Diffusion de vidéos violentes : Ces jeunes, victimes et complices à la fois…

– Ruchi Swambar (Psychological Counsellor) : « Préparons-nous correctement les jeunes à gérer leurs émotions de manière saine et constructive ? »

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Le célèbre auteur George Orwell avait vu juste il y a 40 ans lorsqu’il disait « Big Brother is watching you ». Si le contexte est sans doute très différent, il s’avère que de nos jours, tout se sait, tout se filme et tout se partage sur les réseaux sociaux. Depuis la rentrée des classes, des vidéos d’étudiants peu élogieuses circulent sur les réseaux sociaux. En plus de la violence et de l’indécence des actes, qui relèvent bien plus que de simples « erreurs de jeunesse », un autre phénomène interpelle : celui de tout filmer et de tout diffuser sur les réseaux. Une violence banalisée, mise en spectacle au prix de quelques « likes »… et ce, au détriment de la santé mentale des victimes. Face à ce fléau, Ruchi Swambar, Psychological Counsellor à Les Mariannes Wellness Sanctuary, prône une approche collaborative, en commençant par la famille.

Loin des discours moralisateurs sur comment doivent se comporter nos jeunes en société, il est tout de même de notre devoir de rappeler certaines choses. Si avec l’avènement des réseaux sociaux il est d’usage de partager avec les autres son quotidien sous forme de photos et de vidéos, partager la vidéo des autres sans leur consentement reste un délit punissable par la loi. Encore plus si cela implique des actes de violence, quels qu’ils soient. Mais il semblerait que certains individus et dont beaucoup de jeunes n’en soient pas conscients. Pour Ruchi Swambar, cette pratique de tout diffuser soulève des questions bien plus profondes sur notre fonctionnement en tant que société.

« Le début de l’année scolaire à Maurice a été marqué par des incidents alarmants de violence, notamment des agressions physiques et des comportements sexuels répréhensibles, occultant ce qui devrait être une période de croissance et d’enthousiasme. Ces actes révèlent des problèmes sociétaux plus profonds tels qu’un manque de régulation émotionnelle, des compétences inadéquates en matière de résolution des conflits et une mauvaise connaissance du respect et des limites » dit-elle.

Pour Ruchi Swambar, « ces incidents soulèvent des questions essentielles quant à savoir si nous préparons correctement les jeunes à gérer leurs émotions et leurs relations de manière saine et constructive. » Par ailleurs, en plus de la violence qui sévit dans le milieu scolaire, elle s’inquiète de la proportion qu’elle prend sur les réseaux sociaux. Face à la diffusion de vidéos et images à caractère violent et sexuel, elle nous indique que « pour comprendre ce comportement, nous devons examiner les dynamiques psychologiques et sociales en jeu. Les adolescents sont dans une phase de développement où l’approbation des pairs est primordiale. L’enregistrement et le partage de tels actes peuvent constituer une tentative malavisée d’obtenir la reconnaissance, l’acceptation, voire la domination au sein de leurs groupes sociaux. »

Empathie diminuée et impulsivité augmentée
Elle ajoute que « les plateformes de médias sociaux amplifient ce comportement en offrant une validation instantanée sous la forme de likes, de partages et de commentaires. L’“effet de désinhibition numérique” explique comment l’anonymat et le détachement que procurent les écrans peuvent diminuer l’empathie et augmenter l’impulsivité, ce qui permet aux jeunes d’adopter et de diffuser plus facilement des comportements préjudiciables. » Un sentiment de bien-être éphémère qui s’accompagne de lourdes conséquences. Ainsi, malheureusement, « de nombreux jeunes qui adoptent ces comportements n’en mesurent peut-être pas pleinement la gravité. Le cerveau des adolescents est encore en développement, en particulier le cortex préfrontal, qui est responsable de la prise de décision, du contrôle des impulsions et de la compréhension des conséquences à long terme. »

Elle explique que « bien que certains puissent considérer ces actes comme des “erreurs de jeunesse”, il est essentiel de reconnaître que l’exposition répétée à des comportements violents ou préjudiciables peut normaliser ces actions et avoir des répercussions psychologiques durables tant sur les auteurs que sur les victimes. » Cela dit, elle rappelle que « les jeunes qui filment de tels actes ne sont pas tous intrinsèquement malveillants. Certains peuvent le faire sous la pression de leurs pairs, par peur d’être ostracisés ou par manque de compréhension de la vie privée, du consentement et des répercussions potentielles de leurs actes. »

Conséquences psychologiques profondes et multiples
Ruchi Swambar met aussi l’accent sur la gravité de tels actes sur les victimes, soit de celles qui ont été filmées à leur insu. « Pour les personnes filmées dans des actes de violence ou d’autres situations dégradantes sans leur consentement, les conséquences psychologiques sont profondes et multiples. Ces conséquences ne sont pas isolées, mais sont souvent aggravées par la stigmatisation sociale et l’isolement qui s’ensuivent », dit-elle. Elle explique que le fait d’être exposées dans une vidéo largement diffusée peut provoquer chez les victimes un profond sentiment de honte. « Pour les adolescents, dont le sens de l’identité est encore en formation, l’humiliation publique peut être particulièrement préjudiciable. Ils peuvent commencer à intérioriser l’attention négative qu’ils reçoivent, se considérant comme définis par leur victimisation. Ce sentiment que “tout le monde est au courant” peut les amener à se retirer de la vie sociale, à éprouver des difficultés à nouer ou à entretenir des relations et à hésiter à faire confiance aux autres. »

En outre, les victimes éprouvent souvent des niveaux élevés d’anxiété, en particulier d’anxiété sociale, car elles craignent d’être jugées ou ridiculisées par leurs pairs, leurs enseignants et même des étrangers. « L’exposition répétée à la honte, à l’isolement et à l’anxiété peut éroder l’estime de soi de la victime. Elle peut commencer à se sentir impuissante à changer sa situation, ce qui entraîne des symptômes de dépression tels qu’une baisse d’énergie, un manque de motivation et un sentiment d’inutilité. Si l’on n’y prend garde, cette situation peut dégénérer en automutilation ou en idées suicidaires », avertit-elle. Il y a également des risques de Trauma and Post-Traumatic Stress Disorder (PTSD), car « pour les victimes de violences, en particulier de violences sexuelles, le fait d’être filmées et de savoir que les images sont accessibles à d’autres personnes peut intensifier le traumatisme. » Elle poursuit que « les cicatrices psychologiques » de ces incidents persistent souvent à l’âge adulte…

Tout commence à la maison, avec les parents
Que faire face à un tel déferlement de violence en milieu scolaire ? « La prévention et la résolution de problèmes tels que la violence chez les jeunes et l’utilisation abusive des médias sociaux nécessitent un changement sociétal profond. Si les écoles, les médias, les décideurs politiques et les entreprises technologiques jouent un rôle important dans la création d’environnements plus sûrs, tout commence à la maison, avec les parents », explique Ruchi Swambar. Pour elle, il est clair que les fondements de l’enseignement du respect, de l’empathie et de la responsabilité sont posés dans le cadre familial, « où les enfants apprennent pour la première fois les valeurs, les limites et la manière de naviguer dans les relations interpersonnelles. Les parents doivent jouer un rôle actif en favorisant une communication ouverte, en définissant des attentes claires et en modélisant le comportement qu’ils souhaitent voir chez leurs enfants. Les conversations sur le consentement, les conséquences des actes préjudiciables et l’utilisation responsable des technologies doivent commencer tôt et évoluer au fur et à mesure que les enfants grandissent. »

Pour la professionnelle de santé mentale, « ce n’est que par un effort collectif et unifié — qui commence à la maison et s’étend à toutes les couches de la société — que nous pourrons vraiment aider les jeunes à relever ces défis. Après tout, il faut un village non seulement pour élever un enfant, mais aussi pour le protéger et le guider dans un monde de plus en plus complexe. » Quant aux jeunes, Ruchi Swambar leur adresse un message clair : « Rappelez-vous que vos actions, que ce soit en personne ou en ligne, ont un pouvoir immense — elles peuvent soit valoriser les autres, soit les blesser profondément. Choisissez la gentillesse, l’empathie et la responsabilité, car ces choix ne définissent pas seulement votre caractère, mais façonnent aussi la vie de ceux qui vous entourent. Soyez attentifs aux traces que vous laissez derrière vous, car les regrets ne peuvent pas réparer le mal causé, et comprendre l’impact de vos actions aujourd’hui vous aidera à construire un avenir dont vous pourrez être fiers demain. »

Indiscipline
Quelles solutions : tolérance zéro ou méthode douce ?
Il y a une semaine, les Mauriciens s’indignaient à la vue d’une vidéo de jeunes gens s’adonnant à des actes de violence inouïe dans un espace public, au vu et au su de tous. Une vidéo parmi tant d’autres diffusée ad nauseam et qui a provoqué un déferlement de colère et d’indignation sur les réseaux sociaux. « Moi lorsque j’étais jeune, il y avait sur la gare de Curepipe une équipe de policiers qui s’assurait que l’on rentre chez nous.

Ils nous surveillaient et agissaient avec force lorsque les choses dégénéraient. Grâce à cela, j’ai aujourd’hui fait des études et j’ai un travail. Je remercie ces policiers qui ont su me corriger lorsqu’il le fallait », écrit un internaute. Si beaucoup ont partagé son avis pour appliquer une politique de tolérance zéro, d’autres préfèrent adopter une méthode plus douce.

Ruchi Swambar propose quelques pistes pour venir en aide aux parents et éducateurs faisant face à des adolescents récalcitrants. Elle conseille aux parents et aux écoles d’éduquer les enfants à une utilisation responsable de la technologie, y compris les implications éthiques et juridiques de la prise de vue et du partage de contenu, en abordant des sujets tels que la protection de la vie privée, le consentement, la cyberintimidation et la permanence des empreintes numériques. Il est aussi important de favoriser l’intelligence émotionnelle dans les écoles, en apprenant aux enfants à identifier et à réguler leurs émotions peut réduire les actions impulsives, tandis que promouvoir l’empathie peut les aider à prendre en compte l’impact de leur comportement sur les autres.

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