Dr Dominique Lam Thuon Mine, principal promoteur de la Premium Care Clinic : « Nous voulons aider à élever le niveau de la médecine à Maurice »

Le 10 mars sera inaugurée officiellement à Phoenix la Premium Care Clinic, une clinique de 70 lits, opérationnelle depuis octobre dernier. Nous sommes allés à la rencontre de son principal promoteur, le Dr Dominique Lam Thuon Mine, pour lui demander de nous raconter la genèse de ce projet.

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Commençons par retracer votre parcours professionnel…
— Je suis né à Quartier Militaire et j’ai fréquenté l’école St Enfant Jésus, à Rose-Hill, avant d’aller au collège Royal de Port-Louis. Après le collège, j’ai fait des études de médecine à l’université catholique de Louvain, en Belgique, puis je me suis spécialisé en neurologie. Lors de mes vacances, je me suis rendu compte que la neurologie n’était pas pratiquée — il n’y avait même pas de scan — je me suis dit que je serais plus utile à Maurice, plus satisfait professionnellement que dans un hôpital équipé en personnel et en matériel d’Europe, et je suis rentré en 1991. Bien sûr, les salaires et les conditions de travail n’étaient pas les mêmes, mais pour moi, la satisfaction de bien faire son métier, de partager ce que l’on a appris n’a pas de prix. La pratique de la médecine me rend heureux.
Êtes-vous entré dans le service public en rentrant à Maurice ?
— Non, puisque quand j’ai proposé mes services, comme il n’y avait pas de neurologues, on m’a demandé d’aller travailler à l’hôpital Brown Sequard ! La psychiatrie et la neurologie n’étant pas les mêmes disciplines, j’ai ouvert un cabinet dans le privé avant de travailler, plus tard, dans certaines cliniques.
Qu’est-ce qui a poussé le neurologue bien installé que vous êtes à vous lancer dans le parcours du combattant qu’est la construction d’une clinique à Maurice ?
— Aujourd’hui que le projet est opérationnel, je dis souvent que si je savais que cela impliquerait autant de travail et de démarches, il est probable que je serais resté tranquillement dans mon cabinet de consultation ! Je suis devenu promoteur pour plusieurs facteurs. Des amis médecins étrangers sont venus me rendre visite et on a discuté des grandes avancées de la médecine en Europe et des moyens limités dont on dispose à Maurice. L’un de mes amis m’a demandé comment on faisait pour soigner les riches étrangers que l’on invite à s’installer à Maurice en cas d’urgence. Je me suis rendu compte que Maurice a des hôtels et des villas 5 étoiles plus, mais pas le côté médical qui doit aller avec, et je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. Puis, plus tard, mon fils Kelvin m’a dit qu’il voulait faire médecine et j’ai essayé de le décourager…
Pour quelle raison ? Vous venez de dire que pratiquer la médecine vous rend heureux !
— Avec ses contraintes, donc de longues études. J’ai essayé de lui faire comprendre qu’il existait d’autres opportunités professionnelles que la médecine. Mais il ne s’est pas laissé convaincre et a fait des études médicales. Je me suis dit alors que je souhaitais qu’il revienne à Maurice et j’ai décidé de lui offrir une infrastructure pour qu’il puisse travailler en ouvrant un petit centre médical où les vieux comme moi pourraient transmettre leur expérience aux plus jeunes. J’en ai parlé à des amis, médecins comme moi, qui étaient intéressés, mais pas tout à fait convaincus. Le déclic est venu de quelqu’un qui n’est pas dans la profession médicale : Hang Leung Pahhang, le propriétaire du Domaine Anna.
Qu’est-ce qui a poussé un restaurateur à se lancer dans un projet médical ?
— En 2018, il cherchait une consultation pour sa fille qui allait rentrer au pays après ses études de médecine. Je lui ai proposé d’ouvrir un centre pour nos enfants avec la possibilité d’accueillir d’autres médecins, une pharmacie, un laboratoire : un petit complexe médical, quoi. Nous avons cherché, et après avoir raté un terrain de 400 toises à Quatre-Bornes, nous avons fini par trouver l’endroit idéal : deux arpents à côté de Soccota. Ce qui nous permettait de voir plus grand. On s’est dit qu’on allait construire un bâtiment à un étage avec le laboratoire et la pharmacie au rez-de-chaussée et les consultations médicales au premier. Un petit centre médical familial.
Qui sont les actionnaires de cette petite compagnie qui a rapidement grandi au fil du temps ?
— Au départ, nous étions six actionnaires, ce qui explique le nom de la compagnie : Medisix. Puis, quand le projet a commencé à prendre de l’envergure, il a fallu trouver d’autres partenaires dans le domaine médical. Nous étions pour faire un complexe avec un day ward, qui permet de passer la journée au centre pour les soins, mais quand des cardiologues sont venus nous rejoindre, ils ont demandé à installer un stress test et une écographie ,puis un service d’urgence ouvert la nuit. Il a fallu convertir le day ward en in-patient, et le projet était en train de passer de centre médical à clinique avec un besoin de plus d‘espace. De fil en aiguille, on a dit qu’il fallait inclure une IRM et un scanner pour être cohérent avec le type de soins que nous voulions offrir. Mais arrive alors le Covid, qui bloque tous les travaux, et nous en avons profité pour peaufiner le plan du centre médical d’un étage qui est devenu une clinique de cinq étages.
Vous n’avez pas eu peur de voir le modeste projet de départ se transformer ainsi ?
— Franchement non, parce que le projet a toujours suscité un intérêt positif. Le Covid n’a pas seulement provoqué l’arrêt des travaux, mais aussi l’augmentation des coûts de construction, sans compter la dépréciation de la roupie. L’augmentation des coûts était de 30%. Le business plan est passé de 5,5% à 8% ! Nous nous sommes dit que les éventuels locataires n’allaient pas payer les prix des loyers augmentés et avons décidé de faire venir les instruments médicaux et de transformer le centre en clinique. Francis Wong, l’architecte, a dû refaire tout l’intérieur en fonction de nos nouveaux besoins en respectant le permis de construction et le EIA que nous avions déjà obtenus. J’ai arrêté de consulter comme médecin le mercredi et le vendredi après-midi pour aller discuter avec les banques, le comptable, l’architecte et tous ceux qui ont participé à la réalisation du projet. Je dois souligner que les actionnaires du projet m’ont toujours fait confiance et soutenu le concept de qualité que je voulais. Nous avons acheté les équipements médicaux sophistiqués de gamme supérieure pour permettre aux médecins étrangers qui vont venir nous rejoindre de disposer de l’équipement nécessaire pour travailler selon les meilleures conditions. Nous voulons pouvoir offrir les meilleurs soins du même niveau que ceux des grands centres à l’étranger.
On dirait que vos actionnaires sont en majorité sino-mauriciens…
— C’est vrai, et cela s’explique parce qu’au départ c’était un petit groupe d’amis et de parents qui se sont associés pour un petit projet familial qui s’est développé de lui-même. C’est un projet familial, amical qui ne compte pas de grands groupes ou de financiers. D’ailleurs, au départ, aucun des médecins actionnaires associés n’a touché un salaire pour ses consultations.
Mais au fur et à mesure que le projet se développe et s’étoffe avec ce qui se fait de mieux dans le domaine des équipements médicaux, ses coûts doivent forcément augmenter, pour ne pas dire s’envoler !
— C’est pour cette raison que nous sommes allés chercher d’autres partenaires et sommes allés frapper aux portes des banques. Certaines d’entre elles, ABC Banking et HSBC, ont cru dans la viabilité de notre projet, d’autres non, et nous ont proposé des conditions inacceptables.
Au moment où nous parlons, ce jeudi après-midi, quel est le montant de l’investissement pour la mise sur pied de la Premium Care Clinic ?
— Ça va arriver à Rs 1,5 milliard, et croyez-moi, ça n’a pas été facile de le faire. Mais nous voulons proposer une médecine de qualité qui va s’adresser, entre autres et pour certaines pathologies, aux malades qui se font soigner à l’étranger, et ce, pour moins cher.
Un des problèmes du pays est que la médecine est très chère, ce qui pousse d’ailleurs ceux qui ont les moyens à aller se faire soigner à l’étranger…
— La médecine est chère à Maurice parce que les équipements médicaux, le servicing, les pièces à remplacer coûtent cher. On recrute parfois des médecins et souvent du personnel étranger, ce qui coûte cher. C’est vrai que pour certaines pathologies il vaut mieux aller se faire soigner ailleurs. En Europe et à Singapour, c’est au moins trois fois plus cher, deux fois en Afrique du Sud et le meilleur marché c’est l’Inde. Cela étant dit, la majorité des soins est moins chère à Maurice.
Et qu’en est-il de la qualité de ces soins ?
— C’est pour augmenter la qualité des soins qu’il faut encourager les médecins mauriciens établis à l’étranger à venir travailler à Maurice, ce que nous sommes en train de faire. Il faut aussi encourager des médecins étrangers qui ont une réputation internationale et veulent prendre leur retraite de venir à Maurice — avec leur clientèle établie — pour partager leurs connaissances et leur expertise avec les jeunes médecins locaux.
Vous savez, sans doute mieux que nous, que certains médecins ont un ego très développé — pour ne pas dire ultradimensionné — et acceptent difficilement de travailler avec/sous des étrangers !
— Mais tout le monde a un ego, même moi. Mais il faut savoir apprécier et respecter ceux qui sont plus expérimentés et veulent partager leur savoir : c’est ça la transmission. Le jeune intelligent pourra apprendre de l’aîné avant de pouvoir voler de ses propres ailes. Il profitera du frottement avec le médecin étranger pour se perfectionner, ce qu’il n’a pas les moyens de faire ici. C’est une win-win situation si tout le monde joue le jeu.
Y a-t-il a une place pour une nouvelle clinique dans ce secteur qui semble saturé avec l’ouverture de nouvelles cliniques et la multiplication de centres médicaux dans le privé ?
— Le secteur est loin d’être saturé. Nous avons à Maurice 1,2 million d’habitants, 100 00 étrangers et environ 100 000 touristes en permanence, ce qui fait un total de 1,4 million. D’après l’OMS, nous devrions avoir 5 à 6 000 lits, mais à ce jour, nous n’en avons que 4 000 publics et privé compris. Maurice a donc encore une marge et pouvons ouvrir deux hôpitaux de 500 lits et plusieurs cliniques de 100 lits. La clinique n’est pas un business qui rapporte autant qu’on le croit. Ça ne rapporte pas parce que les appareils que nous importons coûtent 25 à 30% plus cher que dans les pays d’origine à cause des frais d’importation, sans compter la dévaluation de la roupie. Il y a eu une augmentation de près de 50% des prix des chambres d’hôtel avec le Covid, tandis que le prix des cliniques a augmenté, pendant cette même période, de 10 à 20%, donc la marge est quand même minime.
Et malgré ces statistiques, vous foncez tête baissée dans la construction d’une clinique !
— Si j’avais su qu’il y avait autant d’obstacles dans un projet de clinique, j’aurais certainement investi ailleurs. Nous ne pouvons pas mettre n’importe quel prix en raison des assurances médicales qui nous imposent un certain tarif si nous voulons travailler avec elles. Je pense que l’emplacement, la réputation de notre équipe locale et de ceux qui vont venir de l’étranger, et de notre personnel, la sophistication de nos équipements. Nous avons potentiellement 125 médecins et d’autres qui veulent faire admettre leurs patients. Personnel 150 pour le moment pour s’arrêter à 200 d’ici trois mois. Nous disposons de 70 lits et de tous les services nécessaires et nos prix sont abordables par rapport à ce qui se pratique ailleurs dans le même secteur. Nous comptons sur l’esprit d’équipe de notre personnel qui doit être polyvalent, se sentir concerné et impliqué par le bon fonctionnement de la clinique. Ce n’est pas facile, mais nous devons mettre en place une nouvelle culture d’entreprise où l’employé n’est pas un numéro qui accomplit une fonction, mais une partie de la machine, où l’on parle, discute et partage directement sans étapes intermédiaires, et les décisions sont prises rapidement. Les actionnaires de la compagnie sont en général des professionnels qui ont une carrière derrière eux, ils n’ont pas investi pour un retour immédiat, mais pour plus tard, et veulent contribuer à quelque chose qui restera, qu’ils pourront léguer à leurs enfants.
Sans vouloir vous décourager, il faut quand même vous rappeler qu’à un moment, l’actionnaire ne va pas de contenter de la satisfaction d’avoir fait quelque chose de bien, mais va vouloir retrouver son investissement, avec autant que possible des profits…
— Vous avez raison, mais ça viendra plus tard. Le plus tard possible. Pour le moment, nous sommes en train de structurer une nouvelle entreprise, et ça commence bien. Le fait que nous soyons pour le moment un family and friends business ne veut dire qu’il y a du laisser-aller. Au contraire, nous avons adopté une rigueur professionnelle. Notre clinique est jeune, mais les médecins qui y travaillent sont déjà connus du public.
Revenons sur ce que vous avez dit plus tôt à propos de l’ouverture de nouvelles cliniques…
— Vous vous trompez. On peut ouvrir de petits centres médicaux où les médecins se regroupent généralement avec une pharmacie. Il n’y a pas plein de nouvelles cliniques qui ont ouvert leurs portes, mais plein de publicité autour des produits des cliniques existantes et rénovées. Après 2015 et Apollo, il n’y a eu que trois nouvelles cliniques, tandis que celles déjà sur place ont ouvert un département, un centre et fait beaucoup de publicité autour, ce qui cause cette confusion. Comme je l’ai dit, il y a de la place pour encore deux hôpitaux publics de 500 lits et quelques centaines de lits dans de bonnes cliniques.
Quelle est votre définition d’une bonne clinique ?
— Un établissement moderne qui offre des facilités de soins au niveau standard international avec de bons équipements médicaux et un personnel qualifié.
Avec l’expérience acquise, quelles sont les choses les plus difficiles dans la mise en place d’un projet de clinique : les actionnaires, les finances ou les permis ?
— La chose la plus difficile c’est l’obtention des permis. On a besoin pour un projet de clinique d’obtenir une multitude de permis dans plusieurs domaines, et même si l’Economic Development Board nous a soutenus, il faut dire que les démarches administratives sont longues. J’ai été souvent fatigué et découragé par les difficultés du projet en tant que promoteur, mais en tant que médecin, j’ai pris un énorme plaisir à le réaliser. Et je pense qu’il y a des centaines de milliers de Mauriciens et des centaines de médecins qui sont contents de pouvoir disposer d’une nouvelle clinique
Le niveau des hôpitaux est-il aussi « dans pince » que l’on dit généralement ?
— Non. Les hôpitaux publics peuvent offrir un très bon service dépendant de sur qui vous tombez et à quel moment. Il faut que le Mauricien réalise que si le service public est gratuit, cela coûte tout de même de l’argent au contribuable qui, à travers les taxes, finance le budget des hôpitaux. Dans certains cas, une journée à l’hôpital peut coûter aussi cher qu’une journée en clinique.
Un mot sur les assurances médicales ?
— Je pense qu’elles sont indispensables, dans la mesure où personne n’est à l’abri d’un accident, d’une urgence. Mais tout le monde doit être raisonnable, que ce soit le client ou l’assurance. Je ne comprends pas que les check-up médicaux ne soient pas remboursés, alors que c’est grâce à eux qu’on peut détecter l’état des santé de l’assuré. Il faut que les assurances soient plus ouvertes au dialogue au cas par cas. Et, en même temps, que certains assurés n’abusent pas de l’assurance en allant consulter plusieurs médecins juste pour voir et n’aillent pas en clinique tester tous les tests, comme on choisit dans un menu au restaurant ! Il faut trouver un juste milieu entre assurés et assurances dans le dialogue, pas la confrontation.
Mais il y a aussi les tests médicaux que certaines cliniques imposent aux patients pour atteindre les objectifs financiers fixés…
— La clinique ne peut pas imposer des tests aux patients, parce que c’est le médecin qui décide de les prescrire.
N’y a-t-il pas, allons dire de temps à autre, une surprescription d’examens médicaux dans certaines cliniques ?
— Cala dépend du médecin, et en ce qui me concerne, on ne m’a jamais dit dans les cliniques où j’ai travaillé que je devais faire tel ou telle somme par jour. Je ne parle que pour moi. C’est vrai qu’il peut y avoir beaucoup d’examens mais, par ailleurs, la médecine défensive est en train de gagner du terrain. On préconise beaucoup d’examens peut-être, mais le médecin le fait parfois par précaution, car s’il rate quelque chose, il peut — dans les pays développés en tout cas — se retrouver devant la justice pour ne pas avoir fait tous les tests médicaux que le patient estime nécessaires !
Avez-vous envisagé la possibilité d’associer votre clinique à un grand groupe médical étranger ?
— Nous avons entamé des discussions pour une possible association avec un groupe médical étranger. Si les discussions aboutissent, ce sera dans le cadre d’un accord où chaque partenaire, chaque clinique, garde son autonomie, et nous ne travaillerons pas sous le label de notre partenaire. Si nous avons un problème, nous pourrons envoyer nos patients chez notre partenaire et lui pourra envoyer ses médecins ici dans le cadre d’opérations ponctuelles. Je ne peux pas en dire plus pour le moment, pour des raisons évidentes
Dernière question : est-ce votre fils Kelvin, qui est un peu à l’origine de ce projet de centre médical devenu clinique, va, comme vous le souhaitiez, rentrer à Maurice et installer sa consultation à la Premium Care Clinic ?
— Il est toujours en Angleterre dans un hôpital où travaillent une vingtaine d’infirmiers mauriciens. Il n’a pas encore pris sa décision, mais j’espère qu’il va rentrer, avec les 25 infirmiers mauriciens. Je profite de cette interview pour dire aux médecins mauriciens qui travaillent en Europe : venez travailler chez vous dans votre pays et aidez-nous à élever le niveau de la médecine à Maurice. En tout cas, en ce qui me concerne, et avec mes partenaires de la Premium Care Clinic, j’apporte une petite contribution au domaine du health care à mon pays.

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