Des centaines de milliers de consommateurs de la CWA déjà
impactés par le plan de coupures d’eau draconiennes
Non seulement les choses semblent mal engagées, mais la saison des grosses pluies pourrait finalement intervenir qu’à la mi-février !
Aux maux extrêmes, les extrêmes remèdes. Face à la grave sécheresse qui ébranle le pays actuellement, avec comme toile de fond un taux de remplissage alarmant des réservoirs (42,7%), de nouveaux horaires de distribution entreront en vigueur ce lundi et le resteront jusqu’à nouvel ordre (voir plus loin). Ainsi en a décidé le Conseil des ministres, vendredi, qui a aussi entériné la mise sur pied d’un comité de crise sera constitué sous la présidence du ministre de l’Énergie et des Services publics, Patrick Assirvaden. Ce comité sera chargé de suivre et d’évaluer la situation quotidiennement à travers l’île. Non seulement les choses semblent mal engagées mais, à en croire certaines informations émanant de la station météorologique de Vacoas, la saison des grosses pluies, accusant déjà un gros retard, pourrait finalement intervenir qu’à la mi-février !
Un soleil de plomb, une soif que l’on pense ne jamais pouvoir étancher. Le « Jour Zéro », cette date limite où plus aucune goutte d’eau douce ne sera disponible, se rapproche de plus dans certaines zones du globe. Peut-on craindre un tel scénario à Maurice compte tenu du « stress hydrique extrême » dans lequel l’île se retrouve actuellement ? De l’aveu même d’un cadre de la Central Water Authority (CWA), « l’eau des réservoirs sera inexploitable une fois la barre des 15% franchie, en raison de la qualité de l’eau à ce niveau-là. » La situation est telle qu’on peut d’ores et déjà penser au spectre d’un remake de la grande sécheresse qui avait sévi à Maurice durant en 1999, lorsque le taux général des réservoirs avait oscillé entre 25 et 26%, provoquant la panique.
« La descente aux enfers continue », titrait Week-End dans son édition du 17 janvier 1999. Ce constat reflétait une tendance dont le pays aurait bien aimé pouvoir se passer : l’été 1998/1999 est l’un des pires de l’histoire en ce qu’il s’agit du manque de pluie. À mi-janvier 1999, la situation était catastrophique dans les réservoirs de la Ferme, Mare-Longue et La Nicolière qui n’étaient remplis qu’à 2,7%, 1,4% et 19,8%, respectivement. Dans le Nord de l’île, la fourniture journalière variait entre 3 et 7 heures, contre 15 heures en période normale. Les irrigations ont été stoppées net alors que les hôtels ont recours à l’achat quotidien de galons d’eau. La situation est retournée à la normale à la fin du mois de mars 1999 avec l’arrivée des grosses averses. Une source au sein de la Water Resources Unit (WRU) tient quand même à préciser que « les barrages de Bagatelle et Midlands n’étaient pas encore opérationnels à l’époque. Nous croisons les doigts et attendons que les grosses pluies nous soulagent. »
Le ciel reste
désespérément bleu
Les semaines s’égrènent, mais le ciel reste désespérément bleu, avec quelques rares passages nuageux qui apportent un peu de pluie, juste assez pour détremper le sol et soulager les plantes qui se meurent par manque d’eau. Les dernières estimations publiées par la WRU donnent froid dans le dos. Le niveau des réservoirs (42,7%) se réduit comme peau de chagrin, inférieur à 47% comparativement au taux de remplissage enregistré à la même période en 2024. Le Water Resources Monitoring Committee, qui regroupe le ministère de l’Énergie, la CWA, la WRU, l’Irrigation Authority et la station météo, n’a eu d’autres choix d’opter pour des mesures beaucoup plus radicales en vue d’économiser les faibles ressources en eau disponibles. La baisse du niveau de l’eau dans les nappes phréatiques est tout aussi inquiétante, atteignant une diminution de 20% en moyenne. Sans compter le fait que plusieurs cours d’eau se sont totalement asséchés.
Mare-aux-Vacoas, le plus grand réservoir du pays, affiche actuellement un taux de remplissage de 47,6%. À cette même époque en 2024, le niveau était de 87,7%. Piton-du-Milieu est à 44,4% de sa capacité, contre…100% en 2024. Midlands Dam, pourtant situé dans une zone à forte pluviométrie, est asséché à 60,2 %. Les abonnés approvisionnés par La Ferme (26,8%) ont également du souci à se faire. Le niveau du barrage de Bagatelle est scruté avec attention dans la mesure où il devrait passer sous la barre des 40% cette semaine. Des camions-citernes seront déployés dans chaque région du pays, d’après un programme spécifique, afin de garantir une répartition équitable de l’eau. Pour toute question ou réclamation, les abonnés sont invités à contacter la CWA au 170.
Des anomalies de construction constatées dans deux réservoirs
à Cluny et à Nouvelle-France
On commence à y voir un peu plus clair sur la manière dont les projets infrastructurels hydrologiques ont été orchestrés sous l’ancien régime, par ceux qui ont été érigés en modèle dans ce secteur. Des anomalies de construction ont été constatées dans deux réservoirs situés à Cluny et à Nouvelle-France lors d’une visite effectuée par le ministre de l’Énergie et des Services publics, Patrick Assirvaden, jeudi. Construits respectivement à Rs 74 millions et Rs 48 millions par la société Sotravic, ils sont tout bonnement inutilisables. Les mauvaises langues prétendent que la découverte de défauts de conception dans lesdits réservoirs demeure la partie émergée de l’iceberg.
17 août 2023. Pravind Jugnauth, Joe Lesjongard, alors ministre des Utilités publiques, trois députés de la circonscription N°11, et Prakash Maunthrooa, ex-directeur de la CWA, prennent fièrement la pose photo devant le réservoir de Cluny qu’ils viennent tout juste d’inaugurer. Rs 74 millions. C’est le budget qui a été décaissé par le gouvernement pour l’aménagement de cette réserve d’eau censée améliorer l’accès à l’eau dans le Sud à environ 3 000 à 4 000 familles. Ce n’était finalement que de la poudre aux yeux. Lors d’une visite sur les lieux, Patrick Assirvaden a constaté la présence de fissures importantes, occasionnant des perditions d’eau, et un état général préoccupant du réservoir qui a été construit par la firme Sotravic Ltd qui ne finit pas de faire parler d’elle.
« Ces infrastructures, censées améliorer l’accès à l’eau dans le Sud, symbolisent désormais un gaspillage flagrant des ressources publiques. Je suis indigné. Il s’agit d’une situation complètement inacceptable de la part de la CWA qui devra rendre des comptes », a martelé le ministre. Pressés de questions, l’Officer-in-Charge de la CWA et la secrétaire permanente du ministère se sont montrés très peu loquaces. Patrick Assirvaden a appris que depuis sa mise en service, le réservoir est resté à sec, contraignant les autorités à recourir aux forages souterrains pour approvisionner Cluny, New Grove et Nouvelle-France. Le réservoir de Nouvelle-France, construit pour Rs 48 millions, présente également des défauts de conception. Quand bien même très peu d’informations ont transpiré sur les contours de ces anomalies, l’état de ces infrastructures soulève des inquiétudes quant à la qualité des matériaux utilisés et à la supervision.
Comme si cela ne suffisait pas, des problèmes majeurs ont été relevés à la station de traitement de Rivière-du-Poste, où de la boue présente dans le système affecte gravement la qualité de l’eau distribuée. Face à ce marasme, le ministre a ordonné un rapport complet sur la qualité de l’eau provenant de l’ensemble des réservoirs du pays. Il a aussi demandé des éclaircissements sur la conception des réservoirs, la conformité des étapes de construction et la qualité des matériaux utilisés.
Un casse-tête pour bien des secteurs
Avec le stress hydrique qui sévit actuellement, les propriétaires du secteur de Car-Wash sis dans les stations-service notamment, seront contraints d’utiliser l’eau judicieusement grâce à des seaux ou procéder au nettoyage à sec grâce à des produits professionnels. « Techniquement, nous utilisons un peu d’eau pour les mélanges. Le nettoyage se fait grâce à des produits biodégradables, sans solvants, de vapeur et des chiffons en microfibre. À base de composés polymères, ces produits sont constitués de détergent et de lubrifiant et de lustrant. Ces produits nettoient toutes les surfaces du véhicule », souligne Sunil. T, propriétaire d’une station-service à Port-Louis.
Les entreprises spécialisées dans le nettoyage de bâtiments, également soumises aux restrictions, ne sont pas en mesure d’accepter de gros contrats en ce moment « Certaines surfaces demandent des lavages à haute pression, comme dans les hôtels et les grands bâtiments. Ainsi, nous sommes obligés de ne pas accepter ces contrats en attendant que la situation retourne à la normale », fait ressortir Guillaume Auffray, de la compagnie Reckless Rope Solution (RPS), qui souligne cependant que « fort heureusement, outre le nettoyage des vitres, notre firme est aussi spécialisée dans la maintenance des bâtiments, le waterproofing et le débroussaillage d’arbres, entre autres. On croise les doigts pour que nos activités puissent reprendre normalement le plus vite possible. »
L’eau est une denrée essentielle pour le bon fonctionnement des usines de production, dont celles liées au secteur de la pêche. Du nettoyage des poissons à la préservation, en passant par les procédés de la transformation, l’eau est énormément utilisée à tous les niveaux. Un professionnel de ce secteur soutient que « dans la conjoncture, nous devons nous assurer que nous avons toujours le stock nécessaire. Notre usine dispose de réservoirs d’eau géants souterrains. Cependant, depuis quelque temps, en raison de la sécheresse, nous sommes dans l’obligation de solliciter les camions-citernes de la CWA, car le volume d’eau dans nos réservoirs ne suffit pas. Prions pour que les choses s’améliorent très vite, car cela devient très pénible. »