Syndicaliste qui ne cesse de réclamer de meilleures conditions de vie et de travail des ouvriers étrangers, Faizal Ally Beegun n’hésite jamais à prendre la défense de toute la classe ouvrière face à des injustices. En cette période pré-électorale, et avec la présentation du dernier budget de ce présent gouvernement, l’observateur livre ses commentaires sans fard, comme à son habitude, et fait des suggestions. La campagne électorale 2024 est déterminante, assure le syndicaliste.
- Quelle devrait être la priorité du ministre des Finances, Renganaden Padayachy, pour son dernier budget avant les élections générales ?
La priorité du ministre des Finances doit absolument être la protection du pouvoir d’achat des plus vulnérables de notre société. Nous constatons une baisse continue du pouvoir d’achat, qui est aujourd’hui la principale préoccupation de tous. Cette situation est aggravée par les tensions géopolitiques mondiales, qui influent sur les prix des produits importés.
Maurice dépend fortement des importations alimentaires, ce qui nous rend particulièrement vulnérables aux fluctuations des prix sur le marché international. C’est pourquoi il est impératif que le gouvernement intervienne pour atténuer l’impact de ces hausses sur les plus démunis.
- Quelles mesures recommandez-vous pour atténuer l’impact sur les consommateurs ?
D’abord, le gouvernement doit mettre en place un contrôle strict des prix des denrées alimentaires de base ainsi que des médicaments. Ces produits sont essentiels et toute hausse de prix affecte directement le quotidien des familles. De plus, des subventions ciblées pour les produits de première nécessité pourraient être envisagées afin de soulager les ménages les plus vulnérables.
– Venons-en à la campagne électorale : que vous inspire le projet de loi sur le financement des partis politiques ?
Je pense que ce projet de loi est un pas dans la bonne direction pour garantir une plus grande transparence dans notre système politique. La question du financement des partis politiques est souvent entourée de suspicion et de préoccupations concernant l’influence indue des intérêts privés.
Si ce projet de loi est bien conçu et correctement appliqué, il pourrait contribuer à renforcer la confiance du public dans le processus démocratique en limitant l’impact des dons de grandes entreprises ou de personnes fortunées sur les décisions politiques. Mais malheureusement, les partis politiques à Maurice n’ont toujours pas dégagé de consensus !
- Votre lecture et vos observations de syndicaliste en cette année électorale, et la présente situation sur la scène politique…
En cette année électorale et compte tenu de la situation politique actuelle, les syndicats ont un rôle essentiel à jouer pour défendre les intérêts des travailleurs et promouvoir le dialogue social. Ils doivent surveiller de très près les politiques proposées par les différents partis politiques et s’assurer qu’elles répondent aux besoins des travailleurs en matière de salaires, de conditions de travail et de protection sociale.
Les syndicats doivent également rester vigilants face à toute tentative de manipulation politique. Nous nous souvenons des promesses faites à la veille des élections aux syndicats dans le passé. Les syndicats ne doivent pas se laisser manipuler. Notre combat est différent de celui des politiciens.
Il est clair que nous sommes déjà en campagne électorale. Les promesses pleuvent des deux côtés. Nous l’avons vu à Port-Louis le 1er mai, alors que le camp Jugnauth jouera certainement sur les annonces budgétaires de cette fin de journée. Il faut absolument rester vigilants face à la surenchère politique.
- Redoutez-vous des dérives et dérapages durant la campagne ?
Justement, à ce propos, je suggérerais que les autorités mettent en place, dès la dissolution du Parlement, une instance ou une structure qui veillerait qu’il n’y ait pas de dérapages lors des meetings. Je pense, ici, à l’usage de la religion et les coups en dessous de la ceinture, comme traîner des familles dans la boue pour des raisons purement politiques.
Nous sommes en 2024. Comportons-nous comme des adultes matures et responsables. Et donnons le bon exemple ! Il faut absolument que notre force policière joue pleinement son rôle sur ce plan et que ceux trouvés coupables de sédition ou qui jouent avec l’honneur des familles soient sévèrement sanctionnés. Qu’il n’y ait pas de Cover-Up ou de politique de deux poids, deux mesures. C’est un signal fort que le peuple attend.
- Quelles devraient être les priorités du prochain gouvernement ?
Les priorités du prochain gouvernement devraient être axées sur plusieurs aspects cruciaux pour le développement durable et l’inclusion sociale. Si les tensions politiques perdurent sur le plan international, il est impératif de protéger les emplois et les entreprises contre les répercussions économiques.
En ce qui concerne l’emploi et l’éducation, il est nécessaire de créer des emplois décents et durables pour répondre aux besoins de la population, tout en investissant dans l’éducation et la formation professionnelle afin de renforcer les compétences des travailleurs et de stimuler l’innovation et la croissance économique.
Parallèlement, la réduction des inégalités sociales doit aussi être une priorité. Enfin, pour assurer un avenir durable, il est crucial d’adopter des politiques environnementales ambitieuses pour lutter contre le changement climatique et encourager le développement durable.
- Le combat des syndicats est-il bien pris en considération par les partis politiques ?
C’est une question complexe. Certains partis politiques peuvent être plus enclins à soutenir les revendications des syndicats s’ils perçoivent un avantage électoral à le faire, ou s’ils partagent des objectifs communs en matière de justice sociale et de droits des travailleurs.
À Maurice, si un parti politique se retrouve au sein de l’opposition, il est enclin à se joindre aux mouvements syndicaux. Nous les voyons lors des manifestations, par exemple. Cependant, lorsque ce même parti accède au pouvoir, la donne change : nous ne le voyons plus, nous ne l’entendons plus ! Ça a toujours été le cas, même si je dois souligner que certains ministres du Travail que le pays a connus ont été plus réceptifs que d’autres.
Ceci dit, il est crucial que les syndicats continuent à faire entendre leur voix et à défendre les droits des travailleurs, quel que soit le parti au pouvoir. Le dialogue et la collaboration entre les syndicats et les partis politiques sont essentiels pour construire une société plus juste et équitable pour tous.
- Quelle est la situation des travailleurs étrangers actuellement ?
Les travailleurs étrangers à Maurice sont actuellement indispensables pour plusieurs secteurs économiques, notamment la construction, le textile et le tourisme. Leur présence est cruciale en raison de la pénurie de main-d’œuvre locale exacerbée par le vieillissement de la population et l’émigration. Cependant, leur situation demeure précaire. Bien que leur contribution soit essentielle, ils sont souvent confrontés à des conditions de vie et de travail difficiles.
Par ailleurs, j’en profite pour attirer l’attention de Pravind Jugnauth sur le recrutement de la main-d’œuvre du Bangladesh. Il y a, actuellement, un genre de ‘boycott’ qui perdure, en termes de non-renouvellement de contrats et de non-recrutement de personnes venant de ce pays. Je demande au Premier ministre de se ressaisir et de rectifier le tir. Il ne s’agit pas de faire plaisir à un pays au détriment d’un autre. Il s’agit avant tout et surtout de notre économie ! Cette main d’œuvre du Bangladesh a une forte contribution à la construction et la consolidation de l’économie mauricienne. Un peu de respect envers ces bâtisseurs ne serait pas de trop !
- Quels sont les principaux problèmes auxquels font toujours face les travailleurs étrangers ?
Les conditions de logement sont souvent très mauvaises, avec des dortoirs surpeuplés qui manquent d’intimité et posent des risques sanitaires. En termes de rémunération, bien que le salaire minimum soit fixé à environ Rs 16 500 par mois, certains employeurs ne respectent pas cette norme, particulièrement pour ceux qui n’ont pas encore une année de service.
Les abus des recruteurs constituent un autre problème significatif. Beaucoup de travailleurs arrivent à Maurice après avoir été dupés par des agents recruteurs, se retrouvant avec des dettes importantes et des conditions de travail très différentes de celles promises initialement.
- Vos suggestions pour améliorer leurs conditions de travail et d’hébergement?
Il est essentiel de réformer les conditions de logement en mettant fin aux dortoirs surpeuplés et en introduisant des logements plus petits et privés, idéalement des chambres individuelles. Il faut également renforcer l’application des lois sur le salaire minimum pour s’assurer que tous les travailleurs étrangers reçoivent ce qui leur est dû dès leur arrivée, sans exception basée sur l’ancienneté.
De plus, il est impératif de réguler les pratiques des agents recruteurs par des contrôles stricts en vue d’éviter les abus. Il est vrai que les lois ont été revues à maintes reprises mais leurs mises en œuvre restent timides pour les travailleurs étrangers. Des mécanismes de surveillance doivent être mis en place pour mieux identifier le non-respect des lois.
- Quel est votre message en cette campagne électorale à ceux qui briguent les suffrages ?
Mon message aux futurs dirigeants est clair : il importe de donner priorité à la protection des travailleurs, qu’ils soient locaux ou étrangers. Les dirigeants doivent comprendre que la stabilité économique et sociale du pays dépend en grande partie de la manière dont nous traitons notre main-d’œuvre.
Il faut mettre en place des politiques robustes et humanitaires pour protéger et améliorer les conditions de vie de nos travailleurs étrangers, car ils sont indispensables à notre développement économique. Nous devons veiller à ce que chaque travailleur, qu’il soit un compatriote ou un étranger, soit traité avec dignité et respect.
- Dans quels secteurs Maurice sollicite-t-elle la main-d’œuvre étrangère actuellement ? Y a-t-il eu un changement dans ce domaine ? Pourquoi ?
Maurice sollicitait principalement la main-d’œuvre étrangère dans les secteurs de la construction, du textile et du tourisme. En 2023, environ 30% de la main-d’œuvre dans le secteur manufacturier était composée de travailleurs étrangers. Nous constatons une demande des employeurs dans des secteurs additionnels depuis un certain temps, par exemple, la restauration et les services de santé privés.
Parallèlement, les mesures budgétaires de l’année dernière ont facilité les procédures d’obtention des permis de travail à travers l’Economic Development Board (EDB) pour tous les secteurs. Cette politique d’ouverture repose sur le même raisonnement économique qu’auparavant – la contribution des travailleurs étrangers est essentielle pour compenser la pénurie de main-d’œuvre locale et soutenir la croissance économique du pays.
- Quel devrait être un salaire décent pour les travailleurs ?
À mon avis, le ministre des Finances doit augmenter le salaire minimum des travailleurs mauriciens et étrangers de Rs 3 000-Rs 4 000. Par ailleurs, je plaide pour la continuité des allocations de Rs 2 000 aux travailleurs via la Mauritius Revenue Authority. Ces allocations constituent une bouffée d’oxygène pour de nombreux employés face à la montée du coût de la vie.
En ce qui concerne les prestations sociales, comme les pensions de vieillesse et des handicapés, une hausse de Rs 2 000 est souhaitée.
- Le dépouillement des votes le jour même des élections : qu’en pensez-vous ?
En théorie, le dépouillement le jour même est effectivement une très bonne idée pour réduire les risques de divergences et les perceptions de fraude. Cependant, dans le contexte mauricien, sa mise en œuvre est extrêmement compliquée et pourrait même créer plus de problèmes qu’elle n’en résout. Les élections à Maurice sont entourées d’une certaine effervescence et d’un folklore unique qui nécessite une gestion très soignée et rigoureuse des processus électoraux.
- Quels en sont les principaux défis ?
Le principal défi est le nombre de fonctionnaires nécessaire pour mener à bien un tel exercice. Actuellement, environ 15 000 personnes sont mobilisées pour les opérations de vote et de dépouillement, réparties sur deux jours. Avec un dépouillement le jour même, il faudrait environ 22 000 personnes. Organiser et coordonner un tel effectif représente un véritable casse-tête logistique et administratif, d’autant plus que nous dépendons principalement de fonctionnaires qui ont déjà leurs propres charges de travail.
Un autre point critique est l’aspect sécurité et le maintien de l’ordre. Si le dépouillement se termine tard dans la nuit et que les résultats sont annoncés après minuit ou tôt le matin, il est presque certain que des rassemblements spontanés de militants politiques auront lieu pour célébrer leurs victoires. Ces célébrations peuvent rapidement dégénérer, surtout si les résultats sont contestés.
Nous avons déjà vu, lors des élections de 2019, comment une demande de recomptage par Navin Ramgoolam a causé du chaos au centre de dépouillement en pleine nuit. Cela pose de sérieux défis en matière de sécurité. La police devra être capable de gérer non seulement les foules, mais aussi de garantir la sécurité des habitants des quartiers voisins des centres de dépouillement. D’où, encore une fois, ma demande de création d’une instance pour veiller à ce que les dérives et les dérapages soient bien contenus et sanctionnés.
(Propos recueillis par Husna Ramjanally)