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Dryanosto Prudence, 16 ans et collégien : Il lave des hydravions pour payer les factures

Un des “drop outs” à cause du Covid-19, il vient de réintégrer l’école

Dryanosto Prudence a 16 ans. Il habite le village du Morne et il est en Grade 11. Mais il ne va pas qu’au collège. Du lundi au samedi, il travaille, en parallèle à ses études, pour subvenir aux besoins de sa famille. Orphelin de mère, Dryanosto Prudence lave des hydravions jusqu’à 18h pour payer les factures de son père, souffrant et pensionné.

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D’ailleurs, c’est pour des raisons financières que l’adolescent avait mis fin à sa scolarité après la fermeture des écoles en novembre dernier. Il faisait partie des drop-outs résultant des conséquences du Covid-19 sur l’école. Mais le 7 février, Dryanosto a retrouvé sa classe après l’intervention de son collège. Brillant élève au primaire, il avait décroché son certificat de fin d’études haut la main. Désormais, il a pour défi de réussir le School Certificate.

Au collège, il doit travailler deux fois plus que ses camarades de classe

Il est 14h45. Dryanosto rentre du collège. Il a tout juste le temps de troquer son uniforme du collège St-Esprit Rivière Noire contre un short et un t-shirt avant d’enfourcher sa bicyclette pour se rendre au travail à La Prairie (Bel Ombre). Il ne rentrera chez lui, à Dilo Pourri, qu’en début de soirée. Quand les hydravions reviennent de leur tournée, Dryanosto a pour tâche de les laver. « En faisant très attention pour que la pression de l’eau n’abîme pas certaines parties de l’avion. Il faut nettoyer et essuyer les vitres, mais pas avec n’importe quel tissu… », explique le jeune garçon. Depuis qu’il travaille, son père, 63 ans, pensionné et souffrant de plusieurs complications, peut compter sur son salaire pour payer les factures et faire bouillir la marmite.

C’est à Dilo Pourri, dans ce quartier longtemps privé d’eau courante, que Dryanosto a grandi. Il y vit avec son père et son frère dans une modeste maison en béton et en tôle. Sa mère est décédée il y a cinq ans. « Nous avons accès à l’eau maintenant. Avan ti bizin sarye delo », dit Dryanosto en interrompant la préparation de son projet d’Arts and Design.

Il est un peu plus de 19h. Dryanosto a déjà dîné. Plus tôt, quand il est arrivé chez lui, il avait complété la préparation du dîner.

Son père, malade, avait déjà cuisiné le riz. Mais sa santé ne lui permettant pas de faire plus, c’est Dryanosto qui a fait le reste : un curry de saumon. « Fasil fer sa ! » dit le jeune garçon, qui rêve de devenir chef.

« Je ne laisserai pas tomber mes études »

L’heure des devoirs. Dryanosto a les yeux rivés sur le thème qu’il doit réaliser pour son projet d’Arts & Design. « Je dois concevoir un poster pour une levée de fonds », dit l’adolescent. Le collégien va concourir aux épreuves de School Certificate en octobre et il s’applique sans se ménager. Dryanosto sait que, plus que ses camarades de classe, il doit décupler d’efforts. Son objectif, nous dit-il est, de décrocher son certificat. C’est ce précieux papier, dit-il encore, qui va lui ouvrir les portes de la réussite. Mais l’adolescent a encore un long chemin à parcourir. Aller à l’école et travailler en même temps n’est pas de tout repos. Pour conjuguer les deux, Dryanosto n’a d’autre choix que de bien répartir son temps entre les cours et le garage d’hydravion, aussi bien que se focaliser sur ses études pendant les heures qu’il leur accorde, dans la soirée. « Ce n’est pas facile d’apprendre dans ces conditions », concède le collégien. « Mais je veux me donner toutes les chances et je ne laisserai pas tomber mes études », poursuit-il.

Dryanosto travaille dans un hangar où il a la responsabilité de nettoyer deux hydravions après leur sortie au-dessus du lagon du sud-ouest

« Des fins de mois difficiles »

Le 7 février dernier, alors que les collégiens sont enfin de retour en classe, la place qu’occupe Dryanosto dans une salle de Grade 11 est vide. Au lieu d’être au collège, Dryanosto est dans un hangar à La Prairie où il est affecté au nettoyage de deux hydravions. Il fait partie d’une équipe d’entretien embauchée par une compagnie qui propose des survols au-dessus du lagon du sud-ouest. Quand il rentre de son travail ce jour-là, le jeune garçon tombe sur une invitée surprise. « C’était Miss Sophie, ma prof de biologie », raconte Dryanosto.

« J’étais vraiment surpris de la voir à la maison » dit-il.

« Elle était passée voir mon père et moi-même pour me convaincre de retourner à l’école. Mon père m’a laissé le choix. Il m’a dit de décider de ce qui est mieux pour moi. Miss Sophie m’avait expliqué que je ne devais pas laisser tomber le collège parce qu’il s’agissait de mon avenir. Et que les examens de School Certificate sont essentiels si je voulais avoir du travail plus tard. À son départ, j’ai réfléchi», raconte l’adolescent. Il n’a pas mis longtemps à réfléchir. Deux jours après le passage de Miss Sophie chez lui, Dryanosto était en classe. «J’ai acheté mon uniforme et mon matériel scolaire», dit-il.

Il n’a pas pour autant quitté son emploi à Bel Ombre. D’ailleurs, la possibilité de maintenir son travail pendant sa scolarité, que lui a garanti son employeur, a pesé dans la balance. Et si son salaire n’est plus le même depuis qu’il travaille à temps partiel, le retour à l’école n’a pas été non plus une étape facile. Le collégien concède que la remise à niveau après une coupure radicale avec les cours n’est toujours pas évidente.

« Cela ne fait qu’un peu plus de deux semaines que je suis retourné à l’école. Le rattrapage est difficile. Je dois travailler deux fois plus, reprendre les notes que j’ai ratées pendant les cours en ligne et suivre en même temps le syllabus. Je suis conscient que ma performance a baissé. J’ai des lacunes en mathématiques, mais pas pour les autres matières. Quand je rentre à la maison après le travail, je dîne très tôt pour que je puisse me concentrer pleinement sur mes études de 19h30 à 21h. Et je me couche tôt, car tous les jours je me réveille à 5h », dit-il.

Chaque après-midi à sa sortie du collège, Dryanosto file droit chez lui. « Je me change, je prends ma bicyclette et je me rends au travail pour prendre mon service à 15h. » Le samedi, il démarre à 6h. S’il ne travaille pas le dimanche, il en profite pour se détendre à la mer avec ses amis, mais ne s’y attarde pas, car il compte aussi sur ce jour-là pour rattraper son retard scolaire. C’est sans regret, dit-il, qu’il a repris le chemin de l’école.

HSC incertain

L’adolescent confie qu’il ne regrette pas aussi d’avoir pris la décision de mettre fin à sa scolarité en novembre dernier pour venir en aide à son père. « J’avais trouvé du travail auprès d’un contracteur en entretien extérieur. Il aménageait l’enceinte d’un hôtel. J’ai fait du jardinage, je creusais des trous… Vu ma corpulence, personne ne m’a posé de question à propos de l’école. On ne pensait pas que j’étais scolarisé », raconte Dryanosto. Ce premier contact avec le monde du travail et la satisfaction de percevoir un salaire l’ont conforté dans l’idée d’abandonner les cours. « Mon père étant malade et mon frère, âgé de 22 ans, n’ayant pas de travail fixe, nous avions des fins de mois difficiles », explique Dryanosto.

Avec la fermeture de l’école, dit-il, il ne voyait pas les cours en ligne comme une obligation. C’est pour cette raison que le collégien n’avait jamais participé aux cours à distance. Toutefois, son absence en ligne n’est pas passée inaperçue par l’école… Mais, lui, il demeurait injoignable ! Au bout d’un mois, Dryanosto est embauché par la compagnie d’hydravion de Bel-Ombre et touche, dit-il, un bon salaire. Ce qui lui permet de remettre environ Rs 5 000 à son père « pou aste komision ek pey det. »

Dryanosto ne travaille plus à plein temps. Mais il continue à contribuer le même montant au budget familial.
Même s’il découvre, petit à petit, les secrets mécaniques de l’hydravion, Dryanosto confie que l’appareil ne le fait pas pour autant rêver. « Si j’ai l’occasion d’apprendre plus sur un hydravion, et comment le piloter, je serai preneur. Mais j’ai d’autres rêves. Je veux travailler comme chef, être DJ, devenir mangaka (ndlr : Illustrateur de mangas) et produire de nouveaux sons », dit Dryanosto. Tout un programme qui ne lui semble pas impossible. Il confie qu’il est passionné par la cuisine, qui est aussi une des matières (Food & Nutrition) pour lesquelles il a opté au collège. D’ailleurs, la plupart du temps, c’est lui qui s’acquitte de la préparation des repas. Quand il n’allait pas à l’école, il se chargeait également du ménage. Dryanosto ne sait pas encore s’il poursuivra ses études secondaires après les examens de School Certificate. « Ce sera une question de finance. Si les moyens ne le permettent pas, je ne pense pas que je pourrai travailler et étudier à la fois. C’est très dur », confie Dryanosto.

Lindsay Thomas, recteur :  « Il est un bon élément »

En apprenant les raisons qui ont poussé Dryanosto Prudence à abandonner ses études, le collège de St-Esprit Rivière Noire, nous explique son recteur, Lindsay Thomas, avait pris la décision de tout essayer pour le réintégrer dans le circuit scolaire. « Qui plus est, Dryanosto Prudence est un bon élément. Nous sommes convaincus qu’il pourra décrocher cinq credits aux examens de School Certificate », avance Lindsay Thomas. Ce dernier explique encore qu’un très petit nombre d’élèves ne sont pas retournés au collège depuis la reprise des classes en présentiel il y à trois semaines. Parmi ceux-ci, un candidat aux prochains examens de School Certificate. Ce dernier, 18 ans bientôt, travaille depuis novembre 2021 comme préposé d’entrepôt sur un chantier. Mais il a consenti à reprendre ses études au collège en mars prochain.

« Je ne voyais pas l’utilité de poursuivre mes études alors que j’avais déjà trouvé un travail qui paye bien. Mon but est de construire ma maison et d’être indépendant », explique-t-il. Le jeune homme, qui sera à sa deuxième tentative aux examens de School Certificate, affirme qu’il connaît déjà le programme et n’éprouvera pas de difficultés à reprendre ses cours malgré la longue coupure avec ses études. Et contrairement à Dryanosto, ses parents ne comptent pas sur son aide financière pour la survie de la famille. Néanmoins, il travaillera pendant le week-end.

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