Dr Kaviraj Sukon (ministre de l’Enseignement supérieur) : « Faire de Maurice un centre d’excellence pour les études universitaires »

L’enseignement supérieur a désormais un ministère propre à lui, comme c’était déjà le cas avant les élections de 2014. Avec plus de 50 000 étudiants et une cinquantaine d’institutions enregistrées, ce secteur nécessite en effet une attention particulière. Le Dr Kaviraj Sukon, fondateur et ancien directeur de l’Open University of Mauritius, s’est vu confier cette responsabilité. Il aura la tâche d’aider les institutions supérieures publiques à sortir d’une situation financière difficile. L’internationalisation sera l’une de ses priorités. Un comité national sera bientôt mis sur pied pour le branding et le marketing.

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Après avoir fondé et dirigé l’Open University of Mauritius, vous êtes maintenant ministre de l’Enseignement supérieur. Quelle est votre vision pour ce secteur ?

L’internationalisation est l’une de nos priorités. Nous voulons attirer les étudiants étrangers à venir ici. Pour cela, nous sommes en train de travailler sur une campagne de marketing et de branding. En général, les gens ne connaissent pas Maurice pour l’éducation, mais plutôt pour ses plages et ses hôtels. Nous allons remédier à cela en mettant sur pied un comité pour travailler sur le marketing et le branding pour l’enseignement supérieur. Les universités publiques et privées seront représentées. Il y aura aussi un comité national de recherche avec la participation de chercheurs reconnus dans leurs domaines respectifs, à Maurice et ailleurs.

L’autre priorité demeure l’assainissement de la situation financière de nos institutions publiques. Nous voulons rendre nos universités financièrement autonomes. Le troisième point est de transformer Maurice en centre d’excellence éducative.

Vous prenez la responsabilité de l’Éducation supérieure à un moment où les institutions publiques sont financièrement dans le rouge. Comment allez-vous gérer cette situation ?

J’ai eu l’occasion de mettre sur pied l’Open University of Mauritius. Après 12 ans, l’institution était financièrement indépendante et avait 13 000 étudiants. C’est l’université comptant le plus grand nombre d’étudiants à Maurice. Si j’ai pu le faire pour l’Open University of Mauritius, nous pouvons aussi le faire pour les autres.

L’internationalisation est justement l’un des moyens pour y parvenir. Nous avons beaucoup de compétences ici. Des universitaires qui sont reconnus au niveau national et international. Nous allons utiliser tous ces atouts pour attirer les étudiants étrangers. Ce sera un avantage pour eux de pouvoir venir étudier dans de bonnes conditions ici et, en même temps, cela permettra à nos universités d’avoir des rentrées d’argent.

C’est une stratégie qui existe déjà dans d’autres universités; ce n’est pas nouveau. Nous visons particulièrement des étudiants des pays de la région, comme Madagascar, les pays africains, l’Inde ou l’Indonésie, entre autres. Nous allons ensuite collaborer avec l’industrie. Ce sera également une source de financement. Il s’agira d’une collaboration dans les domaines de la recherche et de Consultancy.

Cette situation financière découle de la gratuité des études supérieures dans les universités publiques. Pensez-vous que ce projet a été mal planifié ?

Honnêtement, je n’ai vu aucun plan qui ait été mis en place pour la gratuité des études tertiaires. Ceux qui étaient là avant ont décidé d’offrir les cours de niveau licence gratuits. C’est une très bonne chose.

Mais il fallait en amont avoir un plan pour dire comment ils allaient le financer. Cela n’a pas été fait, et c’est un souci pour nous. Je tiens quand même à rassurer les Mauriciens : nous n’allons pas retirer la gratuité. Les cours seront toujours gratuits pour la licence dans les universités publiques pour les Mauriciens. Nous allons mettre sur pied un plan pour les financer.

L’une de vos premières actions a été de demander aux responsables d’universités de prendre les dispositions nécessaires pour accueillir les étudiants avec trois Credits. Comment cela va-t-il se passer ?

Le gouvernement a décidé que les étudiants qui arrivent à décrocher trois Credits avec un Pass en anglais pourront monter en Lower VI. Nous devons nous mettre en phase avec cette décision. Cependant, en plus des trois Credits, il faudra aussi avoir un minimum de deux Pass en A Level au HSC. J’ai vu que les gens ont réagi en disant que nous sommes en train de faire du nivellement par le bas. Or, les universités publiques et privées vont toujours attribuer les sièges par rapport aux Qualifications and Merits. Ce que nous avons fait, c’est d’ouvrir les portes des universités aux personnes avec trois Credits. Auparavant, ces portes étaient fermées. Il n’a jamais été question de nivellement par le bas, et il n’y en aura jamais. Les trois Credits, avec les 2 A Levels, sont les Minimum Requirements. Un étudiant qui aspire à entreprendre des études en médecine, par exemple, devra avoir ses trois A+. Il n’y a pas le choix, car c’est une filière en grande demande.

Beaucoup d’élèves avec trois Credits se tournaient auparavant vers Polytechnics Mauritius. Maintenant qu’ils peuvent faire le HSC avec trois Credits, il y aura sans doute des retombées sur les admissions à Polytechnics Mauritius. Comment anticipez-vous cela ?

Je pense que Polytechnics Mauritius aura toujours des étudiants. Les cours ne sont pas limités aux étudiants avec trois Credits. Il y en a aussi pour ceux qui ont deux Credits, par exemple. Je dirai plutôt que les étudiants ont un choix plus large maintenant. Ils peuvent aller vers les universités ou à Polytechnics Mauritius. L’orientation n’est pas la même. Les cours sont différents.

Les centres polytechniques continueront-ils à opérer par spécialisation ? Valeur du jour, des jeunes venant des villages du Nord, du Sud et de l’Ouest doivent voyager jusqu’à Montagne-Blanche, dans l’Est, pour suivre des cours en Hospitality…

Nous allons en discuter avec la direction. Il y a aussi un souci d’investissement concernant les équipements et les infrastructures. Si nous pouvons décentraliser certains cours, nous le ferons.

Y a-t-il d’autres domaines de formation qui peuvent être introduits à Polytechnics Mauritius ?

Je dirai qu’il faut surtout se concentrer dans les domaines où il y a une forte demande au niveau de l’emploi. Par exemple, l’informatique, l’hôtellerie, le paramédical… Au lieu d’accroître le nombre de cours, capitalisons sur ces secteurs. L’informatique en elle-même comporte plusieurs branches. Il y a la cybersécurité, l’intelligence artificielle ou le Forensic, entre autres. Il y a une grande demande pour ces spécialisations.

De même pour l’hôtellerie. Maurice est reconnue dans le monde pour ce secteur. Ce qui veut dire que nous avons les compétences pour des formations dans ce domaine. Polytechnics Mauritius est partie prenante du projet d’internationalisation. Nous allons mettre l’accent dessus. Faisons de Maurice un centre de formation pour l’hôtellerie. Là également, il peut y avoir plusieurs spécialisations. Nous parlons aujourd’hui de Green Hotels, de Sustainable Development… Nous pouvons offrir une panoplie de cours reliés à l’hôtellerie et au tourisme.

Les étudiants mauriciens auront-ils aussi la possibilité d’échanger avec les universités étrangères ?

Nous avons plusieurs programmes à ce sujet. Pas plus tard que cette semaine, nous avons présenté le programme Erasmus+, qui permet aux étudiants mauriciens d’aller faire un séjour dans les universités à l’étranger, et pas nécessairement européennes.

À propos de l’internationalisation, le problème de logement demeure un obstacle pour beaucoup d’étudiants étrangers, et même les Rodriguais. Comment répondre à ce besoin ?

Analysons cela en commençant par voir le nombre d’étudiants mauriciens. En 2 000, il y avait 30 000 élèves prenant part au CPE. Aujourd’hui, il y en a que 13 000 environ. Il est clair que nos institutions primaires et secondaires ont des places disponibles. Autant en profiter pour offrir de la place aux étrangers qui veulent venir à Maurice pour étudier.

Il faut savoir que l’Université de Maurice a aussi un plan pour construire une résidence universitaire à Réduit. Par ailleurs, j’inviterai également les personnes qui sont seules et qui habitent dans une grande maison à louer les chambres vides à des étudiants. En plus du revenu, ces personnes auront également de la compagnie.

Nous l’avons déjà fait dans le passé, pour les étudiants qui avaient des bourses. Mais ils n’étaient pas nombreux. Aujourd’hui, il y a 3 000 étudiants étrangers à Maurice. En même temps, nous allons construire des résidences pour les étudiants.

Pour revenir à votre premier point, selon vous, les salles de classe vides pourraient être transformées en logement pour étudiants ?

C’est une idée, pourquoi pas… Toutefois, les institutions primaires et secondaires ne sont pas sous ma responsabilité.

Et le projet de résidence universitaire de l’UoM, où est-on?

Je sais qu’ils ont déjà le plan et que le terrain a aussi été identifié. Ils n’attendent que le budget pour démarrer la construction.

À propos de l’UoM, depuis quelque temps, les étudiants doivent suivre 50% de leurs cours en ligne. Beaucoup décrochent ou sont découragés. Allez-vous maintenir cette formule ?

Nous allons revoir cela. J’aurai des réunions régulièrement avec les responsables des universités. La première réunion était axée sur les Minimum Entry Requirements. A la prochaine réunion, nous allons discuter justement du nombre d’heures à offrir en ligne et en présentiel.

Y a-t-il des projets pour avoir plus de place sur le campus ?

Tout le monde voudrait avoir plus de place. Mais, c’est aussi un fait que le nombre d’étudiants diminue. L’Université de Maurice, par exemple, avait 13 000 étudiants à un certain moment. Aujourd’hui, il n’y en a que 10 000. Si jamais il y a nécessité d’avoir plus de places, nous ferons le nécessaire pour avoir des locaux additionnels.

À ce sujet, d’après le rapport de la Higher Education Commission, près de 50% des étudiants mauriciens optent pour les universités privées ou étrangères. Comment redonner confiance dans nos institutions publiques ?

C’est une tendance qui existe dans tous les pays. Il y a des étudiants qui ont les moyens et qui préfèrent aller dans des universités privées ou à l’étranger. C’est pour cela que je dis qu’il faut ouvrir les portes pour avoir plus d’étudiants. Il y a aussi la question de l’offre et de la demande. J’ai cité plus tôt les cours de médecine, pour lesquels les étudiants avec les meilleurs résultats sont sélectionnés, car les places sont limitées. Ceux qui ne sont pas retenus vont ailleurs.

Pour ce qui est des études à l’étranger, cela a toujours intéressé les Mauriciens. Beaucoup veulent vivre cette expérience sur le campus et devenir indépendant, loin des parents. Nous ne pourrons jamais empêcher les gens de partir. Il y aura toujours cette mobilité.

Faut-il aussi améliorer le classement de nos universités, surtout pour attirer des étudiants étrangers ?

Je ne suis pas partant pour jouer à ce jeu-là. Je connais bien la recette du jeu de classement. Je ne crois pas que nous aurons assez de sous pour cela. Prenons l’exemple de Singapour, qui a appliqué la recette à la National University of Singapore, qui est maintenant dans les 20 premières universités au monde. Cela leur a pris une bonne quinzaine ou vingtaine d’années. Cela demande un investissement colossal chaque année. Ils ont appliqué la même recette à la Nanyang Technological University, qui est maintenant dans les 30 premières universités au monde. Financièrement parlant, nous ne pourrons en faire de même.

Cependant, nous travaillons sérieusement pour avoir des cours qui sont reconnus au niveau international. Des cours qui ont le libellé de qualité des agences internationales. Nous travaillons plus dans ce sens. J’aurais bien aimé appliquer la recette qu’on connaît, qui aurait sans doute permis à l’Université de Maurice d’être parmi les 100 premières en 15 ans. Mais cela demande beaucoup d’investissement. Un investissement soutenu de la part du gouvernement et de l’industrie. Ceci étant, le Ranking ne veut pas dire que la qualité est compromise. Cela passe par la publication des recherches, le nombre de papiers que vous arrivez à générer pendant un an, entre autres.

Quelle place sera réservée à la recherche justement dans votre plan ?

La recherche sera primordiale. Notre stratégie est d’investir dans la recherche. Notre vision est que dans 15, voire 20 ans, Maurice soit connue pour au moins un ou deux secteurs. Ainsi, n’importe qui envisagerait de faire des recherches dans ces secteurs se tournerait vers Maurice. Comme je l’ai dit, nous aurons un National Research Committee avec des chercheurs reconnus, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, pour donner un boost à la recherche.

Cependant, il est important que la recherche soit appliquée. Je vous donne un exemple : nous avons un problème qui s’appelle Mare-Chicose. Quand j’ai entendu ce qui s’y passait, je me suis demandé où étaient nos universitaires ? À mon avis, quand il y a des problèmes dans le pays, les universitaires doivent pouvoir proposer des solutions. C’est pour cela que nous allons mettre l’accent sur la recherche appliquée, afin de permettre de trouver des solutions aux problèmes du pays.

Y a-t-il un domaine en particulier où Maurice pourrait se démarquer ?

Je laisse le soin au comité de décider. Mais personnellement, je trouve que l’anthropologie est un domaine intéressant. Maurice est un pays multiculturel où il fait bon vivre. Les personnes d’origines diverses peuvent cohabiter en paix. Ce n’était pas donné. En janvier 1968, il y a eu la bagarre raciale, qui a fait des morts. Il y a eu l’épisode Kaya, en février 1999. Il y a eu des tensions raciales. Dans les années 2 000, des gens ont fait des graffitis scandaleux dans des lieux de culte. Heureusement, il n’y a pas eu de dérapage. Alors peut-être que les gens voudraient étudier le cas de Maurice en matière de cohabitation. Ce modèle pourrait être proposé dans d’autres pays où il y a des tensions.

Un autre domaine, c’est la médecine. Où allez-vous avoir un échantillon aussi élargi qu’à Maurice, avec des personnes ayant des origines aussi diverses ? Mais une fois de plus, je laisse le soin au comité de voir quels sont les domaines les plus importants.

Les cours ont repris dans les universités après les vacances de décembre. Avez-vous eu l’occasion d’aller à la rencontre des étudiants et de connaître leurs attentes ?

Pas encore, mais j’ai prévu de le faire. Dans un premier temps, j’ai eu des réunions de travail avec le management et les représentants des employés. La prochaine fois, je rencontrerai les représentants des étudiants, ainsi que les responsables des universités privées. Il y en a une cinquantaine d’entités enregistrées avec la Higher Education Commission. Je voudrais que les universités publiques et privées travaillent ensemble pour le branding et le marketing. Il y aura un comité réunissant les universités et les autorités.

Quel avenir pour l’Open University après votre départ ?

Je trouve que l’Open University a un avenir prometteur. C’est une université qui est financièrement indépendante, et elle peut avoir son propre campus. Elle sera appelée à grandir encore plus.

Qu’adviendra-t-il du projet d’Education Hub à Côte-d’Or ?

Nous sommes en train de tout revoir. Je n’ai pas de souci à aller à Côte-d’Or, mais je pense qu’il faut faire des tests géotechniques au préalable. Je n’étais pas très d’accord avec le plan initial. Surtout des conditions imposées par Landscope auparavant. Je suis en faveur de la création d’une cité universitaire, mais les universités n’ont pas d’argent et il faut dépenser judicieusement. Ce que j’ai appris à l’Open University à faire. Autrement, nous n’aurions pas eu de sous. C’est la seule université qui était financièrement indépendante au final. La gestion financière a été très rigoureuse.

Si nous pouvons avoir des terrains, cela permettra aux universités d’économiser. Mais quand elles n’ont pas d’argent, elles ne peuvent pas acheter de terrains. L’argent économisé pourrait servir à la construction. L’Open University était la première à signer un contrat avec Landscope à Côte-d’Or, mais aussi la première à résilier ce contrat.

Propos recueillis par Géraldine Legrand

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