Démantèlement des structures du Ruisseau du Pouce : Servir une mise en demeure ou amender la loi ?

Le vice-Premier ministre et ministre des Collectivités locales et de la Gestion des catastrophes et des risques, Anwar Husnoo, a levé le voile sur la nébuleuse affaire des structures en béton devant être démolies dans la capitale, au motif qu’elles demeurent un gros obstacle à l’écoulement de l’eau. Le bâtiment KFC et les parkings de Rogers et d’Air Mauritius sont cités dans les rapports publiés respectivement par l’ex-juge Bushan Domah et la Senior Magistrate Ida Dookhy-Rambarun en 2008 et 2015. À une question du député Adil Ameer Meea au Parlement, Anwar Husnoo a fait ressortir que ces constructions ont été autorisées par des lois (Act of Parliament) en 1992 et que la loi devra être amendée ou qu’une mise en demeure devra être servie aux sociétés concernées pour qu’elles puissent être démantelées. Adil Ameer Meea s’est emporté face à la lenteur des procédures.

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On commence à y voir un peu plus clair sur la pierre d’achoppement qui freine les velléités de la mairie à contraindre les mastodontes KFC, Rogers & Co Ltd et Air Mauritius de procéder à la démolition de leurs structures en béton surplombant le Ruisseau du Pouce, une des principales voies d’évacuation d’eau vers la mer dans la Cité de Port-Louis et qui a été aménagée depuis le début de la colonie. Le lord-maire Mamode Isoop Nujurally avait pourtant été interrogé à maintes reprises à ce sujet par la presse et les marchands de la foire du Ruisseau qui refusent d’évacuer le site en évoquant notamment un système de deux poids deux mesures. Mais ce dernier n’a jamais pu fournir une explication plausible aux principaux concernés, faute de n’avoir pu accorder ses violons avec le gouvernement central. Il aura donc fallu qu’Adil Ameer Meea cuisine le ministre Anwar Husnoo pour mettre fin à de longs mois de spéculations qui a débouché sur un branle-bas de combat du côté de la foire, où une cinquantaine d’ex-marchands ambulants opèrent depuis 2006.

« Pour un avis juridique »
« Il faudra amender la loi pour démolir les structures en béton », a fait valoir Anwar Husnoo, qui a ajouté avoir « transmis le dossier au ministère des Terres et du Logement, qui en a fait de même en le référant à l’Attorney General pour un avis juridique. » Revenant à la charge avec une question supplémentaire, Adil Ameer Meea a appris de la bouche du ministre que « l’Attorney General a recommandé l’option de servir une mise en demeure à MK, Rogers et KFC plutôt qu’un amendement de la loi. » Le député mauve s’est emporté après la confirmation selon laquelle la mise en demeure n’avait toujours pas été servie aux trois compagnies. « Dix ans après l’inondation meurtrière de 2013, on en est encore là ! C’est du rétropédalage », a martelé Adil Ameer Meea.

Face à l’action logée en Cour suprême par les forains du Ruisseau du Pouce, qui doit être appelée le 17 juin, les autorités ont tout intérêt à donner un coup d’accélérateur aux procédures légales dans l’optique de suivre à la lettre les recommandations déposées le 29 décembre 2015 par la Senior Magistrate Ida Dookhy-Rambarun, à qui il incombait la tâche de présider l’enquête judiciaire sur les causes ayant conduit aux inondations meurtrières survenues à Port-Louis en 2013. Un rapport dans lequel elle a non seulement pointé du doigt, entre autres causes des inondations, la structure en béton couvrant le Ruisseau du Pouce et le Canal du Pouce, mais également les colonnes la soutenant.26 mars 2008 : les 4 morts par noyade…

On a tendance à l’oublier, mais avant l’épisode du 30 mars 2013, où 11 Mauriciens périrent emportés par les eaux déchaînées, un autre événement tragique, survenu le 26 mars 2008 dans le sillage de la tempête tropicale Lola et des pluies torrentielles, avait ébranlé le pays, principalement dans la région nord. Les rivières en crue ont été à l’origine de la mort de quatre personnes par noyade. Un Fact-Finding Committee (FFC), présidé par le juge Bushan Domah, assisté de Ranjitrai Vaghjee et Jacques Rosalie, avait été mis sur pied pour faire la lumière sur ce triste épisode. Une série de recommandations… dont la destruction des structures érigées sur le Ruisseau du Pouce, avaient été émises.

Des rivières sortant de leur lit, des maisons et écoles inondées, des voitures endommagées ainsi que des ponts infranchissables, tel était le bilan de ce mercredi noir. En 48h, une très forte pluviométrie de 564,8 mm fut enregistrée à Grande Providence, 476,3 mm à Fuel, mais aussi 459 mm à Bel-Étang et 453,3mm à Mont Loisir. Puis survint le drame qui plongea le pays dans la consternation. À Mon-Goût, petit village non loin de Pamplemousses, où la pluie fait rage, Laura Paul, 14 ans, qui fréquentait le collège Merton de Pamplemousses, rentrait chez elle après les heures de classe, lorsqu’elle fut emportée par les eaux de la rivière Citron. Le bilan des victimes s’est alourdi plus tard.
Des critiques ont fusé de toutes parts sur de mauvaises prévisions du service de la météorologie et notamment l’absence d’alerte de pluies torrentielles ce jour-là, et de la décision du ministère de l’Éducation de maintenir les établissements scolaires ouverts malgré le mauvais temps. Dans une tentative de désamorcer la polémique, le gouvernement d’alors désigne le juge Bushan Domah comme président du comité devant faire des recommandations sur les contours de ce cataclysme. Parmi les recommandations, outre le démantèlement de structures constituant des barrières à l’écoulement des eaux, figurent la construction d’un réseau de drains national pour canaliser les eaux dans des bassins et autres lacs au lieu qu’elles finissent dans l’océan, la préparation d’une Flood Risk Map qui répertorie constamment les endroits à risque et que le service météorologique soit mieux équipé.

16 ans plus tard, on note que bon nombre de ces directives n’ont toujours pas été appliquées à la lettre, avec les conséquences qu’on connaît en termes de perte de vie humaines. À l’occasion du 11e anniversaire de la tragique disparition de 11 personnes à Port-Louis, lors des inondations du 30 mars 2013, une cérémonie de commémoration a été tenue, à côté de Rogers House, devant les familles des victimes et d’un parterre de politiciens. À l’avenir, les autorités devraient songer à rendre hommage également à tous ces Mauriciens qui ont péri depuis 2008 dans circonstances qui auraient pu être évitées.

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