Hausse vertigineuse des prix alimentaires : Au pays obsédé de métro, des foyers ne mangent plus à leur faim

  • Francesca : « Kan mo get pri manze, mo leker tranble »

Pour assurer un repas à ses cinq enfants, jeudi soir, une mère a mélangé de la farine à un oeuf pour en faire une omelette. Le même jour, une autre a emprunté de l’argent pour acheter des petits pois et une boîte de tomate pour faire une rougaille pour que ses trois enfants ne dorment pas sans dîner. Au même moment, ailleurs, une maman prépare un sachet de nouilles instantanées (vendues à Rs 9) pour son fils de 4 ans. Elle n’a rien d’autre à lui donner. Il y a aussi ces familles,comme celle de Nathalie, qui ont basculé dans la précarité et qui ne peuvent même pas s’acheter un pain sans l’aide de leurs proches ou d’ONG. Dans l’incapacité de faire face à la hausse vertigineuse des prix des produits alimentaires alors que leur maigre revenu ne peut couvrir leur budget de dépenses, il y a dans ce pays qui rêve de métro du centre à l’Est, des foyers ne mangent pas à leur faim. Encore une fois, ce sont les femmes, les plus touchées avec leurs enfants par la précarité et l’inflation, qui parlent de leur combat pour manger au quotidien.

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Padmini (nom modifié), 37 ans, a cinq enfants scolarisés âgés de 6 à 15 ans et qu’elle élève seule. Pour le repas de jeudi soir, elle a préparé une fricassée de grains secs et une omelette faite avec un œuf seulement qu’elle a divisé en cinq parts. Pour s’assurer que tous ses enfants ont une tranche d’omelette, elle a trouvé, dit-elle, une astuce. « Kan mo’nn fini bat dizef-la, mo azout lafarinn pou li vinn epe. Mo pena swa », confie Padmini. Tout ce qu’elle a utilisé ce soir-là pour préparer le dîner de sa famille — tout comme le peu qui reste des produits de base dans le placard de sa cuisine — lui a été donné par une organisation non-gouvernementale. Padmini fait partie des familles se trouvant au plus bas de l’échelle et qui, malgré un emploi, n’arrivent plus à nourrir leurs enfants sans l’aide d’ONG, de bons samaritains ou de leurs proches.

La flambée des prix des denrées alimentaires retient plus que jamais des responsables de famille loin des rayons de supermarchés. Padmini fait aussi partie de ces Mauriciens qui, faute d’argent, n’ont pu se ruer dans les supermarchés il y a une semaine pour acheter de l’huile. Elle était depuis longtemps déjà à court d’argent. Employée dans une crèche, la jeune femme touche un salaire mensuel de Rs 8 000. Et bénéficiait jusqu’à récemment d’un soutien financier de Rs 3 500 par enfant scolarisé (maximum trois enfants) sous le registre social. Il y a trois mois encore, Padmini, qui vit dans une maison de deux pièces, explique qu’elle arrivait à se débrouiller. Le montant du support financier pouvait même varier, dit-elle. « Parfwa zot donn zis Rs 1 900. »

Au bazar, acheter les invendus

Depuis que le ministère de la Sécurité sociale a stoppé le paiement des aides pour cause de réévaluation des bénéficiaires, Padmini explique qu’elle ne parvient même pas à entamer la deuxième semaine du mois sans qu’elle n’ait à chercher de l’aide pour survivre. « Je me demande comment font les autres », lâche Padmini, qui sait, dit-elle, qu’il y a des familles dont la situation est pire que la sienne. À l’instar de Nathalie (nom modifié), 42 ans, qui, malgré un nouvel emploi rémunéré à Rs 16 000, est tombée dans l’extrême précarité, au point de ne pouvoir acheter à manger pour ses trois enfants, dont un bébé. Et ce, le jour même du versement de son salaire.

Ou encore Francesca (nom modifié), 50 ans, mère de trois enfants, qui attend toujours les dernières minutes avant la fermeture du marché de son village pour acheter les invendus abîmés pour une poignée de roupie. « Mo pa onte pou dir ou ki arive kot mo ramas legim ki marsan pe al zete », confie Francesca. Et que dire de Nadine, 45 ans, maman d’un petit garçon de 4 ans… Cette dernière dépend du support financier de Rs 2 800 dont son enfant est bénéficiaire pour acheter de la nourriture pour quelques jours seulement. « Mo pa kone ki pou kwi tanto, pa parski mo ena enn kantite swa, me parski pena narye pou kwi », nous confiait-elle vendredi matin. Dans un coin de sa cuisine, elle a gardé un paquet de nouilles instantanées. « Ce sera pour mon fils, ce soir. »

Pour comprendre pourquoi la hausse des prix des produits alimentaires fait que certaines familles font l’impasse sur les rayons des supermarchés, s’endettent auprès des boutiquiers de leur rue, achètent auprès des petites surfaces, faisons un calcul. D’abord avec Padmini. Cette dernière a pour tout revenu son salaire de Rs 8 000. « Je paye un loyer de Rs 3 500. Mon enfant de 10 ans a été promu en Grade 6, je lui paye des leçons particulières à Rs 450. Je paye l’électricité à Rs 300 et l’eau à Rs 200. J’ai fait plaisir à mes enfants et aussi pour leur éviter la rue, je leur ai acheté une console PS4 à crédit avec une mensualité de Rs 850. Avec ce qui reste, j’achète un sachet de lait, un sac de riz ration, un paquet de sucre, des œufs, un peu de viande, du thé, des vermicelles, du savon, quelques boîtes de conserve, des petits gâteaux pour l’école, du beurre, du beurre de pistache… », explique Padmini.

Du pain sans accompagnement

Aux plus grands de ses enfants, elle leur remet Rs 10 comme argent de poche. « Ki pou fer ek Rs 10 ? Mo kone pa gagn narye ladan. Mais mes enfants économisent leur argent. Ils me disent que cela leur fait une petite somme à la fin du mois », poursuit-elle. Pour s’en sortir, Padmini explique qu’elle est contrainte de faire appel à ses parents, âgés et retraités. Ils l’aident grâce à leur pension. Cependant, depuis que sa mère est tombée malade, elle n’ose plus lui demander de l’aide.

Pour Nathalie, qui concède être au bord du précipice, le compte va être vite fait. Pour cause, étant la seule source économique de son foyer, la quasi totalité de son salaire va dans le remboursement du prêt bancaire de Rs 850 000 contracté pour la construction de sa maison. Soit une mensualité de Rs 14 000. « Le reste sert à acheter les couches du bébé et son lait : c’est une priorité pour moi. On ne peut plus rien payer ni acheter. On n’a plus internet. Ma fille qui a pris part aux examens de School Certificate l’an dernier a dû se rendre chez une ONG pour avoir accès à internet afin de faire son projet. Pour les factures d’électricité et d’eau, mon mari et moi comptons sur nos parents respectifs, qui sont âgés ! » se désole la mère de famille. Quand ce ne sont pas ces derniers qui leur achètent les produits de première nécessité, c’est l’ONG Caritas de son quartier qui lui remet des aliments de base. Puis, il y a aussi ces soirs, dit-elle, où le repas pour toute la famille consiste en pain, sans accompagnement consistant. Et d’autres soirs où elle peut préparer du riz accompagné des grains secs et de sardines.

Il y a trois ans encore, Nathalie et son mari travaillaient dans le secteur touristique. Leur revenu était correct. « Autour de Rs 35 000 », dit Nathalie. « Nous pouvions vivre bien et avions même envisagé la construction de notre maison », dit-elle. Le Covid-19 et ses conséquences économiques sont arrivés et le couple a perdu son emploi. « Nous ne pouvions plus payer notre crédit. Il y a eu un enchaînement de problèmes financiers. La banque était sur le point de saisir notre maison, dont la construction n’est pas finie. D’ailleurs, les jours de pluie, ça coule de partout… » Pour subvenir aux besoins de sa famille, l’époux de Nathalie s’est mis à son compte dans la menuiserie. Mais les acomptes que lui avançaient ses clients ont servi à acheter à manger pour sa famille et payer les factures.

« Mo kapav zis aste lapat ek likou poul »

« Il ne me disait pas qu’il utilisait l’argent des matériaux. Au final, il s’est endetté auprès d’eux et doit terminer les travaux sans être payé ! » confie Nathalie, épuisée moralement. Pour éviter la saisie de sa maison, elle a fait appel à Caritas. L’ONG lui a avancé l’équivalent de deux mensualités. Son ultime recours pour être à l’abri d’une saisie et la soulager financièrement, dit-elle, serait la vente d’un terrain que lui a légué son père. Un héritage, explique cette dernière, qui est estimé à Rs 1,5 M. « Cela me fait mal au cœur de vendre ce terrain, mais je n’ai pas le choix. Toutefois, on a du mal à trouver un acheteur. Personne ne veux dépenser par ces temps-ci », dit-elle.

De son côté, Francesca, sans emploi, nous confie d’emblée avoir puisé dans sa pension (Rs 9 000) de veuve son unique revenu pour payer ses crédits et factures. « J’ai dû remplacer mon ancien réfrigérateur, acheté une télévision, un ventilateur et une radio à crédit. Il me reste juste de quoi pour acheter des couches et des lingettes à meilleur marché pour ma fille de huit ans qui est trisomique, du riz ration, un paquet de thé, du lait, du sucre, des grains secs, de quoi pour le pain des enfants. Quant à la viande… mo kapav zis aste lapat ek likou poul dan bazar. Je ne peux pas acheter plus que ça ! Il m’est arrivé de retirer des courses sur le tapis de la caisse parce que j’avais atteint un montant de Rs 6 000. Kan mo get pri manze, mo leker tranble », dit-elle.

« Des légumes ? J’en achète pas ! »

Francesca ne paye pas de loyer, car elle habite dans une pièce construite sur un terrain familial et qu’elle partage aussi avec son compagnon. « Il n’a pas de travail fixe. De toute façon, je ne peux même pas compter sur lui », concède cette dernière. « Mo fek al rod Rs 1 000 prete ek mo matant. Kifer ? Parski mo pena narye ! Narye mo dir ou. Mo frizider vid », poursuit-elle. Même les Rs 3 400 dont elle bénéficie pour envoyer ses enfants au collège sont finies. Avec l’argent que lui a avancé sa tante, Francesca a acheté une boîte de petits pois et une boîte de tomates. « Mo’nn kwi toule-de pou manz ek diri. Demin mo pou kwi dal ek enn ti kalbas. Tous les jours, je me demande comment trouver de quoi préparer. » Pour faire la lessive, elle a remplacé le savon liquide pour la machine à laver par celui de la vaisselle. « Du moment où les enfants portent des vêtements propres pour aller à l’école, c’est ça qui compte. Kan li pa lav tro prop, mo relav bann linz-la ar lame », explique Francesca.

Le 10 avril, date à laquelle elle percevra son aide financière, est loin. Nadine explique qu’en attendant, elle demandera, comme d’habitude, à son frère de lui donner de quoi acheter pour nourrir son fils. Comme à chaque 10 du mois, elle prélève Rs 700 pour ajouter aux Rs 1000 que lui donne son frère afin de payer sa pièce en tôle. Elle fera ses courses au petit supermarché du village pour acheter, dit-elle, deux sacs de riz ration, des mines, des boîtes de conserve, des grains secs, du jus concentré pour son fils si c’est en promotion, du fromage et quelques autres denrées alimentaires pour garnir le pain de son enfant qui fréquente le préscolaire public. Et le compte sera vite bouclé, il ne lui restera à peine pour payer des œufs et le boutiquier pour une semaine de pain. « Des légumes ? J’en achète pas ! Pa kapav. Erezma mo res pre kot enn karo legim. Le planteur me donne parfois des lalos et des calebasses », dit Nadine.

Réévaluation des bénéficiaires du SRM :Des familles sans aides financières depuis près de trois mois

Cela fera bientôt trois mois depuis que des bénéficiaires, à travers le pays et inscrits au Social Register of Mauritius, n’ont pas reçu leur aide financière mensuelle. Le montant de la somme varie selon les cas et peut atteindre Rs 3 500 par bénéficiaire sous un même toit. Ces familles enregistrées auprès de la National Empowerment Foundation (NEF) et éligibles au Subsistence Allowance Scheme, Crèche Scheme, School Materials Scheme et School Premium Scheme disent ne pas avoir été averties de l’interruption du versement mensuel de leur argent. Entre-temps, celles-ci doivent envoyer leurs enfants à l’école ou encore subsister face à la cherté de la vie avec peu ou pas de ressources. Selon nos informations, le ministère de la Sécurité sociale est en train de procéder à l’exercice de réévaluation des bénéficiaires. Cet exercice annuel vise à déterminer si ceux-ci répondent toujours aux critères d’éligibilité pour les différents schemes accordés aux familles en situation de vulnérabilité économique. Toutefois, le temps que dure cette procédure, la Sécurité sociale ou encore la NEF n’ont pas jugé utile d’avertir leurs bénéficiaires.

 

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