins l’ont trouvé pendant la nuit quand ils chassent. Si cela était une attaque de requins, comment expliquer que les survivants ont pu regagner la berge sains et saufs sans être inquiétés ? »

De plus, réagissant aux autres vidéos circulant sur les réseaux, Hugues Vitry rassure. « Il faut savoir avant toute chose que le public classifie généralement tous les squales et autres familles qui leur sont proches comme requins, alors que certains n’ont seulement qu’une vague ressemblance avec les requins. » Ce dernier explique qu’il y a plus de 400 espèces de requins, dont une vingtaine d’espèces dans nos eaux, et « de toutes ces espèces, il n’y a qu’une dizaine susceptibles de s’attaquer aux humains. Et à Maurice, il ne faut pas se tromper, nous en avons plusieurs de ces espèces dangereuses dans nos eaux, surtout au large près de la surface. »

Disparition des requins due aux bateaux  étrangers qui pêchent

Se voulant avant tout rassurant, il explique que « concernant les vidéos que j’ai pu voir sur les réseaux, on voit un requin-nourrice complètement inoffensif pour l’homme, évoluer près du bord, puis on voit sur TikTok entre les rochers ce que je dirai être un groupe de raies aigles évoluer proche de la surface dans l’eau bouillonnante du récif. Je suppose que le public s’inquiète à juste titre après ce qui s’est passé à l’îlot Flamands, mais il ne faut pas tomber dans la paranoïa et certaines personnes ne doivent pas diffuser des fausses nouvelles pour créer la panique. »

En effet, beaucoup s’inquiètent de la présence de requins dans nos mers et parlent même de recrudescence. Hugues Vitry, lui, a un tout autre discours. « C’est le contraire de ce que nous avons vu au cours des 30 dernières années, tous les pêcheurs vous diront qu’il y avait plus de poissons et qu’ils en attrapaient plus. »

« Les requins fascinent autant qu’ils effraient »

Il explique que « l’abondance de poissons est intrinsèquement liée à la présence de requins, qui régulent la population de poissons. Nous avons remarqué ces dernières années la disparition des requins autour de l’île Maurice, il n’y a que quelques endroits où il y a encore des requins. Le requin est une espèce clé au sommet de la chaîne alimentaire et leur disparition est due aux bateaux étrangers qui pêchent dans nos eaux légalement et illégalement, et qui ciblent les requins. »

Il poursuit. « Vous constaterez que les endroits où il y a beaucoup de poissons sont aussi des endroits où il y a des requins. Les requins ont tendance à graviter vers les zones où ils peuvent facilement trouver de la nourriture. » Quant à la présence d’une ferme marine dans les parages du lieu de l’incident, il soutient que « nous ne pouvons pas exclure la présence de fermes marines qui leur fournissent un accès facile à la nourriture, mais avec ou sans les fermes, la raison de la présence de ces requins (tout indique qu’il s’agit de requins-bouledogues) dans la zone de l’incident est davantage liée à l’estuaire de Grande-Rivière-Sud-Est (GRSE) et aux mangroves, où les requins-bouledogues femelles viennent donner naissance à leurs petits à cette période de l’année. »

Îliens de naissance, mais combien d’entre nous connaissent aussi bien nos mers que leurs habitants ? Si à La Réunion il existe des campagnes de sensibilisation auprès des tout-petits sur les requins, à Maurice aussi les campagnes de sensibilisation se font auprès des jeunes. « La MMCO mène déjà des actions de sensibilisation auprès des jeunes dans les écoles. Nous recevons toujours des questions sur le danger des requins, qui fascinent autant qu’ils effraient. En même temps, nous insistons toujours sur les bienfaits de ces animaux pour l’environnement. Nous rappelons que nous sommes étrangers au monde marin et que nous devons bien nous comporter et ne pas prendre de risques dans ce monde encore sauvage que nous devons respecter et protéger l’équilibre des écosystèmes », indique Hugues Vitry.

« Quand on parle d’attaques de requins, je ne veux pas être un prophète de malheur, mais nous mettons en garde depuis quelques années sur la possibilité réelle d’accidents de requins sur les touristes qui vont dans l’eau loin au large autour des grandes baleines et des cachalots. Les autorités ont fixé des règles qui ne sont pas respectées par de nombreux opérateurs. Nous espérons simplement que notre pays ne connaîtra pas une véritable attaque de requin sur un nageur en pleine mer, ce qui serait préjudiciable à notre destination touristique… »

Le requin n’attaque que pour se nourrir et se défendre

Le président de la MMCO indique que les raisons qui pourraient pousser un requin à attaquer sont multiples. « Premièrement, il faut comprendre que comme n’importe quel animal, il n’y a que deux principales raisons qui poussent les requins à attaquer, d’une part pour se nourrir, et d’autre part pour se défendre. » Pour lui, « on ne peut pas considérer comme attaque le requin qui se nourrit d’un cadavre trouvé au fond ou en surface. Les requins sont opportunistes. » Pour ce qui est des conditions qui sont propices aux réelles attaques, c’est uniquement quand :

– L’on se trouve dans leurs zones de nourrissage au large pendant le jour, ou au bord la nuit (les requins côtiers chassent principalement la nuit et sont très actifs au crépuscule et à l’aube).

– La chasse sous-marine, les poissons blessés qui se débattent attirent les requins par leurs vibrations et/ou par l’odeur de leurs blessures dans les filoirs accrochés aux braconniers.

– L’on ne prend pas en compte où on ignore leur présence alors qu’ils sont en train d’évaluer la victime.

– La confusion, le requin se trompe de cible et de victime, par exemple en attaquant un surfer en croyant que c’est une tortue marine.

– La panique, les requins réagissent davantage aux gestes désordonnés d’une créature qui panique.

Les espèces présentes dans nos eaux

La Marine Megafauna Conservation Organisation (MMCO) fait des études sur les requins à Maurice, principalement sur les espèces les plus courantes que sont les requins gris et les requins-corail. « Pour donner quelques noms d’espèces qui vivent dans nos eaux, je ne vais parler que des requins qui vivent dans une colonne d’eau proche de la surface et/ou qui peuvent venir en surface dans la zone où évoluent les humains », explique Hugues Vitry.

Les espèces que l’on pourrait rencontrer par ordre de taille sont : le requin-tigre (Galeocerdo cuvieri) ; le requin mako (Isurus oxyrinchus) ; le requin longimane (Carcharinhus Logimanus) ; le requin baleinier (C. Fitzroyensis) ; le requin-bouledogue (C. Leucas) ; le requin à pointe blanche (C. Albimarginatus) ; le requin gris (C.albimarginatus) ; le requin à pointe noire (C.melanopterus) – St Brandon ; le requin-nourrice (Ginglymostoma cirratum) ; le requin-corail (Triaenodon obesus), entre autres. « Il y a par exemple des animaux comme la raie guitare qui est souvent confondue avec un requin à cause de la forme de son corps et de ses nageoires. Nous voyons de temps à autre passer des requins-baleines, mais ils ne vivent pas à Maurice, de même que le grand requin blanc qui a été observé quelques rares fois dans le sud et au nord de l’île », dit-il.

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