Comme le temps passe vite. Ce lundi 10 avril, cela fera un an que le fondateur et le principal animateur de ce journal phare du paysage médiatique mauricien pendant plus de 60 ans, Jacques Rivet, s’en est allé paisiblement après une vie bien remplie à laquelle une longue et pernicieuse maladie est venue mettre fin. Mais si son âme est partie dans l’indescriptible, vers l’infini, nous pouvons dire qu’il est bien présent dans la mémoire de tous ceux qui assurent la suite de son travail, contre vents et marées, que son ombre continue d’habiter les couloirs de cette bâtisse, Å“uvre inachevée mais remplie d’imagination, où s’écrivent l’histoire de l’actualité, ce qui a été l’œuvre et l’amour de sa vie : entre autres, le journal que vous tenez entre les mains, Week-End.
Avons-nous accédé à l’une de ses plus grandes espérances ? Dont il n’a jamais parlé, lui si modeste et timide quand il s’agit de parler de lui, qui s’est fait une notoriété plus dans l’ombre que dans la lumière, mais qui souhaitait faire que son cheminement, sa vie d’homme et sa vie professionnelle soit de la postérité, éternelle. Lui qui espérait du bout des lèvres, dans sa dernière interview publique, que les gens se souviennent de lui comme un homme de presse après sa mort… C’est chose faite, depuis un an maintenant, il est à la une de l’actualité, sur la manchette du journal chaque dimanche pour éterniser sa fondation, son œuvre et sa mémoire : Fondé en 1966 par Jacques Rivet.
Mais il y avait d’autres facettes à ce personnage, boulimique du travail, qui ne s’arrêtait jamais, qui dormait peu, pour pouvoir vivre ses passions jusqu’au bout. Lui qui maniait aussi bien la plume que l’Olivetti bleue et son Mac Pro pour pondre des articles alliant son humour cassant à ses piquantes rhétoriques, avait d’autres cordes à son arc professionnel. Par exemple, la prépresse et la presse n’avaient pas de secrets pour lui. Avec ses deux compères de toujours, l’un son alter ego, Gaëtan, déjà parti, et l’autre, Jacques I, qui vit paisiblement du côté de Baie-du-Tombeau, ils ont accompli des prouesses techniques inimaginables, pourtant avec peu de moyens. Il inspirait et eux rendaient l’impossible réalisable.
Il y a tant d’anecdotes qui illustrent cela. Elles prendraient des années à êtres écrites et racontées. Mais celle qui suit est mémorable… et mérite d’être relatée là puisqu’il s’agit de son journal, votre journal, Week-End.
C’était le samedi 11 février 1994. Quelques semaines plus tôt, le groupe Le Mauricien avait installé sa toute nouvelle presse Harris/Heidelberg du côté de Riche Terre dans un bâtiment flambant neuf. C’était le lendemain de la dévastation qu’avait infligée au pays le dernier vrai cyclone, Hollanda. Le météore avait balayé de plein fouet l’île dans la nuit du vendredi 10 février, avec des vents de plus de 230 km/heure qui ont frappé le pays, surtout la capitale et sa région, comprenant Riche Terre, une zone industrielle alors en phase de développement.
Dès que la force des vents avait diminué en intensité, JR, comme on l’appelait affectueusement, nous a donné rendez-vous à Riche Terre avec Gaëtan et Jacques I. Là , nous avions d’abord vérifié l’état de la presse et du stock de papier. Pas de problème à ce sujet, mais il n’y avait pas d’électricité. Dans la région de Riche Terre, le réseau électrique était anéanti. Et nous n’avions pas encore de générateurs. Pour le CEB, c’était inimaginable de nous reconnecter au réseau avant au moins lundi.
Pour une des premières fois depuis son existence, Week-End n’allait pas paraître. Un dimanche sans Week-End, cette perspective n’était pas envisageable pour JR. Les journalistes furent malgré tout appelés à préparer leurs articles et de boucler leurs reportages. Au cas où…
En début d’après-midi, JR nous informe qu’il a pu trouver un générateur tout neuf capable de répondre aux exigences d’électricité de la presse. Et nous demande de signer un chèque de Rs 1 million, le plus gros chèque que nous n’avions jamais signé jusque-là . Nous avions le générateur, mais pas le service pour l’installer avant le lundi, juste l’accord de le déposer à Riche-Terre, ce qui fut fait vers 14 heures.
Sur ce, nous avons rejoint la rédaction pour préparer le journal. JR, lui, était resté sur place avec ses deux compères et le personnel de l’entretien de la compagnie. Huit heures plus tard, le générateur fonctionnait et la presse prête à imprimer. Finalement, ce serait un dimanche avec Week-End. Pour couronner le tout, l’hebdomadaire a été tiré à 94 000 exemplaires vendus, un record absolu, jamais égalé, à une époque sans internet, sans réseaux sociaux, où votre hebdomadaire dépassait la barre des 80 000 exemplaires chaque semaine.
Cette anecdote met en relief les qualités propres à ce qu’était Jacques Rivet aux commandes du Mauricien Ltd dans les grands moments : vision, prise de risques, confiance, passion et ouverture d’esprit. Bien sûr, il avait aussi les défauts de ses qualités, mais il a été un véritable leader et homme de presse, qui a inspiré et qui continue à nous inspirer. C’est évidemment lui qui avait insufflé le slogan Un dimanche sans Week-End est comme un Week-End sans dimanche…
Un an déjà et un immense vide. Merci de nous avoir tant donné….
BD