Jacques Rivet, président directeur général du Mauricien Ltée, fondateur de Week-End et de Week-End Scope, et directeur de Turf Magazine, s’est éteint hier paisiblement, en début de soirée, avec ses proches à son chevet. Depuis trois ans maintenant, il se battait contre un cancer qui semblait maîtrisé après un long séjour en France chez l’une de ses filles. Mais ces derniers temps, la maladie s’est réveillée, s’est étendue et lui a finalement pris la vie. C’est avec un courage égal à lui-même et une lucidité jusqu’aux derniers instants qu’il a quitté ce monde pour aller rejoindre trois de ses sœurs, décédées pendant la pandémie – mais pas du Covid –, Parola, Lilette et Jacqueline. Il rejoint aussi deux autres sœurs, Geneviève, tuée dans un accident en France il y a longtemps, et Michèle, décédée il y a quelques années. Il laisse derrière lui son demi-frère, Guy, et ses deux dernières sœurs, Nicole et Marie Claude, qui vivent, elles, en Australie.
Jacques Rivet revendiquait pour ses 60 ans à la tête du Mauricien Ltd, dans une des rares interviews accordées à la presse, d’être reconnu comme « un simple artisan de presse ». N’en déplaise à ce personnage haut en couleur, doté d’une générosité et d’une modestie hors pair, il laissera le souvenir d’être celui qui a dirigé son entreprise pendant plus de 64 ans avec une maestria et une vision qui ne seront jamais égalées dans le domaine de la presse locale. Il a toujours fait preuve d’un grand dévouement au développement du groupe, acquis par son père, Raoul Rivet, en 1927. Managing Director du groupe Le Mauricien, fondateur du Week-End et de Scope, il a aussi été à la direction de Turf Magazine. D’une grande humanité envers son personnel, Jacques Rivet était connu pour son professionnalisme et son amour profond pour le journalisme, la photographie et l’imprimerie, mais aussi pour sa plume acerbe teintée d’humour.
Son parcours scolaire a débuté au primaire à l’école Becherelle, avant de rejoindre le Collège du St-Esprit au début des années 50, où les pères lui ont inculqué les valeurs de l’humanisme, de la rigueur et de la discipline. Il a aussi été à cette époque un sportif émérite en tant que capitaine de l’équipe de football du collège du St-Esprit, joueur du Stade olympique en première division du championnat local. Il a touché un peu à toutes les disciplines, comme le volley-ball, le saut en hauteur ou encore le tennis de table.
Vie trépidante
Un peu plus tard, dans sa vie trépidante de journaliste, il retrouva le calme en jouant au billard ou au snooker en compétition, avant de développer une véritable passion pour le golf, qu’il partageait avec ses amis des Vagabonds, jusqu’à ce que cette vilaine maladie ne vienne y mettre un terme.
Dans le sillage de la mort de son père, Raoul Rivet, qui avait lui repris les rênes du Mauricien en 1922, lorsque Eugène Henry, qui avait fondé le quotidien en 1908, décida de se retirer, Jacques Rivet n’avait pas le choix. Il avait décidé à ce moment-là de délaisser ses études au collège du St-Esprit, à Quatre-Bornes, pour intégrer les bureaux au Mauricien, rue St-Georges, le 11 décembre 1957.
À la mort de Raoul Rivet, Lydie Rivet, son épouse, faisait office de directeur du Mauricien Ltée. Mais encouragé par sa mère Lydie, Jacques Rivet fut rapidement mis sur les rails de l’administration, mais se fit également inculquer les rudiments des ventes et des finances. Jacques Rivet montra très tôt des dispositions pour tout ce qui touche à la technique de la presse. Dès 1958, il créa le département de la photographie et la photogravure, et la clicherie dans les locaux du Mauricien. Au fur et à mesure, les bureaux sont devenus les locaux d’une véritable entreprise de presse rue St -Georges, qu’il ne quittera plus, jusqu’à il y a quelques mois, lorsque ses déplacements pour Port-Louis se faisaient de plus en plus rares et ses visites à la clinique de plus en plus fréquentes.
Relooking
Cela ne surprendra personne qu’il consacre son premier article en tant que journaliste à l’actualité sportive, en particulier au championnat de première division, pour lequel il recommanda la formule des matches aller-retour. Il contribua aussi au relooking des pages sportives pour faire une saine compétition avec la concurrence, qui avait pris une avance à ce chapitre. Jacques Rivet a aussi été un journaliste de nouvelles et ses visites aux Casernes centrales étaient fréquentes. Avant que ce haut lieu ne devienne l’antre ce qu’il appela « l’inqualifiable censure gouvernementale », contre laquelle il mena un combat de longue haleine. Au cours de sa longue carrière, il a animé de nombreux papiers d’opinion, où il n’hésitait pas à dire tout haut ce que les autres pensaient tout bas.
Jacques Rivet fut aussi le père de la modernisation au sein du Mauricien Ltd. Il doit aussi cette avancée à son inséparable collaborateur et ami Gaëtan Montenot. Pendant 45 ans. Les fameuses lettres de plomb, le montage et les articles rédigés à la main allaient petit à petit laisser la place au monotype, qui permettait au groupe de fabriquer lui-même ses lettres. Ce qui était d’un apport conséquent sur le plan de la technique de pré-impression.
Procédé moderne
Un peu plus tard, en 1978, Jacques Rivet introduit dans la presse mauricienne l’impression offset, un procédé moderne qui allait améliorer la qualité d’impression des journaux. Une évolution technologique marquante à l’époque. Cette modernisation permanente de l’entreprise, Jacques Rivet l’a poursuivie grâce à ses participations fréquentes au salon de l’imprimerie et de Packaging de Drupa, à Dusseldorf. Récemment, dans les années 2010, toujours sous la férule de Jacques Rivet, Le Mauricien avait fait l’acquisition d’une presse ultramoderne et compacte de la marque Man Roland, un bijou technologique qui a boosté la qualité et la pagination des journaux.
L’un des moments les plus pénibles de sa carrière professionnelle, parsemée de hauts et de bas, normaux dans ce métier, fut sans aucun doute ce qu’il appela le dimanche noir du 8 janvier 1978. Il a raconté cet épisode traumatisant dans Le Mauricien : « Mes proches et moi étions en train de célébrer à Trou-aux-Biches le passage officiel à l’offset le lendemain. La nouvelle des locaux du Mauricien Ltée en feu à la mi-journée fut un véritable choc. Malgré tout, à mon arrivée à la rue St-Georges, j’enfilai un casque de pompier et, contre toute mise en garde de sécurité, je montais à l’étage pour indiquer comment faire pour que les équipements ultramodernes tout fraîchement installés ne soient pas embrasés. On avait néanmoins perdu nos archives, tout le matériel de photogravure et de photographie, nos bureaux administratifs, nos salles de rédaction et quelques équipements. »
Jacques Rivet refusa à ce moment-là l’aide de bienfaiteurs qui avaient été pendant plusieurs années des « boycotteurs publicitaires », car ce qui lui tenait le plus à cœur, c’était de conserver à tout prix l’indépendance de son groupe de presse, qu’il a façonné des années durant contre une adversité parfois angoissante.
L’une des plus grandes réussites de Jacques Rivet, c’est lorsqu’il fonda Week-End, en 1966. Cet hebdomadaire devint rapidement le journal le plus vendu de l’île, une position qu’il occupe toujours ces jours-ci. Son plus fort tirage, sans doute le plus important de toute la presse mauricienne, était de près de 100 000 copies au lendemain du cyclone Hollanda. Un chiffre inatteignable aujourd’hui avec le développement de l’Internet et les réseaux sociaux qui, d’après Jacques Rivet, ont contribué à un véritable capharnaüm de la presse mauricienne. S’il se réjouissait que certains titres, dont les siens, conservent une ligne éditoriale, il craignait que la presse traditionnelle ne puisse rebondir, comme ça a été le cas après l’avènement de la radio et la télévision, etc. Ce qu’il regrettait par-dessus tout ces derniers temps, c’est le manque de dossiers fouillés et d’articles de presse relevés.
Très proche de ses employés
Le président-directeur-général du Mauricien était de tout temps très proche de ses employés. Il a en toute occasion fait preuve d’humanisme et s’est toujours montré généreux à leur égard. Outre d’avoir pendant un temps créé un espace loisirs, des compétitions sportives internes, il a aussi mis sur pied une cantine subventionnée. À titre personnel, il a aussi aidé de nombreuses personnes dans la détresse. Mais il n’a pas toujours eu un retour à la hauteur de sa confiance de quelques rares personnages, dont certains l’ont carrément trahi pour aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs. Ils se reconnaîtront. Mais dans leur grande majorité, ceux qui sont toujours là et d’autres qui ne sont plus lui vouent le respect et l’admiration qu’il mérite. Merci à eux.
Jacques Rivet a été un père et un mari généreux et aimant. Il a toujours été soucieux du bien-être de sa famille et de son entourage. En retour, il a le profond amour des siens, qui ont su faire contre mauvaise fortune bon cœur en faisant preuve d’une grande compréhension des spécificités de métier d’homme de presse, en particulier de longues heures de travail, donc d’absence, surtout pendant des périodes difficiles, comme les cyclones ou les jours fériés de fin d’année, etc…
Jacques Rivet a été un chef d’entreprise visionnaire et dévoué, et il restera pour longtemps encore le pilier de la presse mauricienne. Il sera pour toujours notre source d’inspiration et nous lui disons merci d’avoir pu faire un bout de chemin avec lui. Qu’il repose en paix et veille sur sa famille et l’entreprise.
À Jacqueline, son épouse, Stéphanie, Sarah, Melissa et Tatiana, ses filles, et Jean Philippe, Le Mauricien Ltd présente ses plus sincères condoléances.