La communauté chinoise s’apprête mardi prochain à célébrer le Nouvel An lunaire et donc à entrer dans l’année du Tigre. Un moment habituel de fête… perturbé cette année par l’épidémie de Covid-19 et les restrictions sanitaires. S’il faudra dès lors s’adapter au contexte et faire avec les restrictions imposées par le gouvernement, les familles chinoises feront montre de discipline en se réunissant qu’en petit comité. Une fête a minima, qui contraste avec l’habituel Nouvel An chinois. Certaines traditions seront tout de même respectées…
S’il est d’ordinaire synonyme de grandes festivités et de retrouvailles familiales, le Nouvel An lunaire sera célébré plus sobrement ce mardi en raison de la pandémie, explique Charles Ng, un des doyens de la communauté. « Nous serons dans le respect du protocole », dit-il. D’autant que les festivités publiques ont été annulées du fait des mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus. La communauté chinoise célébrera donc dans les temples, sans public et de manière très cadrée, et en famille ce passage à la nouvelle année. « Malgré les interdictions, certaines traditions seront et doivent être respectées », dit le directeur d’Atom Travel.
Cela fait des décennies que sa famille perpétue les traditions acquises auprès des aînés, dont auprès de sa mère, originaire de Canton, et qui, dit-il, ont leur importance pour démarrer la nouvelle année. « Le Nouvel An est une grande fête, emplie de traditions, qui, malheureusement, se perdent de nos jours, les jeunes préférant la modernité. Mais de très nombreuses familles mauriciennes perpétuent les traditions qui apportent leur dose de positivité pour la nouvelle année », dit Charles Ng.
Ainsi, la veille du Nouvel An, la famille Ng se rendra à la pagode pour rendre hommage aux ancêtres. Une coutume importante pour remercier les défunts de leur bienveillance durant l’année écoulée et pour illustrer l’importance qu’ils ont pour toute la famille, malgré leur absence. « Généralement, nous allons en famille rendre hommage aux ancêtres qui veillent sur nous », dit Charles Ng. Mais cette année, en raison du contexte sanitaire fragile, sans doute ce rituel sera-t-il différemment observé. « Pour plus de prudence, nous rendrons hommage aux ancêtres à la maison », dit-il. Après ce rituel débuteront alors les festivités pour la fête du Printemps qui commencent avec la visite des fils aux parents. « Dans les familles chinoises, il est coutumier qu’en ce jour, les fils reviennent à la maison. Nous dînons alors en famille en partageant un repas copieux », explique ce doyen de la communauté chinoise.
Retrouvailles
Ainsi, avec sa femme Frances, il réunira ses enfants et petits-enfants autour d’eux pour dîner. Le temps de partager non seulement de la bonne nourriture — signe d’un souhait pour qu’il ne manque pas de quoi manger pour la famille durant toute l’année —, mais aussi un moment convivial, en se remémorant de bons moments de l’année, mais aussi d’autres temps en attendant le passage à la nouvelle année. Moment où, généralement, — après le dîner en famille, les Ng se retrouvent au club Hua Lien pour continuer les festivités avec d’autres proches et amis au pas de danses et de chants joyeux, mais sur lesquels il faudra faire l’impasse cette année. « Habituellement, nous rencontrons tous nos amis lors du réveillon organisé par les sociétés. On se retrouve à faire la fête dans des salles combles. Jeunes et moins jeunes sont tous parés de leurs plus beaux habits pour festoyer. Mais en raison des restrictions, nous ne pourrons nous réunir. Nous allons donc rester à la maison en chérissant ces moments précieux avec la famille », dit Charles Ng.
Si les traditions seront quelque peu bousculées, certaines seront tout de même respectées, dit-il, évoquant les pétards qui marqueront le début du Nouvel An lunaire. « Faire éclater les pétards est important pour la communauté, car selon les croyances, cela repousse les «mauvais airs». Et ne surtout pas balayer le tapis rouge laissé par les pétarades, autrement ce serait balayer le bonheur de la nouvelle année ». C’est pourquoi d’ailleurs, durant toute la nuit du réveillon, les lumières des demeures des familles chinoises resteront allumées en guise « d’éclairage » pour les jours à venir, dit Charles Ng.
Les traditions se poursuivent également le jour de l’an, ajoute le doyen, faisant ressortir que les familles « font le tour des pagodes » pour demander grâce. « Chaque famille se rend à différentes pagodes autour de l’île pour démarrer la nouvelle année sous de bons auspices », raconte Charles Ng, qui regrette que cette année, « ce ne sera pas pareil » du fait des restrictions sanitaires. « Il y a un protocole à suivre comprenant une dizaine de personnes à la fois. Donc, ce sera différent des autres années », dit-il.
Un premier jour de l’an qui sera aussi marqué par le repas familial, cette fois avec toute la famille. « Si la veille les fils reviennent à la maison, le jour de l’an c’est tout le monde qui se réunit pour partager de bons moments », raconte Charles Ng. Si la tradition veut que pour le premier jour de l’année, les convives partagent un menu végétarien.
« Aujourd’hui, cette tradition se perd », dit le doyen, confiant que de nombreuses familles privilégient simplement le fait d’être réunies, sans se stresser sur le menu. La journée sera des plus conviviale, avec sans doute d’autres visites des proches.
Préserver la santé
« Toutefois, dans le contexte, nous visiterons la famille très proche. Cela évite de propager ou de contracter les maladies. C’est important de respecter les mesures sanitaires et de ne pas se mettre ou mettre les autres en danger », dit Charles Ng. Comme pour toute la communauté chinoise, les festivités chez les Ng dureront quinze jours jusqu’à la fête des Lanternes. Des jours pendant lesqueles les réunions familiales seront au programme. Surtout que cette année, plusieurs familles qui ont pour tradition de prendre quelques jours de repos à l’hôtel préfèrent, pour plus de sécurité, rester chez elles et éviter les grands rassemblements. S’il est triste que les événements ne permettent pas de célébrer la fête du Printemps en grande pompe, Charles Ng estime que ce sacrifice, le temps d’une fête, est important. « Les fêtes, nous en aurons beaucoup. Mais la santé, nous devons la préserver. Pour nos proches et pour nos compatriotes », dit-il, souhaitant, pour le Nouvel An lunaire, que l’année du Tigre, signifiant le travail dur, l’effort et la persévérance, augurera un avenir meilleur pour le monde qui pâtit avec le Covid. « Je souhaite que tout le monde retrouve la paix et qu’on retourne très vite à la normale », dit le directeur d’Atom Travel.
Ce que confirme Lucy Chung. Issue d’une fratrie de 11 enfants, cette habitante de Baie-du-Tombeau dont la famille tient un commerce à China Town se prépare à célébrer le Nouvel An en famille, comme d’habitude. « Cependant, ce ne sera pas la même chose que les années précédentes », dit-elle. En cause : le Covid et les restrictions. N’empêche, la famille Chung et Lam se réuniront selon la tradition, mais dans le respect des mesures sanitaires car, insiste Lucy, au cœur du Nouvel An lunaire : le moment de partage familial. D’ailleurs, depuis deux semaines, ses sœurs et frères et les enfants se sont attelés aux tâches pour accueillir la nouvelle année dans la tradition.
Hommage aux ancêtres
Les préparatifs pour cette belle fête ont démarré avec le nettoyage du domicile et ensuite avec la confection des gâteaux traditionnels qui seront partagés avec les proches, les amis. « Les friandises comme les «gato lasir», «gato zinzli», «sipek», «gato kravat» et «gato krab» … sont offerts aux proches et connaissances. Le but est d’accentuer l’esprit de partage et d’amitié », explique Lucy aux côtés de son neveu Christopher Lam, gérant d’une boutique de décoration, Swatow, au sein de China Town. C’est ainsi en famille que les friandises, mais aussi d’autres aliments, comme les saucisses chinoises, ont été préparées. « Nous avons tous mis la main à la pâte. C’était une occasion aussi de se retrouver en famille pour préparer la grande fête », disent-ils.
Avant de clore l’année écoulée, les familles Chung et Lam rendront elles aussi hommage à leurs ancêtres. « C’est une tradition que j’observe depuis que j’était enfant. Elle vient de ma grand-mère et de ma mère, et je la transmets à mes enfants », dit Lucy Chung. Il est important de remercier les ancêtres et de demander leur protection la veille du Nouvel An, dit-elle. En début de soirée, place à la grande réunion familiale autour d’un dîner. « Ce sont généralement, comme le veut la tradition, les fils qui vont rendre visite aux parents. Mais mon frère aîné étant décédé, c’est ma belle-soeur qui recevra tout le monde », explique Lucy, faisant ressortir que ces retrouvailles sont importantes, car la famille est capitale dans la culture chinoise. « Pour l’occasion, ce sera une profusion de plats copieux », poursuit le neveu de Lucy, Christopher, dont la mère sera l’hôte de la famille le soir du réveillon.
Offrandes, partage de gâteaux, menus festifs et grosses pétarades accueilleront cette année du Tigre. Le repas de la veille du Nouvel An est important, dit-il, révélant que le menu copieux et préparé avec le plus grand soin sera composé notamment de poulet, de porc, des fruits de mer, des champignons, du passion, et des boulettes… « Le repas est copieux pour illustrer un bon début d’année que nous souhaitons aussi bonne que le premier jour de l’an. Aussi, c’est important d’avoir des aliments en forme de cercle à table. Le cercle est significatif pour les Chinois », précise Lucy. En effet, il est aussi de coutume de réunir petits et grands autour d’une table ronde, qui est synonyme d’unité. Chez les Chung et Lam, C’est quatre générations qui devraient être réunies à table, avec le petit dernier, David, sept mois, et la plus âgée, Ah Chin Wong, 88 ans, la grande sœur de Lucy. La famille devra s’organiser pour réunir tout le monde, dans le respect du protocole sanitaire.
Karaoké pour remplacer
les soirées dansantes
Ce dîner démarrera vers 18h, la veille du Nouvel An pour se terminer cette année aux petites heures. « Les autres années après le dîner, nous allons danser. Les plus âgés comme les jeunes dans des fêtes organisées par les sociétés ou en boîte de nuit pour les jeunes. Mais cette année, ce ne sera pas le cas. Nous resterons à causer à la maison. Et sans doute à faire un karaoké », dit Christopher Lam.
Ne manqueront pas les pétards cependant, car, tradition oblige, il faut repousser les «mauvais airs». « C’est principalement aux petites heures du matin, entre deux heures et sept heures, que nous ferons éclater les pétards », expliquent Lucy et Christopher, heureux déjà « du tapis rouge que laisseront les pétards ». « Ce tapis rouge est important. Tant dans la couleur, car le rouge est synonyme de bonheur pour nous, et aussi les pétards signifient que nous laissons derrière nous l’an passé pour nous concentrer sur le bonheur de la nouvelle année qui arrive », dit le gérant de la boutique d’articles de décoration Swatow.
Le jour du Nouvel An sera particulier, confient nos interlocuteurs, expliquant que si généralement, leur famille respective « fait le tour des pagodes », cette année, ce sera par groupe de dix que les dévots pourront aller brûler de l’encens et prier et demander que la nouvelle année apporte santé, harmonie familiale et prospérité.
« Cela fera bizarre, mais nous devons respecter ces mesures pour éviter que nous soyons vecteurs du virus ou attrapons le virus. Surtout que la fête du Printemps, c’est une occasion pour nous de rendre visite à nos aînés. Alors, nous devons agir en toute prudence. Il ne faut pas penser à soi, mais aux autres, à la communauté, au pays », dit Christopher Lam.
En effet, le Nouvel An chinois, c’est aussi le temps des visites aux proches pour la distribution de gâteaux. Une quinzaine de jours encore jusqu’à la fête des Lanternes. « C’est une tradition qui se perd malheureusement, car les familles sont dispersées à travers le monde et certains partent en voyage durant cette période », dit Lucy. Sans doute 2022 sera différente, car les voyages ont été annulés pour beaucoup, de même que les séjours à l’hôtel, par mesure de précaution. « Cette année, le Covid nous contraint de revoir nos habitudes, mais ce qui est positif, c’est que nous pourrons profiter de ces moments de retrouvailles en famille », dit Christopher Lam, souhaitant pour la nouvelle année lunaire que la paix, dans tous les sens du terme, revienne dans toutes les familles.
Interdiction de la
danse du lion
Si la communauté chinoise sera disciplinée et se pliera aux contraintes du protocole sanitaire imposé par les autorités, ce qui attriste les membres, c’est l’interdiction de la danse du lion. Pour la Fête du Printemps, la tradition veut que les troupes de danse du lion et du dragon se mettent à conjurer les mauvais esprits de l’année écoulée pour en accueillir le Nouvel An en passant dans les rues et dans les commerces. Cette tradition qui fait partie des célébrations ferait non seulement fuir les esprits malfaisants, mais apporterait aussi chance, bonheur et prospérité. Or, cette année, en raison de la règle d’aucun rassemblement de plus de 10 personnes, cette pratique ne pourra être observée. « Cette activité attire beaucoup de monde. Les gens sont curieux, les enfants veulent voir, etc. C’est dommage qu’on ne pourra le faire. C’est triste. Pour nous. Pour le partage… », conclut Christopher Lam.