À la veille de la présentation du budget 2022-2023, prévue delmain, l’ex-Chief Executive Officer (CEO) de Business Mauritius et du Joint Economic Committee, Raj Makoond, est revenu à la charge avec l’urgence de la création d’un cadre légal pour l’investissement dans la production et la distribution d’électricité à Maurice.
« Un cadre légal est essentiel pour la transparence et la visibilité en ce qui concerne l’investissement dans l’énergie renouvelable et l’énergie solaire photovoltaïque. Il devrait faire l’objet d’un texte de loi. C’est l’absence d’un tel cadre qui donne lieu à des situations conflictuelles comme celle de Terragen », soulignet-il en ajoutant que « c’est une tragédie qu’on n’ait pu accomplir dans le secteur de l’énergie ce qui a été effectué dans le domaine des télécommunications et la zone franche ».
Maurice a été un des premiers pays en Afrique, selon lui, à lancer une zone franche fondée sur le modèle amélioré de Taïwan. Dans le domaine des télécommunications, il y a la loi de 1998 qui a été remise à jour en 2001. « Aujourd’hui, la contribution des télécommunications dans le PIB est de l’ordre de 6% sans compter des milliers d’emplois créés », fait ressortir l’ancien CEO de Business Mauritius.
La nécessité d’un cadre d’investissement est soulignée dans le mémorandum soumis par Business Mauritius au ministre des Finances, Renganaden Padayachy, le mois dernier. « Des propositions ont été formulées pour adopter un plan de mise en œuvre immédiat sur les énergies renouvelables en vue de réduire la part des énergies fossiles dans le bouquet électrique. Ce plan de mise en œuvre urgent ne peut être déclenché que par des cadres d’investissement clairs dans les énergies renouvelables pour la biomasse et l’énergie solaire photovoltaïque et l’accélération des projets », souligne le document de l’organisme central du secteur privé – qui propose l’institution d’un comité mixte de substitution des importations énergétiques pour finaliser le cadre d’investissement dans les énergies renouvelables avec les sous-comités sur la biomasse et la non-biomasse.
Le gouvernement cible une production d’énergies renouvelables variant entre 1 399 GWh et 1 739 GWh en 2026, ce qui est estimé à environ 45% à 55% des prévisions de demande d’énergie. En prenant en compte les politiques de gestion de la demande nécessaire, cette production répondrait aux objectifs de transition de 60% d’énergie renouvelable.
Rendez-vous ratés
Analysant la situation dans l’ensemble du secteur de production durant ces 15 dernières années, Raj Makoond dira que cette période a été une chronique de rendez-vous ratés. « Aujourd’hui, le secteur énergétique est dans une situation extrêmement grave et lorsqu’on voit de plus près la situation, on est consterné par la série de rendez-vous ratés », constate-t-il.
La réalité est que la production et la distribution d’électricité à Maurice sont régies par l’Electricity Act de 1939 – qui a été amendée à plusieurs reprises. En 2005, un nouveau texte de loi avant-gardiste a été adopté, a rappelé l’ancien CEO de Business Mauritius. Ce texte avait introduit le concept de Bulk Licence afin d’aller dans le sens de la décentralisation de la production et de la distribution d’électricité directement vers les consommateurs par des opérateurs privés. Le texte de loi n’a pas été promulgué.
En 2007, avec le démantèlement du protocole sucre, le secteur sucrier s’est engagé dans une réforme approfondie avec le soutien de l’Union européenne. « Toutefois, la composante consacrée au lien entre le secteur sucrier, à travers la bagasse, avec le secteur de l’énergie a été enlevée du Multi Annual Adaptation Strategy Action Plan (MAAS) au dernier moment. 2008 voit l’adoption de l’URA Act par le Parlement. L’introduction d’un régulateur, à l’instar des TIC, avait créé l’espoir de voir l’émergence d’un régulateur de l’énergie qui aurait pu aider à l’émergence d’un nouveau secteur de l’économie mauricienne », a fait ressortir Raj Makoond. Le texte n’a pas été promulgué dans sa totalité. Ce qui fait que Maurice est en retard en matière de régulation de l’énergie.
« En 2013, dans le sillage de la grève de la faim contre le projet CT Power, une National Energy Commission est instituée. Parmi les propositions formulées, on relève quatre qui sont les plus importantes, à savoir le déploiement du Smart Grid, la décision de ne pas avoir d’usines à charbon supplémentaires, l’introduction de renouvelables. » Le rapport stratégique réalisé en consultation avec diverses parties prenantes n’a pas été implémenté, relève Raj Makoond.
En 2016, on assiste à la mise en opération de l’URA avec l’institution d’un conseil d’administration qui, en fin de compte, n’a aucun pouvoir puisque l’URA Act n’a pas été proclamée, selon Raj Makoond. MARENA est créé mais uniquement sur un mode d’advisory board. « En 2020, l’Electricity Act est amendée afin de supprimer le concept de “bulk supply licence” et pour introduire l’idée de Single Buyer Licence qui est délivrée uniquement au Central Electricity Board. La CEB Act est également amendée afin de permettre au CEB de développer les contrats, appel d’offres, tarif et l’idée que “on time to time, CEB may consult URA” ». Ce qui voulait dire un mode de régulation affaibli pour l’URA. Les deux textes de loi n’ont pas été proclamés.
Plus récemment cette fois en 2021, le budget annonce la rémunération de la bagasse à Rs 3,50/kWh. Cependant, le National Biomass Framework n’a pas encore été finalisé. En 2022, MARENA présente le “Road Map for Renewable Energy”. Les objectifs sont établis mais aucun Investment Framework n’est prévu pour la production.
Ce qui amène Raj Makoond à dire qu’il y a eu beaucoup d’initiatives et de rapports mais que « pas grand-chose n’a été généré en termes de résultats ». Et de souligner que le secteur énergétique pèche par absence de réflexion dans la durée. « Il y a eu des approches ponctuelles mais ce secteur n’a pas bénéficié d’une volonté politique Bi-Partisan pour aller jusqu’au bout », souligne l’ancien directeur de Business Mauritius. « Et pourtant Maurice a l’avantage d’avoir le Know-How, les investissements, l’infrastructure, il faut simplement changer le modèle dans la production et la distribution d’électricité à Maurice », a-t-il relevé.
À titre d’exemple, des opérateurs industriels sont disposés à investir quelque Rs 10 milliards dans la production énergétique pour leurs propres besoins, comme l’a annoncé Arif Currimjee, le président de la MEXA dans une interview accordée à Le-Mauricien en mai dernier. « Aujourd’hui, l’industrie consomme à peu près 28% des besoins énergétiques du pays. On pense que 50% peuvent être renouvelables. Cette capacité pourrait également être mise en place “off site”. Dans l’éventualité où un surplus d’électricité est produit, nous proposons de le remettre sur le Grid du CEB gratuitement », devait affirmer Raj Makoond.
Afin que cela puisse se réaliser, ce dernier plaide pour le développement d’un cadre d’investissement pour l’énergie pour le secteur industriel et invite le gouvernement à fournir la bonne orientation politique et les incitations pour permettre au secteur manufacturier de produire sa propre électricité. « C’est la raison pour laquelle les mesures budgétaires pour le secteur énergétique sont attendues avec beaucoup d’intérêt », a-t-il conclu.