Des chauffeurs d’autobus, au volant, sous l’emprise de la drogue : L’insouciance à son paroxysme !

Être chauffeur d’autobus, et plus encore de bus scolaires, impose une responsabilité particulière, compte tenu du nombre élevé de passagers voyageant quotidiennement à bord de ce type de transport. Sauf que certains conducteurs se sentent pousser des ailes, au point de prendre le volant sous l’emprise de stupéfiants ! La situation est préoccupante, si on se fie aux témoignages des voyageurs ayant découvert les pots aux roses ou aux statistiques liées à ce type d’infraction, depuis la promulgation de la Road Traffic (Amendment) Act 2019. Des chiffres qui constituent probablement la partie émergée de l’iceberg. En 2023, 35 chauffeurs d’autobus ont été verbalisés pour conduite sous l’influence de substances illicites. Le bilan est passé à 39 en 2024. Une dizaine de cas ont déjà été recensées depuis le 1e janvier 2025.

- Publicité -

Un grutier, sous l’emprise de la drogue synthétique, manipulant sans précaution des tonnes de béton au-dessus de la tête de ses collègues de chantier. Un chef d’entreprise  prenant des positions délirantes après avoir sniffé un rail de coke. Des chauffeurs de taxis ou d’autobus à l’agonie. La drogue n’épargne plus aucun secteur d’activité, aucune couche sociale. On n’est plus dans la dichotomie entre le cadre bancaire d’un côté et, de l’autre, les toxicomanes à la rue. La question de la sécurité sur les lieux de travail est évidemment posée. Cela vaut pour le consommateur invétéré, bien sûr, qui s’éteint à petit feu, mais aussi pour ceux qu’il expose. On a choisi de gloser sur les dérives qui contaminent bon nombre de conducteurs d’autobus, plongés dans l’enfer de l’addiction, mais qui ont quand même fait le choix éhonté de prendre le volant sous l’influence de stupéfiants.

Il n’est pas toujours facile d’identifier un individu sous l’emprise de substance illicite car les différents changements qui peuvent s’opérer en lui ne sont pas forcément tangibles. Sauf que certains signes sont révélateurs et ne laissent guère de place au doute quant à l’origine du mal. Des vidéos, postées sur les réseaux sociaux récemment, donnent froid dans le dos. Quitte à se frotter parfois les yeux, on prend la mesure de la gravité de la situation. Des conducteurs, avachis, s’apprêtant visiblement à prendre le volant. Claquement involontaire des dents, pupilles dilatées avec le regard hagard, ils semblaient pris de crises convulsives après avoir consommé de la drogue synthétique. À quel niveau d’insouciance peut-on sombrer pour ainsi  mettre en péril la vie de centaines de citoyens croyant voyager en toute quiétude ?

Les bus opérant à Moka et Flacq dans le viseur
Face à ce fléau, la police a changé son fusil d’épaule. Les contrôles de routine ainsi que les barrages la nuit et aux petites heures orchestrés par les officiers de différentes divisions, formés à l’usage du kit, à ses aspects juridiques et administratifs, battent leur plein. Les autobus opérant dans les régions rurales sont dans le viseur des autorités. Un important dispositif des forces de l’ordre est  mobilisé dans les districts de Moka et Flacq où les plaintes d’usagers se sont multipliées, ces derniers mois. La plupart des chauffeurs interceptés travaillent pour des opérateurs de bus individuels.  Suite à une récente vague de plaintes concernant des chauffeurs de bus privés soupçonnés de conduite sous l’influence de drogues, la police avait mené une opération aux arrêts de bus le 31 janvier dans plusieurs endroits de l’île. Deux chauffeurs de bus ont été arrêtés pour conduite sous l’influence de drogues. La première arrestation a eu lieu à Camp de Masque, où un conducteur de 60 ans a été arrêté par la police de la région. Le deuxième conducteur, âgé de 27 ans, a été arrêté le même jour à la Gare de Poudre d’Or. Des analyses salivaires ont révélé que les deux conducteurs étaient positifs à la cocaïne et à d’autres opiacés. Ils ont été arrêtés et conduits au poste de police pour une enquête plus approfondie.
Le 16 février, un chauffeur d’autobus qui transportait 40 passagers a été interpellé par des policiers à Providence, hier matin. L’autobus se dirigeait vers Flacq en provenance de Quartier Militaire. Lors d’un contrôle routier, ces derniers ont soumis ledit conducteur, âgé de 38 ans, à un drug test, qui s’est révélé positif… à l’opium !  Le propriétaire d’autobus en question a été appelé et a dû faire le déplacement sur place dans le cadre de cette interpellation.

Sans permis de conduire en plus
Encore heureux que, dans cette léthargie qui prévaut, les caméras de Safe City, qui ont coûté la bagatelle de Rs 19 milliards au contribuable, sont utilisées à bon escient sur les axes fréquentés par les hors-la-loi. C’était le 9 février. Après avoir reçu un appel de la part d’un individu les informant qu’un chauffeur de bus individuel opérant à Moka conduisait en état d’ivresse – ou paraissait sous l’influence de produits illicites  –, le bus zigzaguant sur la route, la police, mis au parfum de l’immatriculation du dudit véhicule, a utilisé les caméras de Safe city pour l’identifier. Le chauffeur a finalement été repéré à Camp de Masque. Certes, les tests de drogue et d’alcoolémie se sont révélés négatifs, mais voyant que le suspect paraissait louche, les policiers ont procédé à l’évaluation de l’aptitude à la conduite et il a échoué. L’individu de 29 ans a alors été transporté à l’hôpital de SAJ pour une prise de sang et les résultats pour le test de drogue se sont révélés positifs. Le conducteur, qui transportait à son bord environ 40 passagers au moment des faits, a ensuite été conduit au poste de police et les limiers ont découvert qu’il ne possédait pas de permis de conduire !  Ils ont aussi découvert qu’un warrant of arrest avait déjà été émis contre lui par la Cour de district de Flacq. L’enquête se poursuit.

Les membres des forces font également des contrôles réguliers dans les villages desservis par les lignes Saint-Hubert/Curepipe (Route 87) et Saint-Hubert/Mahébourg (Route 11), où un conducteur d’autobus était  pointé du doigt par les habitants lui imputant de conduire fréquemment sous l’influence de stupéfiants. Pris en flagrant délit, le 10 février, le principal concerné n’en était pas à son coup d’essai, ayant déjà eu des démêlés avec la justice dans le passé  pour le même délit. Le conseiller de village, Nitin Jeeha souligne qu’ « on savait qu’il se droguait et qu’il avait été inquiété il y a deux ans. Il était de mon devoir d’agir et de rapporter le cas aux autorités. J’ai même fait l’objet de menaces pour avoir dénoncé ce cas. »

Les unités de police devraient aussi faire un détour par la Résidence La Cure où des riverains montent au créneau pour dénoncer le fait que « certains chauffeurs opérant pour des autobus de la route 182 ne sont souvent pas dans leurs états normaux. »

Tout sommairement résumé pour rappeler un fait irréfutable. Rien ne justifie quelque mansuétude, que ce soit lorsque la dépendance établie est de longue date, ni le profond mal-être. Un tour de vis radical s’impose et le système judiciaire se doit de prononcer  des peines à la hauteur de la gravité des faits causés par de telles prises de risques. La police invite le public à dénoncer tout conducteur qui semble être sous l’influence d’alcool ou de drogue en appelant le 148.

Ce qu’il faut savoir
La loi liée à la conduite sous l’influence de drogue, introduite sous la Road Traffic (Amendment) Act 2019, est répartie en deux catégories. Il y a celles qui font l’objet d’une tolérance zéro, contraignant les automobilistes à avoir un taux de 0 ng/mL de drogue dans le sang. Outre le cannabis, l’héroïne, la cocaïne, l’ecstasy, le LSD et les drogues synthétiques sont classés dans cette catégorie. Si les officiers de police ont des doutes que des chauffeurs sont sous l’influence de la drogue, ils les soumettront à des tests de balance (facultés) ou de salive et d’urine si leurs soupçons s’avèrent probants, complétés s’il est positif par une prise de sang à l’hôpital, qui vaudra aux contrevenants d’être placés en cellule de dégrisement. Les contrevenants risquent une amende ne dépassant pas Rs 75,000 et une peine de prison ne dépassant pas 8 ans, s’ils sont pris en flagrant délit.

Il est essentiel de faire la distinction entre les substances médicinales ayant des propriétés thérapeutiques et celles qui n’en ont pas, et ce, indépendamment de leur dangerosité. Prenons, par exemple, un opioïde comme la morphine : celle-ci agit directement sur le cerveau et son action à ce niveau peut diminuer les capacités à conduire une automobile ou tout autre véhicule. D’où la définition d’une liste de médicaments psychotropes qui ont un statut à part concernant la loi. Les chauffeurs auront une limite de dose (milligramme par litre [mg/L] à ne pas dépasser. Dans cette catégorie, outre la morphine, on retrouve la méthadone qui est utilisée comme drogue de substitution dans le traitement de certains toxicomanes, le clonazepam, le flunitrazepam, le lorazepam, l’oxazepam et le diazepam

Lutte contre la drogue : Robert Hungley en première ligne
Le vice-Président de la République, Robert Hungley intensifie son engagement contre la drogue en visitant le Centre d’Accueil de Terre-Rouge (CATR), l’un des plus anciens centres de réhabilitation de l’île. Après sa visite au centre La Chrysalide, en décembre dernier, il poursuit sa mobilisation en rencontrant les acteurs de terrain et en appelant à une mobilisation nationale.

« C’est une urgence nationale », martèle-t-il, soulignant que toutes les couches de la société sont touchées et qu’il est impératif que chacun s’implique. Conscient des difficultés rencontrées par les centres de réhabilitation et les travailleurs sociaux, il admet qu’il n’existe pas de solution miracle, mais insiste sur la nécessité d’agir collectivement.

En quête d’écoute
Son appel trouve un écho chez Jean Bruneau, président de l’Action for Health and Prevention, qui compare le CATR à une porte toujours ouverte, comme le snack Gool, accessible 24/7 pour tous les Mauriciens. Il rappelle que les toxicomanes sont avant tout des malades, en quête d’écoute et d’espoir.

Judex Deruisseau, cofondateur du CATR, a retracé l’histoire du centre, démarré dans un garage il y a 40 ans, à une époque où aucune structure nationale n’existait pour lutter contre la drogue. Aujourd’hui, la situation est bien plus alarmante avec des enfants de 10 à 11 ans dépendants des drogues synthétiques.

Les responsables du CATR ont interpellé le vice-Président sur l’urgence d’un soutien accru de l’État et de la société civile. « Nos bénéficiaires veulent s’en sortir, mais seuls, nous ne pouvons pas grand-chose. »

Face à ce fléau qui gangrène l’île, Robert Hungley réaffirme son engagement, promettant d’œuvrer pour un renforcement des ressources et de la sensibilisation. La lutte est loin d’être gagnée, mais elle ne pourra être menée sans un sursaut collectif.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -