Pour l’heure, tous sont concentrés sur ce fameux 14e mois tant attendu pour savoir quel budget prévoir pour les achats. En attendant, les plus hardis ont déjà jeté leur dévolu sur les abords des rues devant les échoppes improvisées des marchands ambulants. Pour un petit rien, comme on dit, mais qui vient du cœur, porté par cette période de réjouissances. Allons-y pour une petite virée au cœur de la capitale en attendant la grande rencontre avec le Père Noël.
Port-Louis, précisément la rue Farquhar, est en pleine ébullition à quelques jours de Noël. On y trouve de tout, des boules colorées qui viendront orner le sapin, des guirlandes, sans oublier l’étoile de Noël. Il y a aussi des vêtements, des serviettes, des nappes de table, des paniers, des sacs, des chaussures. Certes, acheter aux abords des rues n’offre pas cet avantage des cabines d’essayage. Ici, tout se joue à qui est le plus rapide. Les Mauriciens aiment bien ces échoppes en plein air qui offrent la possibilité de respecter son budget, ce qui n’est pas le cas dans les grandes enseignes aux prix coûteux. Ici, on peut « kase, ranze », voire moyenner ses achats, selon la bonne humeur du vendeur.
Chloé, 18 ans, trouve que la mode à petits prix a aussi un atout. Pour elle, les jeans sont une nécessité. Elle choisit aussi une chemise ample, genre fashion, pour créer son propre look. « J’aime bien ce petit côté rétro associé à la tendance du moment. Ainsi, je suis sûre de ne pas porter le même habit que les autres. Alors que dans les grandes enseignes, souvent on se rencontre en soirée avec la même tenue. »
Les marchands ambulants ont pris leur marque et savent vanter leur marchandise aux passants. « Pardesi inportan pou lapli », tente d’expliquer un vendeur à un touriste indien qui n’arrive pas à saisir le sens de ses mots. Ne se décourageant guère, le marchand retire de sa pile de vêtements un pardessus blanc, l’endosse et lui indique qu’en temps de grosses pluies, ce vêtement peut le protéger de la pluie. « Don’t understand. No good deal », rétorque le touriste. Le vendeur aura au moins essayé.
La rue, cela a aussi sa petite touche d’humour. À quelques pas, un homme interpelle son ami et lui demande ce qu’il a prévu pour les fêtes avec sa copine. « Kopinn pe rod vwayaze… 14e mwa pa sir, pa pou fer det. » Et l’autre de répondre : « Nwel to bizin fer lamars galan, pa ezite met lamin dan pos, pa atann to mor pou profit lavi. Tonn tande fer lamars galan, sinon li pou tuit…»
Ce folklore qui anime les étals de rues a ce petit côté charmeur qui force le sourire face à des situations inattendues. Ces vendeurs qui n’hésitent pas à endosser le costume d’animateur de rue se font vite repérer par leurs cris stridents : « Ale koste madam, misie, gete, aste pa tarde, Nwel tansion fini », lance Farook. Le swing de ses notes, couplé à sa voix, attire les passants vers son étal. Et ses gestuelles de bras comme pour provoquer une ola de la foule ne passent pas inaperçues. S’il se sent heureux dans sa bulle, Farook trouve que le métier de marchand ambulant a aussi son côté incertain. « Quand vous avez une famille, il faut se battre. » Lui, ce qui le dérange, c’est cette concurrence déloyale et son souhait est que les autorités fassent leur boulot et que des sanctions soient prises par ceux qui opèrent illégalement. Il insiste sur le fait que la discipline doit prévaloir car, pour lui, c’est à la tombée de la nuit que ces “traser lavi” s’infiltrent parmi les étals et se mettent au même rang que les marchands ambulants. On a croisé un de ces rôdeurs qui insiste pour écouler ses cahiers de coloriage. Interpellant même un marchand ambulant à qui il veut refiler sa marchandise. L’autre déclinera son offre en disant : « Pa gagn lavi ar vann kaye koloryaz. » Sur les étals, ces marchands ambulants ont différents profils d’âge, des hommes, des femmes et même des personnes âgées. Leurs cris mêlés aux vrombissements des voitures se perdent dans la mêlée.
Raj, lui, vend des ananas sur le pavé qu’il pose sur un grand sac en jute. Il est d’avis que les fruits de saison ont aussi leur côte en cette période de fêtes. « Litchis, mangues, chacun fixe son prix. An peryod saler, dimounn bizin enn rafresi. » Aisha, elle, a encore en mémoire la façon dont les marchands ambulants ont été chassés dans certaines artères de Port-Louis, avec pour conséquence des marchandises saisies. « Ansien rezim finn fer bien dominer ar nou. Mo dakor pa bizin blok lari me pa tir nou bouse manze. » Ce constat, on l’entend aussi d’un autre marchand ambulant : « Nou pa bann froder, bizin respe nou metie. » Christophe, pour sa part, aura ses mots : « Beaucoup de Mauriciens attendent le boni de fin d’année, on entend les dirigeants du changement dire ena bann gro trou dan lakes. Morisien li pridan, pa aste brit. » Alice, une Française, préfère flâner du côté du marché de Port-Louis. « Je suis davantage tentée par une bonne bouteille d’eau de coco frais, plutôt que des achats. Moi, ce sont les produits des artisans locaux qui m’intéressent. La vannerie mauricienne, l’art du tissage des tentes en raphia, je trouve cela élégant et un beau cadeau. »
En cette journée de mercredi, les gens prennent leur temps dans les rues de Port-Louis, histoire de renouer avec ce folklore de décembre. Les ventes sont-elles de bon augure ? Les tons de voix des marchands changent. Si pour certains, la rue est leur gagne-pain, pour d’autres, décembre n’est pas vraiment une période propice. « Il y a la concurrence parfois déloyale. Bizin rize ek rapid pou konvink klian aste kot nou. »
D’après une vendeuse, beaucoup doivent être présents en soirée pour écouler leurs marchandises. Car, pour elle, c’est après les heures de fermeture de bureaux, dans la soirée, que l’ambiance atteint son apogée. Et pour rendre ces achats plus fluides, les restaurants du coin et les marchands de gâteaux, de rôti, de biryani jouent aussi un rôle clé. Patricia aime bien acquérir des produits dans la rue, mais insiste sur le fait que cela ne soit pas au détriment des piétons. « Il y a trop d’étals et plus de place pour circuler librement. Certains endroits qui ne sont pas sécurisés pour une femme seule. Il y a le voisinage aussi qui loge des plaintes, car le klaxon des voitures, les motocyclettes, tout cela crée aussi du chahut le soir. Car avoir sa maison près de la rue, c’est aussi un handicap. »
La nuit, les rues et les enseignes des magasins rayonnent, avec dans les yeux des enfants et des adultes cette magie de Noël retrouvée après une année de boulot stressante. Chacun s’amuse entre acquisitions de Noël, virée en famille avec ce sentiment d’être resté un éternel enfant. Emmanuel, âgé de 12 ans, trouve dommage que contrairement aux grandes enseignes, le Père Noël ne soit jamais présent aux échoppes de rue. « J’espère que cette année mon appel sera entendu et que les marchands ambulants choisissent un Père Noël pour représenter leur échoppe, cela attirera plus d’enfants et c’est ainsi que la magie de Noël rayonnera sur toute l’île. Ce sera le Bolom Noël rouge du changement », conclut-il avec un large sourire.