Environnement : Belle Mare engluée dans une mare de goémon vert

Mer turquoise et plages au sable fin sont devenues, au fil des ans, la marque de fabrique de l’île Maurice. Sauf que, ces deux dernières années, la carte postale s’est entachée avec la partie Est de l’île visiblement frappée par une terrible prolifération de goémon, soit d’algues vertes d’origine, semble-t-il, encore inconnue à ce jour. Et il faut dire que celles-ci ont pris une ampleur des plus inquiétantes. Reportage.

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Vendredi, nous nous dirigeons vers Belle Mare à côté de l’hôtel One & Only Saint Géran actuellement en rénovation. Le site est un chantier grouillant de monde et bruyant, avec la construction d’un nouveau morcellement à côté de l’établissement. Si nous rencontrons quelques résidents pas très contents, car incommodés matin et soir par la pollution sonore inévitable du chantier, nous passons vite fait devant pour rejoindre la plage juste en face de l’hôtel, sans vraiment trop savoir où nous allions mettre les pieds. Ce sont les habitants de la région qui nous ont mis la puce à l’oreille, parlant d’une invasion d’algues vertes qui commence sérieusement à les inquiéter. Et il faut dire qu’ils n’avaient pas tort…

Sur place, le constat est consternant. Sur la plage déserte de Belle Mare, du goémon à perte de vue s’étendant sur plus de 500 mètres. Le contraste est pour le moins impressionnant entre le sable fin et l’épaisse couche d’algues asséchées et d’algues vertes. Un triste paysage, sachant pertinemment que cette partie de la plage est l’une des plus belles de la région. Ainsi, pour atteindre le bord de mer, ne serait-ce que pour faire trempette, il faut traverser quelques mètres d’épaisseur de déchets organiques qui, par endroits, s’enfoncent à chaque pas. Du jamais vu !

Des algues non identifiées…

Aux dires des gens de la région, ces algues n’ont rien à voir avec les algues brunes de nos lagons et n’ont encore moins rien à voir avec les « laitues de mer » utilisées par les pêcheurs locaux, communément appelées « gomon salad ». Non, ces algues-là sont d’un vert limite fluorescent. Si de loin, l’on pourrait croire à des couches de mousse verte, de près, elle sont filamenteuses et forment d’épaisses nattes recouvrant et étouffant tout ce qui bouge. Lorsqu’elles s’assèchent et se décomposent, elles se décolorent et forment une espèce de croûte blanche parfois spongieuse, parfois même odorante. L’on se croirait presque dans un film d’horreur, tant tout cela semble… contre-nature !

« Les oursins, les poissons, tout est étouffé… »

« Nous vivons avec cela depuis deux ans. Et nous n’avons jamais connu cela dans cette région, c’est incroyable ! », nous dit un habitant de Belle Mare. « Au début, on ne s’inquiétait pas vraiment, mais depuis quelque temps, c’est devenu une véritable plaie et on doit avancer les algues, très gluantes pour pouvoir nager. Et pour marcher, c’est pire, car il n’y a plus de place sur le sable », poursuit-il. Ainsi, face à ce problème, chacun fait comme il peut, soit en ramassant quotidiennement à la main les tas d’algues, soit en utilisant des machines. Des machines sur le sable, par ailleurs, ce n’est jamais une bonne chose, pouvant causer des cas d’érosion. « Mais on ne sait plus quoi faire. Nous sommes tous concernés par ce fléau. »

Nous avançons plus loin pour aller vers l’autre bout de la plage publique de Belle Mare, juste après l’hôtel Constance Belle Mare Plage où, étonamment, aucune algue verte n’a été aperçue. Nous y rencontrons quelques badauds jouant aux cartes. « Wi, ena gomon isi, mais gomon maron », nous lance l’un d’eux. « Les algues vertes du côté de Saint Géran, on ne sait pas ce que c’est », ajoute-t-il.

Est-ce dû aux courants ? Aux activités foncières dans la région ? Au réchauffement climatique ? Nul ne le sait. Plus inquiétant encore, les gens de mer eux-mêmes ne le savent pas. « On ne sait pas d’où elles sortent. Eski li sorti depi andeor brizan ? Pa kone », confie l’un d’eux. Et de renchérir qu’« il n’y a rien dans le lagon. Ces algues vertes qui peuvent faire plusieurs mètres de longueur sont comme des nattes de rasta. Rien ne survit. Les oursins, les poissons, tout est étouffé, c’est désolant ! »

Nous continuons notre investigation pour aller cette fois, vers la plage de Palmar. En route, côté terre, nous passons devant plusieurs plantations de légumes attendant la récolte. Côté mer, les hôtels et les maisons d’hôtes occupent le paysage. Les temps ont bien changé, dira-t-on. Bref, nous arrivons à destination, et là, c’est le choc ! Sur plusieurs mètres, s’étendent des couches épaisses d’algues vertes et blanches, au vu et au su de tous. « C’est comme cela depuis presque 10 ans. On ne va jamais nager près des algues. C’est gluant et ça sent mauvais », nous confie un habitué.

10 ans depuis que la plage de Palmar est envahie par ces algues… inconnues à ce jour. 10 ans depuis que des gens – notamment ceux s’occupant du nettoyage des plages – manipulent des déchets organiques dont on semble ne pas connaître la provenance… C’est ainsi près d’un kilomètre de plage, de Palmar à la pointe de Belle Mare, qui est envahi par ce fléau. Si l’on peut effectivement se dire que cela peut être l’œuvre de la nature et que cela pourrait être un phénomène naturel, plusieurs questions se posent sur la composition de ces mystérieuses algues vertes filamenteuses et sur leur soudaine prolifération dans cette partie de l’île, ces deux dernières années. Affaire à suivre.

En Bretagne, le fléau des  marées vertes

Dans le Finistère, en France, les algal blooms ou efflorescences algales – proliférations d’algues vertes – est un phénomène très connu depuis plusieurs décennies.

Ces efflorescences sont appelées « marées vertes » dès l’origine de leur apparition sur la côte nord, fin des années 1960-début 1970, et causent d’énormes dégâts à la faune et la flore aquatique de la région. Si à Maurice, l’on n’en est pas encore là, en Bretagne, ce fléau est pris très au sérieux.

Ainsi, selon Greenpeace France, « les causes et les désastreuses conséquences environnementales et sanitaires de ces échouages massifs, documentées dans notre dernier rapport, sont bien connues des autorités publiques. Pourtant, ces dernières n’ont toujours pas pris les mesures nécessaires pour mettre un terme à ce phénomène. Pire : alors que le lien entre algues vertes et industrialisation de l’élevage ne fait aucun doute, le gouvernement tente de faciliter encore l’installation des fermes-usines sur le territoire breton, qui compte déjà beaucoup trop d’animaux d’élevage. »

Par ailleurs, selon les autorités bretonnes, la putréfaction des algues vertes entraîne des risques « dès qu’elles sont amoncelées en tas et qu’une croûte commence à se former en surface sous l’effet du soleil. »

Ainsi, les algues en décomposition sous cette croûte fermentent en produisant du sulfure d’hydrogène (qui provoque une odeur d’œuf pourri), un gaz potentiellement mortel pour l’homme comme pour les animaux. Crever la croûte ou marcher sur le tas d’algues libère subitement le sulfure d’hydrogène et représente un vrai risque pour la santé.

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