Le Ward IV comptait 15 184 électeurs en 2024. Quartier mythique de la capitale, le Ward IV en était aussi le cœur littéraire avec le Cercle Rémy Ollier, des écrivains comme Édouard Maunick, Jean-Georges Prosper, Emmanuel Juste, Camille Moutou et Rivaltz Quenette. Le Ward IV des années 40-50 a aussi forgé les leaders de la période post-indépendance et contribué à offrir au pays un visage moderne. Ce quartier résidentiel avec son mixte de commerces est aussi le lieu de grands événements religieux. Le monument Marie Reine de la Paix, élevé sur le flanc de la montagne des Signaux en 1940, est le plus important sanctuaire marial des Mascareignes et vivra cette année de grandes célébrations.
L’attachement des Port-Louisiens au Ward IV est fondé sur le fait que, géographiquement, il est bien situé avec des facteurs intéressants dont l’environnement, les maisons d’inspiration modeste mais coloniale, la montagne des Signaux, repère pour les navires et au pied de laquelle se trouve Marie Reine de la Paix. Mais avant tout, le Ward IV est connu pour cette mosaïque de gens issus du métissage qui s’est opéré au cours de plusieurs décennies. Il y a aussi le square Pétricher, espace situé au carrefour de plusieurs routes importantes où on retrouve, entre autres, les rues d’Entrecasteaux, Condé, Deschartres, Orléans, Pouce avec au centre ses espaces verts et en dessous des canaux pour l’évacuation des eaux lors des averses. Il y avait aussi à l’époque des dockers, charretiers, matelassiers, maillon indispensable dans l’économie du pays.
Jean Bruneau, ex-commissaire des prisons qui habitait le Ward IV et qui a écrit : Une enfance au Ward IV, réitère dans son ouvrage la confrontation entre Alex Bhujoharry, fondateur des collèges portant son nom, au Dr Willy Dupré qui avait un cabinet de consultation au Ward IV, pour un siège à l’Assemblée nationale. Il relate que la veille du scrutin, une marée bleue en délire avait envahi le square et que beaucoup pensaient à un signe annonciateur d’une victoire du professeur mécène. Mais lors du verdict des urnes, c’est le médecin, candidat travailliste, qui est élu avec un écart de 200 votes. Ce même square Pétricher avait permis à Gaëtan Raynal de faire son entrée dans la politique.
Au Ward IV, les Port-Louisiens avaient leurs habitudes et même leur folklore. Des marchands ambulants portaient leurs corbeilles sur la tête ou vendaient des légumes devant leurs étals. Il y avait aussi des marchands de pains maison qui gardaient leurs moules et autres pains au chaud dans des sacs de jute pour les livrer de porte en porte, des laitiers, tout le rituel autour des sorbets râpés, sans oublier les délicieux poutous. Comment passer sous silence ces jeux d’antan, marelles, boule casse-côte et autres ?
L’éclosion des écrivains mauriciens
Le Ward IV représente un patrimoine pour les Port-Louisiens. Marie Reine de la Paix, tout en étant un lieu de prière, est aussi un espace vert qui permet aux riverains de se ressourcer en période de forte chaleur. Jean Bruneau dit qu’il faut encourager les gens à planter dans leur cour. Il trouve aussi que l’eau de pluie qui passe par la montagne des Signaux n’est pas bien canalisée. « Il faudrait aussi répertorier les maisons de Port-Louis avec leur belle architecture style colonial et qui font partie du patrimoine. La municipalité de Port-Louis devrait les encourager à conserver ce lieu par une aide symbolique. Le Ward IV a bougé d’un quartier résidentiel pour devenir un lieu commercial, avec la rue Deschartes convertie en bureaux. Il y a eu plusieurs causes de départ dont l’immigration, le manque d’espace, la chaleur, l’insécurité. Autrefois, il y avait des concerts dans les kiosques de Marie Reine de la Paix avec l’orchestre de la police. Il y avait aussi les kermesses de la paroisse, les radios crochets au jardin de la Compagnie. Le Ward IV était aussi connu pour son jeu de cerfs-volants, un “boost” pour la créativité et l’éveil imaginaire des enfants et parents. Il faut recréer tout cela et raviver Port-Louis. »
Jean Bruneau souligne que le Ward IV a permis l’éclosion de plusieurs écrivains et le Cercle Remy Ollier était le lieu de référence où les jeunes se rencontraient. « Aux Casernes centrales, autre lieu historique, il y avait des événements, notamment des matchs de foot, démonstrations de chiens, parades… » Il y a aussi le quartier de La-Butte, autrefois une succursale de marché laissé à l’abandon. « Il faudrait revoir son aspect architectural et mettre en place des activités culturelles et, pourquoi pas, créer une fête du voisinage au Ward IV pour apprendre à mieux connaître ses voisins. »
Aller voter ou pas
Parmi les autres témoignages recueillis en vue des élections municipales, Christophe est d’avis que les citadins attendent beaucoup de ce scrutin, mais dit que beaucoup n’iront pas voter, surtout les jeunes. « Ils sont peu nombreux à voter et cela pèsera énormément dans la balance. Avec un 60-0 aux dernières élections, je ne vois pas qu’il y aura un engouement de la part des citadins. Ils se demandent, selon moi, s’il faut aller voter ou pas. L’équipe gouvernementale sortira toujours gagnante de ces élections municipales. Historiquement parlant, on dit Ward IV, mais pour les votes, ils ont modifié les arrondissements, les gens ne votent plus dans le Ward IV. »
Gwenaëlle, enseignante de son état, trouve que chaque Ward a ses spécificités, notamment en termes d’habitants. Et chaque Port-Louisien a ses propres attentes à propos de ces élections municipales. « Il y a des lieux où il n’y a pas de terrain de foot. Il y a aussi un manque cruel de loisirs et de piscine à Port-Louis », dit-elle. Selon le constat qu’elle dresse, les problèmes récurrents sont notamment le ramassage d’ordures, les Mauriciens ayant la fâcheuse habitude de tout jeter dans les cours d’eau traversant la capitale.
« Or, en temps d’inondations, comme c’était le cas en 2024, avec le cyclone Belal, toutes les ordures de la ville ont atterri sur le front de mer, seringues, réfrigérateurs, matelas, mais aussi des tonnes de bouteilles en plastique. Personne n’a envie de revivre cet épisode de Belal, avec des voitures flottant sur l’eau, des ponts débordés et des monticules d’ordures »,dit-elle.
Se joignant à la conversation, Alain dira qu’en dehors des rues principales comme la rue Madame, les voies ont tendance à être exiguës. « Avec l’accessibilité accrue aux véhicules motorisés, il y a un problème de stationnement. Il faudrait privilégier des espaces de parking et mener une campagne de sensibilisation sur la pollution, qu’elle soit sonore ou matérielle », propose-t-il. Ce serait aussi souhaitable, selon lui, d’encourager la culture des plantes et des fleurs dans la région et penser à rehausser l’état des infrastructures sportives et de loisirs.
Hanifa et sa famille ont habité de génération en génération au Ward IV. Pour elle, les élections municipales n’auront pas la même ampleur que les élections générales. « Attention… il y a quand même une attente, car n’oublions pas qu’on vient de changer de gouvernement. Pour l’instant, tout est encore dans le flou… Peut-être que les élections municipales augurent quelque chose de bon pour les Port-Louisiens. Ce sera moins bruyant et on s’attend à ce que la sécurité se renforce dans le Ward IV. Avec le traitement de la méthadone qui se fait devant l’hôpital Jeetoo, c’est un calvaire pour nous les habitants du Ward IV, on n’est pas en sécurité. Il faut aussi améliorer l’état de nos trottoirs. Ce n’est pas évident, ces pavages glissants pour les personnes âgées. L’honorable Osman avait évoqué un jardin d’enfants à la Marie Reine de la Paix… On attend ces changements. Ce n’est pas voter seulement ! Il faut aussi que les promesses soient tenues », s’appesantit-elle.
Redonner des couleurs au Ward IV
M. Cheong, lui, n’a pas la langue de bois. « Quelles élections municipales ? Pou dir pena kass, lakes vid. Avec la venue du PM Modi, komie kas inn depanse ? Si ti pran sa kas depans-la met lor nou, donn nou enn ti bouse manze an plis, ogmant nou kas, nou ti pou dan bien », s’acharne-t-il. Parlant des problèmes majeurs, il pointe du doigt les services de voirie. « Bizin donn enn ti kas an plis pou ramas salte me zot travay sa. Eleksion minisipal bizin dres tousa, partou dimounn pe pran simik, bizin get aret sa bann piti-la ar simik », peste-t-il.
Pour ces élections municipales, M. Cheong dira avec certitude : « pa pou ena lager. Navin inn gagn pouvwar, tou dimounn inn kalme. Selman bizin atann rezilta, pa pe kone ki Navin pe fer, mo mem monn vot li. Eleksion minisipal li bizin vinn ek enn program pou ekler simin bann abitan Ward IV. Donn malere lakaz, lapli tonbe, lakaz inonde. Solver nou problem delo, pe bizin atann delo tonbe pou gagn delo, lav lakour. »
Quant à une autre riveraine, Charlotte, elle se plaint des chiens errants, une vraie nuisance pour ceux qui empruntent la rue longeant le boulevard de la Marie Reine de la Paix pour sa petite marche du matin. Elle trouve que des plaques de rues devraient être placées aux extrémités des croisées du Ward IV. « Nous avions des plaques en fonte qui dataient de l’époque des Français et des Britanniques. Toutes ces plaques ont été enlevées ou volées, alors que c’est un patrimoine propre au Ward IV. La municipalité doit répertorier cela et mettre ces plaques dans les artères du Ward IV et d’autres coins de la capitale. Il faut aussi redonner de la valeur aux pierres de nos trottoirs, vestiges de notre passé. La CWA et le CEB enlèvent ces pierres. Or, tout ce qui est bétonné n’a pas la même valeur que ces pierres d’antan qui font partie du patrimoine de Port-Louis. Il faut aussi revoir la canalisation des eaux et insuffler du positif au Ward IV », revendique-t-elle.
Selon Charlotte, certaines rues ne sont pas éclairées. « Or, la lumière assure la sécurité. Les gens qui empruntent très tard les ruelles du Ward IV sont en danger. Il faut revoir tous ces points pour que les habitants se sentent en sécurité. J’ai téléphoné à la police à cause des bagarres qu’on entend la nuit à Marie Reine de la Paix et des squatters drogués qui habitent dans des cours abandonnées. Je n’ai pas eu de réponse. Il faut que la police puisse faire une patrouille de nuit dans cette région. Il ne faut pas tout miser sur les élections municipales et les votes, il faut surtout que le maire en place puisse améliorer la vie des citadins », avertit-elle.
Zaid, habitant du Ward IV, abonde dans le même sens. « Il faut plus de policiers pour des patrouilles et asphalter les rues près de Raoul Rivet. La construction d’un gymnase serait la bienvenue, il faut aussi organiser une foire au Champ-de-Mars. »
Géraldine à voir la présence du maire sur le terrain et que ce dernier s’assure que les tous les services municipaux fonctionnent normalement. « Nous nous attendons que le maire redonne vie à Port-Louis et que nous puissions en parler comme d’une vraie capitale. »
Encadré
NEIGHBOURHOOD WATCH
Des femmes pour contrer les malfrats
À la suite d’un vol à l’arraché sur Jacqueline Tsé, un 15 janvier 2021, et sa ténacité face à son agresseur, des femmes du Ward IV se sont mobilisées. Un groupe sur WhatsApp (Neighbourhood Watch du Ward IV) avait été créé. Il y a eu aussi un exposé sur l’importance du Neighbourhood Watch au Centre Marie Reine de la Paix.
Lors de cet exposé, la salle était comble, composée essentiellement de femmes prêtes à se défendre face aux malfaiteurs. Cela a donné lieu à une entente de voisinage des plus cordiales. La Crime Prevention Unit est venue à leur aide. Le député d’alors, Osman Mahomed, y avait aussi prêté son concours.