Descendante chagossienne Nadia raconte le début de sa nouvelle vie en Angleterre

Il y a quelques mois, Nadia, descendante chagossienne, débarque à Heathrow avec dans sa valise des vêtements, un rice-cooker et un tempo pour commencer une nouvelle vie. Enceinte, cette mère célibataire est accompagnée de son fils, tous deux de nationalité britannique depuis un peu plus d’un an. Le temps de son installation, Nadia, qui a accouché, est prise en charge par l’État. Elle nous raconte le début de sa nouvelle vie dans le nord de Londres. 

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« J’arrive à un tournant de ma vie où je recommence tout à zéro », confie Nadia (nom modifié), 40 ans, avant de préciser : « Mais je ne regrette pas d’être en Angleterre. » Il y a quelques mois, si elle avait pu, elle serait rentrée à Maurice. Son moral, dit-elle, était au plus bas. Sa maison, sa famille, ses amis, son travail, sa routine lui manquaient. « Je pleurais, je voulais rentrer. Mo pa ti kone ki ti pe atann mwa », confie Nadia depuis sa chambre, dans le nord de Londres. À ses côtés, sa fille Jo-Ann, née il y a quelques mois. Son fils, 19 ans, rentré du collège, situé à une trentaine de minutes de leur résidence, dort. Il n’est que 18 heures, mais à Londres, c’est l’hiver et il fait déjà nuit. Et le jeune homme n’a pas grand-chose à faire lorsqu’il rentre du collège.

La vie de Nadia et de son fils a changé radicalement en peu de temps. Mais tout au long de sa vie, la Mauricienne a su faire face à la précarité et aux défis avec résilience et combativité. Alors, dit-elle, les premiers coups de blues sont passés. Il y a un prix à payer pour tout sacrifice et, aujourd’hui, Nadia n’a pas l’intention de baisser les bras. « J’avais pris la décision de venir en Angleterre pour l’avenir de mon fils. L’environnement où je vivais à Maurice s’est considérablement dégradé. La délinquance juvénile, la drogue synthétique et tout ce qui va avec sont en train de ronger des familles. Je suis une mère, et face à cette dégradation sociale dans ma région, j’ai fait le choix de tenter une autre vie et d’offrir plus d’opportunités à mon fils », confie Nadia. « Avoir un autre enfant ne faisait pas partie de mes projets. Mais avec la naissance de mon bébé, mes journées ont changé. Cela m’occupe, je ne songe même pas un instant à rentrer au pays… » dit-elle.

Dans sa valise, un « tempo »

Nadia et son fils ont atterri à Heathrow via Dubaï, un soir, il y a plusieurs mois. « Se enn ti group ki finn mont ansam isi. Nou pa santi nou tousel lerla », explique Nadia. Le premier contact, assure-t-elle, avec l’immigration est aussi froid que l’hiver anglais : « On nous a donné l’impression que nous sommes des citoyens de seconde zone. On nous regarde d’en haut. » Dans sa valise, des vêtements, « enn rice-cooker ek enn tempo (ndlr: marmite à pression) », dit-elle. Nadia ne peut s’empêcher de rire. « On m’avait recommandé de prendre des ustensiles qui pourraient me dépanner. C’est ce que j’ai fait, sans regrets. Mo tempo pe bien servi mwa. Mo’nn trouv enn plas kot pe vann tempo isi. Ou kone komie ? 76 Liv Sterling ! » raconte Nadia.

Cette dernière fait partie des descendants de Chagossiens dont l’installation en Angleterre a été facilitée par le groupe BIOT Citizens et dont le fondateur est Misley Mandarin, lequel milite farouchement pour le maintien des Chagos sous les Britanniques. Mais au fond, Nadia n’est engagée dans aucune cause. Pour elle, l’Angleterre est une porte ouverte sur une meilleure vie. Et lorsque le jour du départ de Maurice est arrivé, c’est un petit groupe qui a fait le voyage ensemble. Mais une fois arrivés sur le sol britannique et les procédures faites, le groupe est séparé. « On est dirigés vers un premier logement. Nous n’allons pas tous au même endroit. Les autorités britanniques ne nous envoient pas sur Crawley », avance Nadia. Crawley, dans le sud de Londres, abrite la plus grande communauté chagossienne du Royaume-Uni, avec plus de 3 000 personnes qui se sont installées dans la ville.

Maison partagée avec  des Irakiens, Bangladais…

« La maison dans laquelle je vis est composée de plusieurs chambres et des espaces communs. Ma chambre dispose d’une salle de bain et de toilettes. Ce qui est bien. Nous avons même une télé », dit Nadia. Dans cette maison, plusieurs nationalités se croisent, se saluent, mais ne se lient pas. « Il y a des Irakiens, Bangladais…des personnes seules, parfois en famille. Personne ne reste longtemps. C’est chacun pour soi », indique-t-elle.  Et de poursuivre : « Quand on arrive en Angleterre, on passe les premières semaines, voire premiers mois à faire des démarches administratives, s’enregistrer pour les aides. etc. Dans mon cas, j’a dû trouver un collège pour mon fils et ensuite m’inscrire à l’hôpital en prévision de mon accouchement. Donc, une fois qu’on m’a attribué la maison dans laquelle je vis actuellement, j’ai pu mieux organiser notre vie. » S’il y a quelques Mauriciens d’origine chagossienne dans sa nouvelle région, les rencontres et échanges ne sont pas réguliers. « Noël et le Nouvel An, je les ai passés dans notre chambre avec mes enfants ! C’était très dur… », concède Nadia, habituée aux grandes fêtes familiales à Maurice. « Dans quelque temps, je devrais avoir droit à un logement. Si j’ai bien compris, l’État a une politique d’aide au logement pour nous, qui dure deux ans. C’est le temps qu’on nous accorde pour nous intégrer économiquement avant qu’on trouve notre propre logement », explique-t-elle.

« Soulagée d’avoir accouché en Angleterre »

Même en étant citoyenne britannique, Nadia ne peut pas travailler. Pour cause, elle a un bébé à sa charge et bénéficie d’une allocation financière : le Universal Credit. « On m’a donné deux ans pour m’occuper de mon enfant. Quand Jo-Ann ira à la nurserie, je pourrai alors travailler », souligne Nadia. Cette dernière raconte avoir pris la décision de vivre son installation en Angleterre malgré sa grossesse. « On savait qu’on allait quitter Maurice, mais nous n’avions pas de date. Quand on a appris que le moment était arrivé, je n’ai pas hésité à partir, malgré ma grossesse », raconte-t-elle. « Je suis soulagée d’avoir accouché en Angleterre. Mon enfant est de facto Anglais et comme ça, je n’ai aucune démarche de nationalité à faire », confie Nadia, subjuguée par la prise en charge médicale et l’accompagnement postnatal dont elle bénéficie, comme n’importe quelle nouvelle mère britannique en besoin. « Le personnel médical a été extraordinaire et bienveillant envers moi », assure Nadia.

Durant la période prénatale, hormis ses rendez-vous, elle était aussi suivie de près grâce à une application. Pendant son hospitalisation, elle a reçu un kit d’effets personnels pour elle, aussi bien que pour son bébé. Depuis, elle reçoit la visite hebdomadaire d’une sage-femme qui lui est attitrée. « En étant seule, sa présence m’a été d’un grand secours. Au début, elle venait deux fois par semaine. Le bébé ayant grandi, elle vient une fois », dit Nadia. Sa situation lui donne aussi droit à des vêtements et des produits alimentaires gratuits pour son bébé. « Quand j’étais enceinte, c’est la sage-femme qui me ramenait mes cartons », souligne Nadia. Quant aux produits de nécessité, y compris la nourriture, Nadia a accès à une banque alimentaire.

« Sans regret »

Tandis que son fils a déjà ses repères dans la nouvelle ville et se déplace aisément en train, Nadia, elle, n’ose pas s’aventurer plus loin que son quartier. Mais elle sait qu’elle aura à déployer ses ailes. « Je voudrais prendre des cours, parfaire mon anglais et travailler. Quand j’allais au British Council à Maurice, dans le cadre de notre apprentissage de la langue anglaise, j’avais gagné en confiance. Mais ici, l’anglais est d’un autre niveau ! Je profite du temps que j’ai pour regarder la télé et m’habituer à la langue », explique Nadia. Si tout va bien, une de ses sœurs lui emboîtera le pas. Son père, âgé, né aux Chagos et détenteur de la nationalité anglaise, n’a pas voulu s’installer en Angleterre. « Quand je pense aux conditions des premières semaines, je crois qu’il n’aurait pas pu vivre cette situation-là. L’hiver ne m’a pas fait peur, malgré tout ce qu’on m’a dit, je ne souffre pas du froid. Mais pour mon père, cela aurait été rude », relate-t-elle.

« Mon fils a été catégorique. Il m’a dit qu’il ne rentrerait pas à Maurice », confie Nadia en riant. Et elle ? « Mo pou al an vakans… », répond-elle. Nadia s’est battue depuis son adolescence, lorsqu’elle a quitté le secondaire, pour vivre décemment, malgré la pauvreté. Avant de connaître le confort d’une maison en dur pourvue en eau courante, d’électricité, avec une cuisine et des toilettes, Nadia a vécu dans des logements en tôle précaires et a élevé seule son fils. Elle n’a jamais cessé de travailler pour subvenir aux besoins de celui-ci et l’envoyer à l’école. En mars 2022, quand la House of Commons étend la nationalité britannique également aux descendants de Chagossiens, Nadia commence à regarder en direction de Londres. Et maintenant qu’elle y est, « c’est sans regret », dit-elle.

Sabrina Quirin

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