Les Assises de l’Éducation se sont poursuivies hier, avec le secteur primaire au programme. Le s différents groupes de discussions ont soumis des propositions sur les différents thèmes élaborés. Parmi ceux qui sont revenus le plus souvent : des amendements à la Children’s Act, la réduction du nombre d’élèves par classe, l’apprentissage à travers les activités, l’utilisation de la langue maternelle et la responsabilité des parents d’élèves…
Le premier thème à l’agenda était : Curriculum and Technology. Les enseignants ont fait remarquer que malgré la décroissance de la population estudiantine les classes sont toujours composées de 40 élèves. Ils estiment qu’une réduction du Pupil-Teacher Ratio permettrait un meilleur encadrement. Ils suggèrent ainsi que les classes soient réduites à 20 élèves pour un enseignant. Dans le cas des Slow Leaners, le ratio devrait être de 1:5.
La deuxième proposition concerne les langues d’enseignement. L’utilisation de la langue maternelle a été mise en avant par plusieurs groupes. Il a été suggéré que l’enseignement des langues soit axé sur la méthode syllabique pour les grades 1 et 2. Au sujet de la promotion automatique, il y a eu une suggestion de l’abolir à partir de grade 3 et d’introduire une évaluation nationale avec les mêmes questionnaires, à ce stade.
Par ailleurs, l’accent a été mis sur l’allègement du curriculum et l’introduction de la méthode Activity-Based Learning. Ce qui permettra aux apprenants de développer des compétences multiples. Dans le même ordre d’idées, il y a eu des propositions pour un Blended Mode of Assessment. Soit, des évaluations à la fois écrites et basées sur des portfolios ainsi que des présentations.
L’utilisation de la technologie a été abordée, en particulier les outils interactifs. Toutefois, la nécessité de développer des ressources pour le contexte local a été soulignée. À ce sujet, les enseignants ont souhaité que le programme d’études prenne en considération l’environnement de l’enfant. Par exemple, les élèves de Rodrigues et d’Agalega ne se retrouvent pas avec un contenu exclusivement mauricien.
Sur le thème de l’inclusion, la nécessité de former les enseignants pour détecter les difficultés ou les besoins spéciaux très tôt, a été relevée. La mise en place de classes inclusives et l’utilisation de matériels adaptés ont fait l’objet d’une proposition. Les enseignants ont fait ressortir qu’il importe de faciliter la transition du primaire au secondaire des enfants avec des besoins spéciaux, notamment, en tenant informés les responsables de l’établissement secondaire des spécificités de l’enfant.
Plusieurs groupes de discussions ont attiré l’attention sur les contraintes légales, notamment lorsqu’il s’agit de gérer l’indiscipline. Des amendements à la Children’s Act pour introduire des clauses sur la responsabilité des enfants, ainsi que des parents, ont été soulevés. Les éducateurs estiment que les parents doivent assumer une part de responsabilité quant au comportement même de leurs enfants à l’école.
Certains sont allés jusqu’à suggérer des amendes aux parents. Les éducateurs ont souhaité également l’élaboration d’une Anti-Bullying Policy du ministère, ainsi qu’une National Behaviour Policy adaptée au primaire. Le recrutement de Discipline Masters a aussi été évoqué.
Des propositions ont été émises au regard des amendements à la Workers’ Rights Act afin d’inclure des possibilités à l’intention des parents pour qu’ils assistent aux réunions de l’école. Souvent, ont fait ressortir des participants, les parents ne se présentent pas quand ils sont convoqués ou n’assistent pas aux réunions de la PTA, parce qu’ils travaillent. Et tout le monde n’a pas des permissions facilement.
En matière de sécurité, un audit complet des infrastructures scolaires a été évoqué, avec des recommandations. Il est souhaité qu’il y ait un budget annuel pour la maintenance des écoles. Le renforcement de la Public Officers Protection Act a aussi été abordé afin de mieux protéger le personnel éducatif.
D’autre part, plusieurs groupes ont insisté sur l’importance de la collaboration des ONG et de la communauté. La formation continue des enseignants a également fait débat.
Gassen Murugan : « La scolarisation à 6-7 ans »
Ancien assistant maître d’école et fort de ses 43 années dans l’enseignement, Gassen Murugan est d’avis que Maurice doit repousser l’âge pour l’éducation formelle à 6, voire 7 ans. « À Maurice, nous avons suivi le modèle anglais et l’éducation formelle débute à cinq ans. Dans beaucoup de pays, dont les pays scandinaves, ainsi que l’Inde, l’âge de la scolarisation est à 6 ans. Avant cet âge, les enfants continuent à faire des activités basées sur le jeu, pour leur développement. Après quoi ils seront prêts pour l’éducation formelle », dit-il.
Autre point important selon lui : étendre l’enseignement du kreol morisien à tous. « Le KM doit être obligatoire pour tous. Avec une bonne maîtrise de la langue maternelle, les élèves pourront par la suite apprendre d’autres langues étrangères. J’ai été responsable d’une école ZEP où le taux de réussite dans les différentes matières étaient de 35 à 40%, mais pour le KM c’était du 100%. C’est la preuve que si nous avons un enseignant dévoué, les enfants peuvent réussir dans leurs langues maternelles », préconise-t-il.
Il parle également de l’importance des manuels d’autre fois, comme Rémi et Marie, pour apprendre la lecture. « Malheureusement, le MIE a remplacé ces livres par d’autres manuels. J’avais une librairie, beaucoup de parents venaient chercher Rémi et Marie pour apprendre à lire à leurs enfants », se souvient-il.
Par ailleurs, il est d’avis qu’il faut abolir les leçons particulières et les remplacer par des activités extra-curriculaires. « 10 ans en arrière, il y avait 50 écoles de foot à Maurice. Si les enfants pouvaient passer leur temps à jouer au foot ou à pratiquer une activité artistique, il ne serait pas à flâner dans les rues. Cela résoudrait en partie le problème de drogue », concède-t-il.
Gassen Murugan avance également que les cadres du ministère de l’Éducation doivent être des professionnels avisés œuvrant dans l’intérêt des enfants, au lieu de dire oui, tout le temps, aux ministres. « Il y a des cadres qui ont soutenu la réforme de Mme Dookun pendant dix ans et aujourd’hui, ce sont ces mêmes cadres qui vont travailler sur la réforme du ministre Gungapersad. Vont-ils faire une volte-face de ce qu’ils avaient prôné ? » s’interroge-t-il.
Malheureusement, poursuit-il, les syndicats sont aussi devenus comme ces fonctionnaires. « Ils disent oui tout le temps et n’osent pas contredire les ministres. » Dans ce même ordre d’idées, il regrette que les recteurs et maîtres d’école n’aient pas d’autorité pour agir face à l’indiscipline. « Quand vous agissez, les parents vont voir les ministres et vous faites l’objet de transfert », regrette-t-il.
Finalement, il plaide pour que les enseignants soient plus dévoués, au lieu de s’intéresser aux leçons particulières. « Il y a certains qui veulent travailler juste avec la crème de la crème. Les autres ne les intéressent pas », dénonce-t-il.
Alain Ah-Vee : « On est passé à côté de l’essentiel »
Alain Ah-Vee et Cindy Clélie ont représenté Ledikasyon Pu Travayer aux Assises de l’éducation. Ils ont eu l’occasion de participer à différents ateliers. S’exprimant à ce sujet, Alain Ah-Vee déplore le fait que la langue maternelle ait été reléguée au second plan. « Je constate que nous sommes en train de parler de beaucoup de choses, mais nous sommes passés à côté de l’essentiel. L’utilisation de la langue maternelle a été brièvement évoquée, sans une réflexion en profondeur, particulièrement de son rôle en tant que médium d’enseignement », trouve-t-il.
Selon lui, à travers l’utilisation de la langue maternelle, de nombreux problèmes existants dans les écoles actuellement auraient été réglés. « Prenons la question de violence, par exemple. Déjà, quand l’enfant arrive à l’école, nous supprimons sa langue maternelle, pour lui imposer l’anglais.
C’est une violence que l’école lui fait. Ce n’est pas étonnant que l’enfant réagisse violemment par la suite », estime-t-il.
La maîtrise de langue maternelle doit servir de base pour aller vers l’acquisition d’autres langues. Il indique que l’UNESCO recommande la langue maternelle comme langue d’apprentissage.