Les relations entre Maurice et la Chine sont intergénérationnelles et dimensionnelles car la culture est transmise des plus âgés aux plus jeunes. Ce partage préserve l’amitié entre ces deux pays depuis 50 ans.
Lors d’un forum-débat sur le thème “Générationnelles et Dimensionnelles, les relations Maurice-Chine” à la municipalité de Port-Louis, la Chinatown Foundation a voulu partager l’expérience des différentes générations de Sino-Mauriciens et de l’évolution de cette amitié. Joseph Tsang Mang Kin, Philip Li et Charles de Loppinot ont apporté davantage d’éclaircissements. Dialogue autour des aînés…
Parlant du 50e anniversaire de l’établissement diplomatique entre la Chine et Maurice, Kathleen Lai, vice-présidente de la Chinatown Foundation, évoque la relation d’amitié entre les deux pays depuis 1972, qui n’a fait que se renforcer. « Cette relation est intergénérationnelle et dimensionnelle par la transmission de la culture et le partage de nos aînés à nos jeunes d’année en année », dit-elle.
De son côté, Jean Paul Lam, président de la Chinatown Foundation, a mis l’accent sur le thème principal de ce forum axé sur les liens générationnels et dimensionnels entre Maurice et la Chine, l’interaction et le dialogue autour des aînés et des jeunes assurant la continuité et l’amplification des liens profonds entre les deux pays et les deux cultures.
« Comme le disait le célèbre poète chinois de la dynastie Tang : Vous profiterez d’une grande vue grandiose, si vous grimpez à une plus grande hauteur. Alors que la relation diplomatique Chine-Maurice entre dans son 50e anniversaire, nous devons saisir l’occasion et surmonter nos défis communs pour porter nos partenaires stratégiques Maurice-Chine vers une collaboration mutuelle. Et cela ne peut se faire que si nous travaillons ensemble pour un avenir meilleur », souligne Jean Paul Lam.
Le forum-débat, placé sous la férule de Kathleen Lai, vice-Présidente de la Chinatown Foundation, avait pour invités Joseph Tsang Mang Kin, ancien ministre des Arts et de la Culture, Philip Li et Charles de Loppinot, président de l’Union des Français de l’étranger à Maurice. La question tournait autour du sentiment des trois interlocuteurs sur la manière qu’ils ont vécu cette relation entre Maurice et la Chine durant ces 50 dernières années.
« Le tonton est aujourd’hui appelé par son prénom »
Joseph Tsang Mang Kin, le premier orateur, a parlé de la génération transmission des aînés et de la nouvelle génération placée, elle, sous le signe de l’observation générationnelle. Il a fait état de la cassure entre générations qui prévaut dans le monde avec les problèmes liés à l’économie et qui a provoqué une forme de dispersion, les aînés d’un côté, les jeunes, de l’autre. « Il n’y a plus de transmission entre les générations, les valeurs se perdent. Un clivage s’est installé et il reste un grand fossé qui doit être comblé »,déplore Joseph Tsang Mang Kin.
Ce dernier a évoqué la contribution des Chinois arrivés à Maurice le 1er mai 1854 avec un bagage culturel. Il a aussi fait état des échanges entre un jeune Chinois et ses parents restés en Chine qui ont gardé un contact privilégié. « Dans ce cas précis, les liens culturels sont existants. Par contre, on tend aujourd’hui à oublier les mots tonton, tante. On appelle les aînés par leurs prénoms. Il faut revoir cette école de pensée », dit-il. En 50 ans, selon lui, les Chinois ont beaucoup contribué au pays. Et dans chaque pays où la diaspora chinoise s’est implantée, il y a un Chinatown qui existe bien avant les ambassades.
Joseph Tsang Mang Kin avance que le Centre culturel chinois a joué un rôle prépondérant à Maurice, car les Mauriciens d’autres cultures ont appris à travers ce centre à tisser des liens économiques, culturels et commerciaux. « Il faut voir l’émergence de petits centres à Maurice et donner à d’autres communautés cette opportunité d’apprendre le chinois. Avec la présence de l’ambassade de Chine, il y a un désir de préserver cette culture chinoise. Il y a d’ailleurs un rapprochement entre la Chine et la France. Les Chinois découvrent le grand art, la gastronomie. Et notre culture chinoise est aussi présente dans tous les coins et foyers de Maurice avec les bols de mine, riz frit », rappelle-t-il avec force.
La « boutik sinwa » et le fameux carnet rouge
Philip Li dira, pour sa part, que la contribution des Sino-Mauriciens dans l’édifice de Maurice a été immense, notamment par sa culture, ses boutiques. « Imaginez Maurice dans les années 40, 50 et 60 où la boutique chinoise donnait et notait les crédits sans garantie dans ce fameux carnet rouge et qui a permis à beaucoup de familles de s’en sortir. Il fallait demander l’accord du boutiquier pour l’obtention d’une ligne de crédit. Le boutiquier faisait office de banquier », confie-t-il.
Philippe Li note que Maurice s’est développée grâce aux boutiques et que l’histoire ne peut que s’en souvenir. « Les boutiques chinoises ont disparu, les jeunes ont préféré gravir l’échelle sociale. La deuxième génération ne veut plus de ce métier, ni se retrouver derrière le comptoir, apprendre à l’aide d’une bougie. La boutique reste pourtant l’avant-garde du progrès de Maurice », reconnaît-il.
L’annonce d’un festival culinaire Maurice-Chine-France
Charles de Loppinot, président de l’Union des Français de l’étranger à Maurice, s’est penché sur l’évolution de la communauté chinoise au fil du temps, du Centre culturel chinois qui a favorisé bien des échanges et de la New Chinatown Foundation. Ouvrant une parenthèse, il a dit croire en cette force qui émane de ce triangle constitué par la Chine, Maurice et la France et qu’en ce sens, il a approché des parlementaires chinois, des grands chefs français et n’attend que l’accord de Jean-Paul Lam pour un grand festival culinaire fusion entre la New Chinatown Foundation, Maurice et France. « On peut aider dans des négociations d’investissements de Chine en France. »
Pour revenir sur l’aspect économique de Maurice, Joseph Tsang Mang Kin a tenu à rendre hommage à sir Seewoosagur Ramgoolam, le visionnaire. « Il y a 50 ans, SSR a reconnu le Only One China Policy. Il a cimenté la communauté chinoise à Maurice en faisant de la Chine un pays frère, faisant partie de Maurice. Le Chinois est un grand voyageur, même les Galeries Lafayette ont fait une salle spéciale pour les Chinois avec leurs bols de mines, etc. », ajoute-t-il.
Il a aussi mis l’accent sur les constructions faites par les Chinois dont Jin Fei, Bagatelle. « La Chine est la deuxième puissance économique mondiale. Il faut resserrer les liens économiques en se positionnant comme un partenaire privilégié. »
Philip Li a fait ressortir : « avec les non-Chinois qui parlent le mandarin, les gens réalisent que la Chine représente une grande ouverture pour les étudiants. Beaucoup de marchands ambulants ont appris le mandarin au Centre culturel chinois. »
Lors du forum-débat, Kathleen Lai a demandé aux invités leurs avis sur les relations sino-mauriciennes pour les 50 prochaines années. Joseph Tsang Mang Kin a fait état alors de sa tristesse de voir que la jeune génération ne réfléchit pas à l’avenir.
« Le Parlement, les universités sont tous endormis sur un questionnement d’avenir. Or, il est l’heure de réfléchir car Maurice se trouve dans un monde différent. La carte du monde se redessine avec des tendances, la puissance américaine, la Chine qui investit au Kenya. Il faut une réflexion profonde sur la place de Maurice qui peut déjà jouer un rôle essentiel dans la consolidation entre Maurice et la Chine. Pour cela, il faut une formation. Les jeunes Mauriciens qui connaissent la culture chinoise sont le modèle idéal pour servir d’interface entre la France et la Chine. Il est temps de former les jeunes à la maîtrise de la langue française et chinoise pour servir d’intermédiaires », a fait valoir l’ancien ministre.