C’est après avoir regardé le blockbuster Les Dents de la Mer que le Dr Antonin Blaison, spécialiste des élasmobranches (requins et raies) et directeur du Mascarenes Archipelago Elasmobranchs Observatory (MAEO) au sein de l’association ARBRE, a décidé de s’intéresser aux requins. En visite à Maurice la semaine dernière pour une conférence coorganisée par l’Institut français de Maurice (IFM) et l’antenne de la Région Réunion sur ces espèces marines qui se font de plus en plus rares dans les eaux de l’océan Indien, il est déjà de retour à La Réunion pour continuer son travail d’observation et de recensement. Dans cet entretien, il nous explique comment et pourquoi il est essentiel de connaître et protéger ces grands prédateurs marins.
« Quand j’étais petit, je m’intéressais aux requins avec pour objectif de les exterminer après avoir vu Les Dents de la Mer », nous lance Antonin Blaison, amusé. Il était loin de s’imaginer qu’il allait un jour travailler pour, bien au contraire, les protéger. Ainsi, ce dessein de petit garçon s’est vite transformé en véritable passion. Et au fil de ses inlassables recherches, il finit par s’éprendre de passion pour les grands prédateurs, dont le grand requin blanc, avec qui il finira par nager en Afrique du Sud. Si le chercheur est souvent en mission à Maurice pour effectuer ses recherches dans nos eaux, Antonin Blaison était la semaine dernière à l’institut français de Maurice pour une tout autre raison. Il a lancé en avril dernier un nouveau projet sous l’Observatoire des élasmobranches de l’archipel des Mascareignes (MAEO), sis à La Réunion. Cofinancé par le programme PO INTERREG V OI et la Région Réunion en partenariat avec l’université de Maurice, ce projet de recherches à grande échelle a pour but d’étudier la biodiversité et le comportement des requins et des raies grâce à des observations sous-marines et le déploiement de caméras autour de La Réunion, Maurice et Rodrigues. Et de faire participer tout le monde !
Ainsi, ce programme qui s’étendra dans les eaux autour des îles Maurice, Réunion et Rodrigues permettra, entre autres, d’alimenter une base de données et une carte de la répartition des espèces d’élasmobranches dans les Mascareignes. « Il y a très peu d’études sur les requins et les raies dans la région », nous dit-il, alors que les eaux de l’océan Indien regorgent d’espèces d’élasmobranches qui deviennent cependant de plus en plus rares. D’ailleurs, il s’agit là de la première étude sur les requins et les raies à Maurice et à Rodrigues. « L’on parle officiellement de 56 espèces de requins et de raies dans les Mascareignes, qui restent une zone riche en biodiversité, alors qu’en réalité seule une dizaine d’espèces peuvent être observées régulièrement », indique-t-il.
La première à Maurice et à Rodrigues
Un décalage entre la réalité scientifique des faits et ce qui est dit officiellement qui ne peut plus durer, insiste le docteur en biologie marine et écologie comportementale. Par ailleurs, il relève aussi plusieurs erreurs d’identification des espèces, qui soit ne sont plus ou pas présentes dans les eaux des Mascareignes, ou qui soit sont « là mais qui ne sont pas très accessibles. » Ainsi, ce projet permettra au chercheur et à son équipe d’acquérir des données scientifiques pour réactualiser cette liste essentielle pour préserver la biodiversité marine de la région. De plus, Antonin Blaison regrette le manque d’informations sur ces espèces, dont la présence est très rarement signalée. « Le requin blanc par exemple n’a été vu que deux fois à Maurice, et à La Réunion, trois fois. Mais quand on n’a pas de photos, il est beaucoup plus difficile de bien identifier les espèces », précise-t-il.
Avec ce nouveau projet de MAEO, il pourra alimenter davantage l’atlas des raies et des requins dans la région qui est accessible au grand public en ligne. Et il souhaite, par là même, créer un réseau écoparticipatif, avec notamment la mise en place d’un site internet que les gens pourront consulter, et où ils pourront communiquer avec les scientifiques, pour partager les photos et les données qu’ils ont pu recueillir sur le terrain. « Le but est double : on souhaite, d’une part, avec ce nouveau système avoir beaucoup plus d’observations de requins et de raies en un minimum de temps, même si à notre niveau, on fait beaucoup de prospections, et d’autre part, la participation du grand public à l’étude permet une sensibilisation », explique-t-il. En effet, si la peur de ces animaux marins reste très présente dans la communauté, et avec raison dans certains cas, il est important de protéger ces espèces. « La population des requins n’est pas en bonne santé », dit-il. « Les requins-bouledogues, on n’en voit plus, idem pour les requins-tigres et pour les requins gris, on en voit beaucoup, mais uniquement dans une seule zone. »
Antonin Blaison ne sait pas, pour le moment du moins, pourquoi un tel phénomène se produit. « On ne sait pas encore pourquoi, et on n’a pas maintenant de retours d’expériences. Toutefois, l’on peut penser que ce phénomène peut être dû à la dégradation du milieu marin, avec les activités en mer, dont la pêche aux requins et raies, mais pas les petites pêches qui ne sont pas forcément ciblées et où il n’y a pas de gros prélèvements, mais surtout celles qui se font en haute mer. La zone économique exclusive de Maurice est énorme, et je pense que c’est de ce côté-là qu’il faut voir. Il y a aussi des phénomènes plus difficilement perceptibles, dont l’effet du changement climatique. » Il explique ainsi qu’il faut plus de contrôle, sur les espèces de requins et de raies prélevées.
« Un requin n’est pas méchant »
À travers ce projet, Antonin Blaison compte aussi aller dans les écoles pour toucher un maximum de personnes, de jeunes notamment qui « n’ont pas encore été pollués par les idées contraires sur ces espèces et qui n’ont pas encore développé la peur des requins comme les adultes, qui eux ont été bercés par le film Les Dents de la Mer. D’ailleurs, cette peur, elle est ancestrale… donc, dans les écoles, on parle de ces animaux, qui restent des animaux dangereux, mais sans leur parler d’emblée des attaques. Je parle généralement de ce dernier aspect très important d’ailleurs lors de la session ultérieure. Et je leur explique la diversité des espèces rencontrées, leur rôle dans les écosystèmes côtier et marin, la différence entre un requin dangereux et dire qu’un requin est méchant. » Un requin peut être dangereux par sa taille et le type de proie qu’il a l’habitude de chasser (tout comme le lion est dangereux), dit-il, mais un requin n’est pas méchant, il ne nous en veut pas personnellement.
D’ailleurs, après avoir passé son enfance à planifier son plan d’extermination des requins, il finit par changer de regard. « Ma mère, un jour, sans s’en rendre compte, m’a expliqué comment ces animaux étaient importants et qu’ils avaient eux aussi un rôle dans notre biodiversité, et depuis, j’ai changé de regard ! » Ainsi, pour son premier job, il déniche un stage en Afrique du Sud et fait sa première rencontre avec son ami-ennemi, un grand requin blanc. « Il y avait un mélange de peur et d’excitation, car j’étudie les comportements de prédation sur les otaries et je savais ce que ces requins-là pouvaient faire. Mais ce qui me fascine, c’est cette relation entre un animal qui peut vous couper en deux et nous. En fait, c’est l’animal qui vous accepte et pas le contraire. L’humilité de l’Homme face à la puissance et la beauté de la Nature. »
Antonin Blaison espère ainsi que d’autres chercheurs, comme lui, développeront cette passion pour ces grands prédateurs marins. Ceux qui souhaitent en savoir plus peuvent se rendre sur https://obs.maeoproject.org/ et envoyer un mail à maeoproject@gmail.com.