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Face à la flambée des prix : la classe moyenne s’enlise

— Pour boucler ses fins de mois, elle passe au travail d’appoint

Tandis que la flambée des prix de produits de consommation pousse les foyers qui sont au bas de l’échelle à exprimer haut et fort leur désarroi, la classe moyenne, y compris moyenne supérieure, est plutôt silencieuse. Mais elle ne souffre pas moins des conséquences du coût élevé de la vie. Après avoir connu une ascension sociale au prix de sacrifices, et grâce à la croissance économique, aujourd’hui ces ménages intermédiaires ne peuvent plus assurer les dépenses du quotidien malgré leur revenu a priori confortable. Le pouvoir d’achat de la classe moyenne a dégringolé. Et pour boucler les fins de mois, des familles confient, ici, ne pas avoir d’autre choix que de faire un travail d’appoint.

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Avant, quand il faisait ses courses en prévision du week-end, Hans ne manquait jamais de glisser deux canettes de bière dans le caddie. Et des gâteaux pour ses enfants. Ce jeune père de famille, de formation scientifique, aime s’accorder un moment de détente auprès des siens après une semaine de travail intense. Pour un professionnel de la classe moyenne supérieure, ce plaisir à petit prix était largement dans ses moyens. Hans et son épouse, employée dans le secteur privé, ont un revenu mensuel d’environ Rs 100 000. Mais comme dirait l’autre, les deux bières du week-end c’était avant. Précisément avant la flambée des prix des produits alimentaires, du gaz ménager, du carburant et encore.

« Depuis, j’en achète plus. J’ai fait le choix d’acheter un peu plus de gâteaux pour mes enfants », concède Hans. Malgré un revenu confortable, ce dernier de même que beaucoup de ménages mauriciens de classe moyenne (et supérieure) sont contraints de revoir leurs priorités. La moitié du revenu des foyers aisés est absorbé par les dépenses liées à la consommation. L’autre moitié va dans le remboursement d’emprunt pour l’achat d’un bien, d’une voiture, la scolarité des enfants…

Coincés dans un ascenseur social en panne à cause de l’inflation, la dépréciation vertigineuse de la roupie et du coût de plus en plus élevé de la vie, des foyers qui perçoivent un revenu entre Rs 40 000 à Rs 100 000 sont eux aussi forcés de se serrer la ceinture pour vivre. Il y a encore deux ans, Rajiv, 45 ans et enseignant de carrière, pouvait, dit-il, rembourser le crédit bancaire de Rs 5 millions pour l’achat de sa maison, profiter de son abonnement au club de gym et planifier des vacances dans un 5-étoiles ou à l’étranger avec sa famille sans stresser.

Aujourd’hui, le revenu — Rs 60 000 — de son couple, concède-t-il, ne suffit plus pour entretenir le niveau de vie de sa famille. Plus de la moitié de son budget va au remboursement du crédit pour la maison. « Je ne vais plus à la gym. Je ne peux plus payer mon abonnement. Pour rester en forme, je fais de la marche et je joue au foot avec mon fils et ses amis », confie Rajiv.

« La classe moyenne est en train de s’appauvrir », ne cesse de marteler l’opposition chaque semaine en commentant la hausse des prix de produits de consommation. Si la chute du pouvoir d’achat des ménages intermédiaires inquiète (dans la sphère politique), c’est aussi parce que la classe moyenne, qui représente presque la moitié de la population active à Maurice, a de plus en plus de mal à dynamiser le marché de la consommation, donc l’économie. « Est-ce qu’on est en train de s’appauvrir ou disparaître ? Il y a-t-il encore une classe moyenne ? » se demande Rajiv.
Elle saute des repaspour ses enfants

De son côté, Zakia, 50 ans, décoratrice d’intérieur, vivait dans le confort grâce à son pouvoir d’achat. Elle confie : « La flambée des prix sur l’alimentation, l’essence, etc. ont été un coup dur pour mon budget, d’autant que je suis self employed. Désormais, je réfléchis à deux fois avant de sortir. Je fais un trajet bien défini en faisant tous les achats et les paiements pour ne pas gaspiller du carburant. J’ai même baissé mon forfait téléphone et je n’achète ni vêtements, chaussures ou autres accessoires non essentiels, alors qu’auparavant j’avais un budget mensuel de Rs 8 000 à Rs 10 000 pour ces achats.

Quant à la nourriture, je n’ai pas revu la qualité des produits alimentaires que je consomme à la baisse, mais j’en achète moins et j’achète beaucoup de produits en promotion en comparant les prix. Les sorties resto ou autre divertissement, à part la plage, c’est fini pour évacuer le stress de la situation. » Zakia est loin d’être la seule à limiter ses déplacements en voiture. Le prix du carburant a en effet dissuadé plusieurs professionnels de la classe moyenne de sortir leur voiture du garage pour se rendre au travail.

C’est de sa cuisine, dans un quartier résidentiel à Tamarin, qu’Anne, mère de famille recomposée et épouse d’un directeur d’entreprise, se confie. Elle explique qu’elle attend la rentrée de son petit à la garderie pour travailler. Pourtant, il y a encore quelque temps, le couple avait décidé qu’Anne ne travaillerait pas pour s’occuper du dernier né. « Quitte à travailler à mon compte trois fois par semaine, je le ferai pour participer aux dépenses du foyer », dit-elle, décidée. Une fois les charges, dont la scolarité des enfants et le salaire de la femme de ménage, payées, dit Anne, ce qui reste du salaire mensuel de Rs 60 000 de son époux va dans l’achat de la nourriture et des couches.

Toutefois, confie Anne, pour minimiser les dépenses, elle achète des produits alimentaires les moins chers, se rend dans plusieurs supermarchés pour être sûre de faire de bonnes affaires et privilégie le made in Mauritius. « Je ne me souviens plus de la dernière fois où nous avons tous mangé un bon steak. Ce n’est plus possible de s’en payer ! » confie encore la jeune femme. Elle avoue même « sauter des repas » pour que sa famille puisse manger correctement. Autre sacrifice qu’elle consent à faire, dit-elle, c’est de se priver de vêtements neufs et de déplacement en voiture pour ne pas dépenser en carburant. Les sorties en famille au restaurant, dans les parcs payants ne sont plus d’actualité, dit-elle.
« Pas d’achats
alimentaires »

Et parce que le prix du caddie rempli et de la tant bazar a doublé, Hans a confie qu’il a revu à la baisse son achat en viande. « J’achète davantage de grains secs », dit-il. « Mais, s’insurge Rajiv, au lieu de nous faire entendre haut et fort, on est en train de subir la hausse des prix en silence. Qui plus est, celle-ci n’est pas toujours justifiée ! » Rebondissant sur cette réflexion, Hans est d’avis « que tôt ou tard, la classe moyenne descendra aussi dans la rue. Ce qui donnera lieu à un soulèvement social. » Et Rajiv de poursuivre : « Nous sommes arrivés à un point où nous n’avons d’autre choix que de trouver un travail d’appoint pour vivre. Si je ne donnais pas de leçons particulières, je n’aurais pas pu faire des achats alimentaires. La classe moyenne est contrainte de travailler sans relâche pour un salaire qui ne correspond pas à nos aspirations. Et si seulement la notion de repos, de vacances, de loisirs faisait partie de nos acquis, cela aurait compensé nos efforts. »

De son côté, Hans, qui vient de finir la construction de sa maison, s’estime chanceux d’avoir échappé à la hausse des prix des matériaux. Pour ajuster à son budget après les dépenses ménagères et autres, Hans propose ses services comme consultant auprès des agences internationales. L’époux d’Anne n’est pas en reste. Seul pilier économique de son foyer, il arrondit les fins de mois en prêtant main-forte dans l’entreprise d’un de ses proches.

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