Le-Mauricien a rencontré Fabrice Konan, Senior Director et Country Leader de Visa pour Maurice. Il explique que des 100 000 commerçants opérant à Maurice, seuls 25% d’entre eux acceptent des cartes bancaires. Il estime que bien que Maurice ait parcouru un très long chemin en ce qui concerne le système de paiement par carte, avec pas moins de 2 millions de cartes bancaires en circulation, il reste encore beaucoup à faire pour devenir une Cashless Society.
Pouvez-vous nous parler de l’évolution du système de paiement par carte à Maurice ?
J’ai eu en toute humilité l’occasion de faire plusieurs séjours à Maurice ces dernières années. C’est un marché très particulier et extrêmement stratégique pour nous. Nous avons plus de trois décennies de collaboration. Les cartes bancaires sont entrées dans les habitudes des Mauriciens. À titre d’exemple, plus de deux millions de cartes sont en circulation à Maurice, qui a une population de 1,2 million de personnes. Nous nous retrouvons dans un pays où les gens ont plusieurs cartes. C’est un instrument de paiement que les Mauriciens ont adopté depuis longtemps.
Les habitudes des consommateurs mauriciens continuent d’évoluer. Non seulement ils utilisent leur carte pour les paiements au supermarché et en général, mais ils se sont très vite habitués au système Touch and Pay et n’hésitent pas à utiliser le QR Code avec leur téléphone, et qui sont promus par des identités qui ne sont pas nécessairement des banques, comme c’est le cas pour Myt Money. Mais nous avons aussi Juice de la MCB, le Blink d’Emtel ou le Pop de Bank One, entre autres.
Aujourd’hui, nous avons un écosystème de paiements très varié. Ce qui permet aux consommateurs d’avoir un large choix quant à la méthode de paiements qu’ils peuvent utiliser pour leur propre bénéfice et leur propre bonheur. Nous bénéficions également d’une diversité de technologies, permettant une meilleure expérience du consommateur.
L’utilisation de la technologie QR ne représente-t-elle pas une compétition sérieuse pour le Visa ?
Oui, c’est une compétition, et nous adorons ça. La compétition est bonne pour le pays et permet d’accentuer l’innovation au bénéfice des consommateurs et des marchands. Cela nous permet de donner le meilleur de nous-mêmes, d’innover, d’introduire de nouvelles techniques. C’est ainsi que nous avons été en première ligne concernant le paiement sans contact (Touch and Pay). Le marché a démontré qu’au-delà du paiement cash ou en scannant le code QR, ce nouveau mode de paiement est une belle expérience qui a séduit le consommateur mauricien.
Le Covid, qui a empêché le contact humain, n’a-t-il pas facilité votre tâche ?
Le paiement sans contact existait bien avant le Covid. L’épidémie a accéléré son utilisation. Aujourd’hui, sur deux transactions faites à Maurice, l’une est faite par paiement sans contact. Tout cela pour vous dire que nous sommes ravis par la compétition, car cela démontre que nous sommes suffisamment pertinents avec nos solutions pour le marché afin de continuer à apporter de la valeur aux Mauriciens dans leur comportement de paiement.
Même si pratiquement chaque Mauricien dispose d’une carte bancaire, il ne peut l’utiliser pour tout type de transactions, par exemple dans les petits commerces, où elles ne sont pas acceptées. Est-ce à cause de la commission qui doit être payée ?
C’est dû à divers facteurs. Selon les statistiques officielles, nous avons autour de 100 000 commerçants à Maurice. Toutefois, seulement un quart accepte le paiement électronique, que ce soit par carte ou d’autres moyens. Peut-être que les trois quarts des commerçants ignorent que nous disposons d’alternatives tout aussi bonnes que le paiement cash. Certains refusent aussi de payer une commission. En fait, la commission permet d’introduire dans l’écosystème une variable qui permet de rémunérer tous ceux qui développent la technologie. Lorsqu’un commerçant paie une commission de X, une partie de cette commission est versée à la banque qui a décidé d’investir dans cette technologie afin de pouvoir émettre des cartes. C’est un cercle vertueux.
En fait, en payant cette commission, le commerçant à première vue perd un peu. Mais si nous regardons bien, ce n’est pas nécessairement le cas, parce qu’il élargit la base de sa clientèle et peut augmenter son chiffre d’affaires. L’idée est qu’au lieu que le commerçant pratique une fixation par rapport à la marge de profits, il se concentre sur le business additionnel qu’il peut générer en acceptant les cartes bancaires. Cela inclut la possibilité de vendre des produits en ligne. Même depuis les États-Unis, je peux acheter certains produits propres à Maurice en ligne et payer par carte bancaire. Voilà comment le commerçant peut élargir sa clientèle pour le bien de l’économie mauricienne.
Comme ce sont les petits commerçants (les marchands de légumes, les PME, etc.) qui n’acceptent pas les cartes, on peut être tenté de dire que la carte bancaire ne touche pas la masse populaire…
Nous ne le touchons pas autant que nous l’aurions souhaité, mais les solutions proposées par Visa ne s’adressent pas uniquement à un petit segment de la population. Nous voulons nous adresser à la masse populaire et permettre aux gens d’utiliser leurs cartes pour leurs transactions quotidiennes.
Il est évident que c’est un défi que Visa souhaite relever afin de s’assurer qu’on progresse dans notre ambition de traiter vraiment la masse. Le consommateur doit savoir que lorsqu’il paie avec sa carte, il ne paie pas un sou de plus. C’est une promesse de Visa. Celui qui paie, c’est le commerçant. Mais le bénéfice qu’il obtient en acceptant la carte est plus important que le sacrifice qu’il fait sur sa marge.
Il faut aussi prendre en considération le fait qu’il n’y a pas que les consommateurs locaux. Maurice reçoit la visite de plus d’un million de touristes par an. Beaucoup circulent à travers le pays. Ils n’ont ni Juice, ni Blink, ni Pop, ni Myt, et ont souvent des cartes Visa. Or, ils ont envie de consommer mauricien ou d’acheter des produits au Marché Central ou dans des magasins de produits artisanaux. Comment doivent-ils faire s’ils ne disposent d’argent liquide ? Ce sont autant de clients que les petits commerçants peuvent attirer s’ils acceptent le paiement par carte.
À l’heure de l’intelligence artificielle et de la Big Data, à quel point ces cartes peuvent-elles être sécurisées ?
C’est la promesse principale de Visa ; payer de manière sécurisée. Si depuis 60 ans la marque Visa est acceptée et respectée, c’est parce qu’il y a cette garantie de sécurité. Il y a différents outils de protection sur lesquels on se met d’accord avec nos partenaires, les banques. Et il n’y a pas que les banques, car Visa entre en partenariat avec des sociétés non bancaires, avec la Fintech. Une des conditions pour intégrer l’écosystème Visa est d’avoir le même standard de sécurité que l’on exige pour protéger l’écosystème Visa de tous les risques qui pèsent sur lui.
Lorsque les gens payent avec leur carte Visa, leurs transactions sont sécurisées. Aucun détail de leur carte ne peut être enregistré par aucun appareil. De plus, les revenus des commerçants sont protégés. Nius dépensons des millions de dollars chaque année dans le groupe en vue de renforcer notre infrastructure de sécurité et s’assurer que tous les paiements soient sécurisés. L’objectif est d’inspirer confiance aux consommateurs.
Nus entendons souvent dire qu’il faut changer de code lorsque nous revenons de visite dans certains pays… Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas nécessaire. À moins que vous donniez votre code à n’importe qui. Le code est une information personnelle. Si vous êtes mariés, ne donnez pas le code de votre carte à votre épouse, et vice versa. Le code est un des moyens les plus performants pour identifier que vous êtes le propriétaire de votre carte. À moins que vous ne donniez votre code à une personne qui l’utilise pour une raison non autorisée, il n’y a aucune raison de changer son code. Visa a mis en place toute une batterie de protection pour les consommateurs, mais il demande également une responsabilité de la part des consommateurs. Je ne pense pas que vous laisseriez votre porte-monnaie n’importe où. Donc, cela doit être la même chose pour votre code de carte bancaire, qui est un outil de paiement.
À part les cartes de débit ou celles de crédit, quelles sont les autres cartes dont vous disposez ?
Ce sont les différents moyens de paiement. La carte de débit est généralement liée à un compte courant, tandis que la carte de crédit est utilisée sur la base de fonds mis à la disposition du détenteur de cartes par les banques. Il y a aussi les cartes prépayées, mais tout cela dépend du besoin du consommateur.
Comment vous adaptez-vous dans un monde où le téléphone est de plus en plus utilisé pour les transactions financières ?
L’Afrique a, comme vous le savez, été à la pointe de la révolution mobile. Le téléphone a permis à l’Afrique de faire du Leapfrog en matière financière. En Afrique, beaucoup de gens n’ont pas de comptes bancaires. Grâce au téléphone, aujourd’hui, ils bénéficient d’une « forme de base des services financiers ». C’est ce qu’on appelle la Mobile Money.
Maurice est historiquement une population bancarisée. Plus de 90% de la population possède un compte bancaire. En Afrique subsaharienne, c’est en dessous de 30%. C’est grâce au téléphone mobile que la majorité de ceux qui n’ont pas de compte bancaire peut avoir accès à des services bancaires et sortir ainsi de la précarité.
Aujourd’hui, même dans les pays bancarisés, l’expérience mobile devient une expérience attractive par rapport à la carte bancaire. C’est la raison pour laquelle dans les mois et les années à venir, à Maurice, nous aurons de nouvelles formes de paiement autour du téléphone portable. Cela a commencé avec le paiement à distance avec la carte, et ce sera bientôt le cas pour le téléphone également. Nous pourrons non seulement utiliser le téléphone, mais éventuellement une montre. Avec le 4G et le 5G, le téléphone est devenu un outil surpuissant sur lesquels de nombreux services sont offerts, dont les assurances, les services bancaires, les transferts d’argent ou l’obtention d’un crédit. Le téléphone devient une boutique centrale pour tout ce qui concerne les démarches de la vie quotidienne (payer, avoir un prêt, commander son billet d’avion, prendre rendez-vous chez le médecin, etc.).
Comment est-ce que Visa se positionne par rapport à ça ?
Le Core du business de Visa est le paiement. Tous les services de la vie ont besoin, à un moment ou un autre, d’un paiement ou d’une transaction financière. L’argent que j’obtiens à partir d’un crédit bancaire, je l’utilise pour faire un paiement à Maurice ou à l’étranger. L’expérience du paiement est centrale dans les activités quotidiennes. Visa essayera d’améliorer cette expérience de paiement tout en s’assurant que les différents fournisseurs de services puissent adjoindre à leur service une expérience de paiement qui est sécurisée. Notre focus consiste à s’assurer que ce paiement soit convenable et totalement sécurisé.
En matière de services, travaillez-vous aussi avec les services gouvernementaux ?
Ce sont des relations que nous avons avec les services gouvernementaux de certains pays. Aujourd’hui, à Maurice, nous avons des sujets d’exploration avec la Banque centrale autour de sujets de cybersécurité, qui sont de grosses menaces pour la souveraineté et le système financier d’un pays.
À ce niveau, nous dépassons la dimension commerciale de nos activités de paiement. Le gouvernement a aussi énormément de dépenses. Ce sont des domaines où on peut apporter des solutions. Nous sommes vraiment ouverts à ce sujet et sommes prêts à discuter avec le gouvernement, tenant compte de notre expertise dans le domaine.
Outre la Banque de Maurice, nous sommes en relation avec d’autres organismes gouvernementaux ou paragouvernementaux. Par exemple, le métro peut avoir une expérience de paiement meilleure, qui peut être explorée à l’avenir, en collaboration avec les autorités. Il y a énormément de choses qui restent à faire pour pouvoir utiliser pleinement tout le potentiel de la carte bancaire. Tous les gens ne seront pas obligés de sortir avec de l’argent liquide en poche. Il faut que le Mauricien moyen puisse sortir sans que l’absence d’argent liquide constitue un problème. Mais il y a encore beaucoup de boulot à faire.
Vous avez parlé de l’utilisation d’une montre pour effectuer les paiements. Est-ce un projet de Visa ?
Je ne veux pas trahir de secret, mais l’année prochaine, vous serez en mesure de prendre connaissance de certaines propositions sur le marché en provenance de banques, mais surtout en provenance du secteur Fintech.
Quel retard jetez-vous sur Maurice en tant que centre financier international ?
Maurice est une place financière internationale qui est à la croisée de chemin entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique subsaharienne. Beaucoup de sociétés internationales, de banques internationales et de banques africaines sont présentes sur la place financière mauricienne. Maurice peut apporter cette expertise-là à un certain nombre de pays africains.
Le fait est que Maurice fait partie de l’Union africaine, du COMESA et de grandes associations francophones. Cette expertise dans le domaine financier peut être partagée en Afrique. Les opérateurs financiers mauriciens travaillent déjà avec beaucoup de banques en Afrique subsaharienne. Il est important que cette expertise mauricienne puisse bénéficier à des entités en Afrique continentale pour permettre d’améliorer les choses.