Ils étaient dans les bras ou à coté de leurs parents quand les bulldozers ont débarqué. Bébé, enfants, adolescents, tous étaient impuissants devant la démolition de leurs maisons. Certains étaient en larmes, d’autres avaient les yeux hagards tandis que les plus grands tentaient de réconforter leurs parents. Malgré cette triste réalité, ces enfants nés squatters nous confient leurs rêves et ambitions, aussi élémentaires, fragiles et incertains soient-ils.
Parmi les amas de bois, de tôles, des tentes et autres débris, un trou vraisemblablement fouillé pour servir de pik latrinn a été transformé en terrain de jeux par quelques enfants. Ici, on ne manque jamais d’imagination quand il s’agit de jouer et de s’amuser. En ce début d’après-midi, rien ne semble pouvoir entacher leur joie de vivre. Pourtant, une fois la nuit tombée, la réalité les rattrapera. Ils devront trouver refuge chez un proche, un voisin ou finir la soirée à la belle étoile ou sous une tente avec leurs parents. Ce sont des enfants squatteurs. Un terme que ces petits ne savent pas vraiment expliquer si ce n’est que : “Nou abit lor terrin ki pa pou nou”. Agés de 12 ans, 10 ans, 8 ans, 14 ans, ou autres, ils se posent tous la même question “Kifer dimoun pa anvi nou ress la ?” alors que jusqu’à présent ils menaient tranquillement leur vie d’enfant en toute insouciance. Ils pouvaient courir, jouer lakaz zouzou, construire des cabanes, monter à bicyclette, ou simplement aller à la mer.
Qui seront les prochains sur la liste ?
Mais depuis que le gouvernement a dépêché policiers et machines tout été chamboulé. A Riambel, Malherbes, Pointe aux Sables et dans plusieurs autres endroits de l’île, la situation est sous tension. Céleste, 9 ans, assise sur une chaise a un regard vide. Elle tient une poupée sans trop avoir le cœur de jouer. C’est plus pour la tenir compagnie en attendant le retour de sa maman qui s’est rendue en Cour avec d’autres femmes squatteuses. “J’ai mal au ventre. Je n’ai plus d’appétit et j’ai peur de devoir partir d’ici et de ne pas retrouver mes amies d’écoles”. Plus les journées passent et plus la crainte agrandit. Ceux en âge de comprendre s’endorment avec une boule au ventre sans savoir si le soir d’après ils auront toujours un toit sur la tête. C’est le cas de Julian, 14 ans. Il suit de près la situation sur les réseaux sociaux et ne peut s’empêcher de s’inquiéter. “Est-ce que ma famille et moi seront les prochains sur la liste ?”
Il ne pourra jamais oublier sa toute première nuit en tant que squatteur. L’unique pièce qu’avaient construite ses parents n’avait pas encore de fenêtre et la nuit fut très glaciale. Mais, il se souvient « monn ressi ser ledan byen for. J’étais heureux de pouvoir revivre avec mes parents même si c’était loin de ce que j’avais connu avant”. En effet, il n’est pas né squatteur. Il habitait une maison en béton et en ville. Mais son père s’est retrouvé au chômage et dans l’incapacité de payer un loyer. Après avoir été ballottés de famille en famille, ses parents ont fini par “aranz enn ti lakaz” sur un terrain appartenant à l’Etat où le garçon et ses sœurs ont pu les rejoindre. Un nouveau mode de vie loin de ce qu’il rêvait comme quotidien mais où il est parvenu à retrouver un semblant de bonheur. Comme avoir une certaine liberté et plus d’espace pour monter à bicyclette et jouer au foot, prendre une barque avec son papa pour aller plonger lors d’une partie de pêche et apprendre à planter ses propres légumes ou nourrir quelques poules et canards.
Etiket voler later
Mais quand on est squatteur, vaut mieux ne pas en piper mot. D’une part pour se protéger de toute expulsion. Et d’autre part : “Ce n’est pas une fierté d’être squatteur et de vivre avec cette étiquette”. Même si elle essaie de s’en convaincre que “ce n’est pas une honte“, Sophie, 12 ans ne donne jamais des détails de sa vie à ses copines d’école qu’elle n’invitera jamais chez elle “pour ne pas subir des moqueries”. Déjà que sa situation était compliquée, l’adolescente n’arrive plus à fermer les yeux car elle revoit sans cesse ces images des machines et des policiers qui ont mis sa maison à terre. Une bicoque qu’elle a aidé sa maman à construire. Elle se sent perdue et ne sait plus “quoi faire ni dire pour rassurer ma maman quand je la vois pleurer et s’inquiéter. Nou lavi zame pou kapav vinn normal kuma lezot dimoun”.
Comme elle, Tanya, 11 ans, née squatteur, est déjà consciente “Mo finn ne dan la miser” et donc, elle ne peut pas se permettre de grand rêve comme avoir sa propre chambre qu’elle décorerait en bleue ou en rose avec un lit, une armoire, une coiffeuse et de la lumière. Mais une fois adulte, elle espère être en mesure d’ouvrir son propre magasin et pour vendre des vêtements pour enfants afin d’aider sa maman dont les revenues en tant que garde-malade sont très modestes. Contrairement à ses amies, elle ne peut pas s’acheter des vêtements neufs et encore moins “sortir pour aller manger aux fast-foods”. Autant de privation à laquelle elle s’est habituée sans broncher. Mais cependant, il y a une chose qu’elle n’arrive pas à supporter “ki nou gayn maltrete ek pousse ar dimoun. Si vraiment nous avions les moyens, nous ne serions pas là”.
Modeste rêves et ambitions
Avant eux leurs grands-parents et autres proches ont été des squatteurs. Puise ce sont leurs parents qui ont occupé un bout de terrain illégalement. Ils pensent qu’ils devront eux aussi faire la même chose après. Rares sont les personnes qui les ont expliqués comment faire pour sortir de ce cycle. Depuis leur tendre enfance, ils grandissent dans cette vie de misère et de précarité. Et le mot ambition ne fait même pas partie de leur vocabulaire. Avec aussi peu d’éducation et de repère, rien de plus normal pour ces enfants d’aspirer à des métiers comme “skippeur, travay dan shase, kot madam, coiffeuse, chauffeurs, pêcheur, maçons,…” Les autres possibilités de métiers tels que docteur, avocat, hôtesse de l’air, enseignant les font tiquer et les plongent dans de longs moments de réflexion: “Pa pou nou sa madam”, répondent-ils simplement.
Squatters, le spectre du bulldozer
161 structures des squatters réparties sur cinq sites ont été démolies, déclarait Steven Obeegado, le ministre des Terres et du Logement, dans un point de presse la semaine dernière. Les cinq régions concernées sont Pointe aux Sables, Malherbes (Curepipe), African Town (Riambel), Bras d’Eau et Le Morne. Malgré l’assurance donnée par les autorités plusieurs familles de squatters à travers l’île vivent pourtant dans l’angoisse et le stress. D’autant plus, que les “aller et venues ces derniers jours des membres des forces policières, des officiers de plusieurs ministères, d’arpenteurs et de membres de la Child Development Unit” les font craindre le pire.
A Port-Louis, Whesley originaire de Rodrigues habite ce coin depuis une trentaine d’années. “Même si c’est tranquille pour le moment je suis inquiet et n’ai aucune garantie que nous ne sommes pas sur la liste”. Dans l’ouest du pays, une cinquantaine de familles vivent aussi dans un climat oppressant. Alvin ronge ses ongles : “Depuis que j’ai vu les bulldozers tout détruire à Riambel et le désespoir de ces familles qui dorment dehors dans le froid sous un camp, je n’en dors plus de la nuit et je ne peux m’empêcher de repenser comment cinq ans plus tôt j’étais aussi à leur place”.
Quelques mètres plus loin, Gérald et son épouse Cathy ont les nerfs à vif. C’est parce qu’ils n’avaient pas d’autres choix, entre ce lopin de terre et la rue, que le couple et ses trois enfants ont construit une bicoque ici quatre ans plus tôt. “Nou pa skwater parski nou rod tou kiksoz fasil kouma ena pe dir. Nou pa pe dimann sarite, ni anvi gagn tou dan la me”. Ils n’attendent qu’une chose, que les autorités régularisent leur situation. Ils sont disposés à travailler nuit et jour pour l’acheter si des facilités de paiement leurs sont offertes.
Sharon, 35 ans
Squatteur malgré Rs 100 000 sur son plan épargne logement
“C’est une frustration psychologique car je lutte pour avoir un toit depuis des années. J’ai même contracté un emprunt de Rs 80, 000 et compte plus de Rs 100, 000 sur mon compte épargne logement. Malgré tout, depuis quinze ans et de multiples interviews sans compter les frais administratifs, c’est la même rengaine du côté de la MHC : Ou bizin atann madam”.
Originaire de Riambel, Sharon, célibataire fait partie des squatteurs qui dorment à la belle étoile. Employée dans les cuisines d’un hôtel du nord depuis cinq ans elle a été avisée en début d’année qu’elle ne toucherait pas d’heure supplémentaire. “Je louais une maison à Moka à Rs 5 000 et mon emprunt s’élevait à Rs 6 200. Avec une base de Rs 12 000 c’était difficile de continuer à vivre là-bas, surtout que mon propriétaire était une personne âgée qui compte sur cette rentrée d’argent. Je suis revenue vivre chez ma mère ”. Une petite maison en tôle où elle partageait la couche de sa mère dans le salon, alors que son frère dormait dans une cabane en annexe, faisant aussi office de cuisine, avec un cousin alcoolique. “Je n’en pouvais plus de cette promiscuité. J’ai englouti mon boni de fin d’année dans l’achat des matériaux qui ont servi à la construction de cette bicoque détruite où j’habitais depuis un mois”. Bien qu’elle ait des sous sur son compte logement, “mo aksepte dormi deor mem si mo ti kav loue enn lakaz ki ti pou enn larzan perdi. Je squatte en signe de révolte contre ce système.”
Elle assume être dans l’illégalité, mais c’est un sacrifice nécessaire pour espérer avoir un toit. Dans ses démarches, elle c’est souvent vue dire que son dossier n’est pas solide car elle est une femme célibataire. “Kan to ena zanfan to pena mari sosiete blam twa. To konn fer piti selma to pena lakaz. Là, je n’ai pas d’enfants, j’ai un salaire et de l’argent sur le compte et je ne suis pas éligible ? J’ai un sentiment d’injustice d’être privée de mon droit humain à un logement et après on vient dire que je vole les terres de l’Etat”.