« Je n’aurai jamais imaginé qu’un jour je croiserai sur ma route de jeunes cyclistes bourrés de talents, mais qui n’ont pas les moyens d’acheter une boîte de lait pour préparer un peu de céréales avant de participer à une séance d’entraînement de deux heures. » Tel est le triste constat fait par Juanito Beguinot, président du Club cycliste de Tamarin, fondé en 2018 et qui regroupe des jeunes de Tamarin, de La-Preneuse et d’autres endroits de la région.
« Un matin, un jeune du village de Petite-Rivière-Noire qui était venu pour une session d’entraînement, m’a dit qu’il vivait dans la pauvreté extrême », dit-il, rappelant ainsi à cette triste réalité. « Heureusement qu’il existe encore à Maurice des ONG qui contribuent à apaiser la faim des enfants, comme lors du Covid-19, en 2020. »
L’objectif du Club cycliste de Tamarin, explique-t-il, est de promouvoir le cyclisme chez les 12-18 ans issus de milieux difficiles. Une tâche difficile, tant la jeunesse est confrontée à de fléaux. « Nous voulons combattre la prolifération de drogues, qui menace sérieusement notre jeunesse. Je ne vais pas prendre le risque de dire que nous avons gagné la bataille, car avec les trafiquants, il faut toujours rester vigilant », dit-il.
« Nous faisons de notre mieux pour donner envie aux jeunes de découvrir leurs talents, de les amener à se dépasser pour découvrir et goûter aux fruits de l’effort. Pour qu’ils fassent preuve d’humilité et qu’ils respectent les autres », poursuit Juanito Beguinot. Pour ce faire, les jeunes s’entraînent trois fois par semaine sous sa supervision.
Le Club cycliste de Tamarin est affilié à la Fédération Mauricienne de Cyclisme et participe à toutes les compétitions, dit-il. « Nous organisons des journées d’initiation gratuites pour donner l’occasion aux enfants aussi bien qu’à leurs parents de se familiariser avec cette discipline. » Une initiative qui n’est cependant pas gratuite, explique-t-il. « Comme vous le savez, l’organisation de ces journées coûte beaucoup. Nous dépendons énormément des sponsors pour nous aider et préparer nos projets, mais aussi pour acheter des vélos qui répondent aux normes, des chaussures cliquées, des maillots, organiser les compétitions, les réparations… »
Expliquant son parcours, le président du Club Cycliste de Tamarin, qui a grandi et travaillé avec les enfants, admet avoir eu la chance d’étudier dans une école technique professionnelle et d’en sortir avec un diplôme professionnel au niveau national. « Après cela, j’ai commencé par encadrer les jeunes au centre technique de Saint-Sauveur. » Après quoi il créera sa propre école de formation technique, à Tamarin, avant d’être appelé à être responsable à Terre de Paix, à Albion.
Un choix qu’il ne regrette pas, dit-il. « J’ai beaucoup appris avec Julien Lourdes, jusqu’au jour où je me suis décidé à me marier. J’avais alors 24 ans. J’ai alors quitté Terre de Paix pour fonder ma petite famille. Mais qui dit famille, dit aussi obligations familiales. Alors j’ai fait le tour des compagnies pour me perfectionner dans mon métier, la menuiserie. Après quoi je suis devenu responsable d’un entrepôt dans le freeport, à Port-Louis », poursuit-il.
Jusqu’au jour où il sera frappé par le destin, en 2010, lors d’un grave accident de la route. « J’ai été amputé d’une jambe », dit-il. Une situation qu’il aura cependant du mal à accepter. « Vous pouvez dépendre du soutien et des conseils des médecins et des proches pour alléger votre souffrance, mais pour s’en sortir, il faut y mettre du sien », fait-il comprendre.
Après quatre à cinq mois de rééducation, Juanito Beguinot a alors reçu une prothèse. « Mo finn pli soufer ar bann ale-retour divan lakour ki letan mo ti fini fer aksidan. C’était comme une humiliation. La somme que j’ai obtenue en termes de dédommagement en cour de justice était ridicule. Ti zis pou pay laklinik. Il m’a fallu beaucoup de courage pour reprendre mes occupations habituelles », rajoute-t-il.
Cependant, perdre une jambe « n’est pas la fin du monde », admet-il. « Il y a des pays où des enfants meurent sous les bombes », dira-t-il. Aujourd’hui, impossible, à le voir, de savoir qu’il est unijambiste. « De toute façon, je n’ai pas honte. E mo dans mo sega kan bizin », lance-t-il dans un grand éclat de rire.
Désormais sans travail, il a alors décidé d’aider son village, dit-il. C’est ainsi qu’il sera devenu conseiller de village, poste qu’il occupe d’ailleurs depuis 2011. Mais cela ne lui suffit pas. Et en 2017, avec un groupe d’amis, il décide alors de monter un groupe de cyclistes sur route. « L’idée était d’éviter que les jeunes prennent un mauvais chemin, fassent de mauvais choix. Surtout lorsque l’on voit les ravages que fait la drogue chez les jeunes. Notre combat est alors devenu : oui au sport, mais non à la drogue. »
Ainsi donc est né le Club Cycliste de Tamarin. « Depuis, on est reconnu au niveau professionnel par la Fédération mauricienne de cyclisme pour l’encadrement des jeunes dans la région de Rivière-Noire. » Et même si les infrastructures laissent à désirer, note-t-il, « nous nous battons pour que ces jeunes aient un avenir dans ce monde où tout devient difficile. »
Juanito Beguinot a certes traversé des moments difficiles dans sa vie, mais il n’est pas insensible à la misère, dont il est témoin. « Avec la crise du Covid-19, la situation des familles précaires, déjà dramatique, s’est aggravée. Il y a des endroits à Maurice où les familles défavorisées ont vraiment besoin d’être soutenues », conclut-il.