Nous avons rencontré le Père Noël cette semaine, alors qu’il s’affairait à ranger dans sa hotte les millions de cadeaux qui lui ont été commandés des quatre coins du monde et qu’il s’apprête à livrer aujourd’hui. Si d’habitude nos conversations tournent autour des nouvelles tendances en matière de jouets, cette fois, il aborde aussi avec nous divers sujets sérieux qui font l’actualité, allant notamment de la politique locale et étrangère à la souveraineté territoriale de Maurice, ou à la guerre en Ukraine ou en Palestine.
l Comment expliquez-vous qu’au siècle de la technologie et de la modernité, votre popularité est pratiquement intacte dans le monde, Père Noël ?
— Je vous l’ai déjà dit, lors de notre dernière rencontre, en 2020 : parce que certains personnages font partie de l’histoire des hommes, de l’humanité. Je parle de personnages authentiques qui ont traversé le temps et les frontières du monde, pas ceux fabriqués par les champions du marketing et les spécialistes de la communication. Ceux-là n’existent que le temps d’une campagne publicitaire — ou électorale — et encore ! Comme on le dit souvent dans les écoles de publicité : le rêve est plus crédible que la réalité. Depuis des années, on raconte que le Père Noël n’existe pas, cela n’empêche pas des millions d’enfants de par le monde de m’envoyer des lettres. Malgré leur machine de propagande, les régimes communistes n’ont jamais réussi à faire leurs enfants renier le Père Noël. À Cuba, même du temps de Fidel Castro, la popularité de Santa Claus est restée intacte. En Chine, je suis célébré comme un personnage historique, aussi important que les membres du BP du PCC. C’est la même chose dans les pays arabes où les extrémistes ont pris ou tentent de prendre le pouvoir. Les enfants de ces pays m’écrivent pour me demander de ne pas oublier leurs petits souliers. Je fais rêver. Autant les enfants que les adultes, car je reçois également pas mal de lettres, de mails et de SMS de beaucoup d’adultes.
l Vous recevez également des mails et des textos ?
— Et comment ! J’en reçois autant, sinon plus que des lettres. À tel point que j’ai dû faire download des applications pour traduire en langage compréhensible certains textos. Car la façon de parler, d’écrire et surtout de résumer évolue avec une grande rapidité, et j’avoue que je suis souvent perdu avec les abréviations ou les nouveaux mots inventés, surtout dans les textos. Mais heureusement qu’il y a ces applications qui permettent de les déchiffrer. Il faut également dire que les enfants qui m’envoient des textos sont extrêmement précis. Non seulement ils décrivent bien les jouets qu’ils souhaitent recevoir, mais ils envoient également les spécifications, les références et même les prix de vente !
l Est-ce que les enfants des pays en guerre, comme l’Ukraine ou la Palestine, vous écrivent ?
— Je ne reçois pas beaucoup de lettres et de SMS de ces pays pour des raisons évidentes. La situation est dramatique là-bas parce que les premières victimes des guerres sont les populations civiles, dont les enfants. Leur priorité c’est de survivre en essayant d’échapper aux bombardements et aux attaques armées. Je parle des enfants de Palestine et d’Ukraine, mais aussi de ceux d’autres pays en situation de guerre dont on ne parle pas ou dont on ne parle plus dans la presse internationale. Il existe, de par le monde, des millions d’enfants qui sont les victimes collatérales des guerres déclenchées et entretenues par les adultes. Ces enfants victimes des guerres ont plus besoin d’eau, de nourriture et de médicaments de sécurité que de jouets. Il ne faut pas oublier les enfants qui vivent dans les dictatures où tout est interdit sauf chanter les louanges du dictateur et de son régime !
l Qu’est-ce que vous appelez pays en situation de guerre dont on ne parle pas ?
— Ils sont plus nombreux qu’on ne le croit, ou qu’on veuille le savoir de par le monde, et particulièrement dans certains pays d’Afrique, dont les civils sont obligés de quitter leurs pays pour essayer de sauver leurs vies. Imaginez ce qu’est le quotidien d’un enfant obligé de fuir sa maison, son village, son pays pour aller se réfugier dans des camps où il est parqué comme du bétail ! Cela ne se passe pas qu’en Afrique ! Imaginez la vie que mène un enfant refugié rejeté de pays en pays en Europe et qui finit, au propre et au figuré, sur un bateau de fortune en Méditerranée ou dans la Manche ! Imaginez la vie d’un enfant réfugié qui a réussi à arriver en Grande-Bretagne et que le gouvernement veut extrader au Rwanda ! C’est également le cas des centaines de milliers d’enfants des Rohingyas, cette population birmane de confession musulmane qui a été obligée de fuir leur pays natal, chassés par des bouddhistes et l’armée pour se réfugier dans un des plus grands slums du monde au Bangladesh. Pour ces millions d’enfants, il n’y a pas de Noël. J’espère qu’on aura une pensée pour eux au moment d’ouvrir les cadeaux que j’aurais mis dans les petits souliers, comme dit la chanson, lundi matin !
l Certains pourraient penser en lisant ce que vous venez de dire que vous tenez un langage politique, de gauche qui plus est…
— Vous le savez comme moi, il n’y a plus de gauche ou de droite, mais des ambitions de pouvoir à satisfaire des politiciens. Je vous l’ai déjà dit : le Père Noël n’a pas de couleur politique ! Même si certains essayent de récupérer mon image pour leur cause en mettant l’accent sur la couleur de mon manteau ! J’ai été adopté au niveau mondial. Surtout par les entreprises commerciales qui fabriquent des produits pouvant servir de cadeaux de Noël. Ces entreprises utilisent ma légende et mon image comme argument publicitaire pour vendre leurs produits. Sans me payer des droits d’auteur puisque tout en étant extrêmement populaire, je ne suis qu’un mythe. Cela précisé : en parlant des enfants victimes de la guerre de par le monde, je ne fais que décrire une réalité qu’on refuse d’accepter et de voir en face !
l Vous avez dit que vous recevez également des lettres d’adultes. Est-ce qu’il y a parmi vos correspondants ceux de ce qu’on appelle les grands de ce monde ?
— Ah oui, parce que comme je vous le disais en 2020, il y a toujours un enfant dans un adulte. Un enfant qui a des ambitions. C’est ainsi que je reçois des États-Unis des lettres de Donald Trump et de Joe Biden qui, comme vous le savez, sont dans des camps politiques opposés, mais ont le même rêve : qu’ils soient élus pour un deuxième mandat présidentiel. De la Grande-Bretagne j’ai reçu ces derniers mois des souhaits pour pouvoir aller jusqu’au bout d’un premier mandat ministériel. Ces messages étaient signés Liz, Suella et Rishi. Les souhaits des deux premières n’ont pas été réalisés puisqu’elles ont été obligées de démissionner. Quant au troisième, il faut, comme on dit sur les bords de la Tamise, wait and see ! avec l’évolution chaotique de la situation politique. Du même pays je recevais, depuis des dizaines d’années, le même message de Charles d’Angleterre : quand est-ce que je vais être couronné ? Il ne m’a pas envoyé de message cette année.
l Forcément, lui au moins a pu réaliser son rêve après avoir attendu des années et des années ! Et de France, qu’est-ce qu’on vous demande comme souhaits à réaliser ?
— Les mêmes que partout ailleurs : tout le monde veut devenir président de la République, depuis Jean-Luc Mélenchon jusqu’à Marine Le Pen, avec un Emmanuel Macron qui est supposé faire barrage au Front National mais qui vient de faire voter une loi sur l’immigration qui a été soutenue par… le Front National ! En France, plus que dans les autres pays d’Europe où les contradictions ne manquent pas, la situation politique est tellement compliquée qu’il vaut mieux essayer de ne pas la comprendre. De toute façon, elle est incompréhensible pour une majorité de Français !
l Après ce bref survol de l’actualité internationale, passons à votre passage annuel à Maurice. Vous avez fait un bon voyage ?
— Oui, même s’il a été un peu perturbé par les avis de veille de fortes pluies que je ne connaissais pas et qui m’ont obligé de revoir mes déplacements. Je dois vous dire que je suis toujours surpris d’arriver chez vous, dans les tropiques où la température moyenne est de 30 degrés et de découvrir qu’on célèbre Noël avec un Père Noël avec sa robe épaisse, ses bottes et son bonnet rembourré et les sapins recouverts de coton pour représenter la neige ! Cela me surprend toujours autant ! Et puis, plus sérieusement, je dois reconnaître que vous aviez raison de me demander, la dernière fois, si on peut avoir des cadeaux de Noël avant Noël. En feuilletant les journaux mauriciens sur internet, j’ai découvert que le gouvernement mauricien est en train de me faire une concurrence déloyale.
l Pourquoi vous dites ça ?
— Comme je vous l’ai dit, il m’arrive de lire la presse mauricienne en ligne. C’est ce qui m’a permis de découvrir que depuis le début de cette année, le gouvernement ne fait que donner des cadeaux de Noël aux Mauriciens. J’ai fait la liste. Il y a eu les Rs 20 000 aux jeunes ; les Rs 2 000 par mois pour un enfant en bas âge ; le treizième mois ; l’augmentation du revenu minimum qui passe de Rs 11 575 à Rs 18 500 avec les allocations de la GSG et les Rs 2 000 pour la fête de fin d’année pour les fonctionnaires. Et tout ça avant le 25 décembre ! Et moi qui arrive après avec des joujoux ! C’est de la concurrence déloyale, je vous dis. Si j’avais du temps, j’irais déposer plainte à la Competition Commission ! Et puis, je dois dire que je suis un peu déçu parce qu’il y a un endroit de votre territoire où je n’ai pas pu aller.
l De quel endroit de Maurice êtes-vous en train de parler, des Chagos ?
— Non, pas des Chagos, parce que je sais que pour aller là-bas il faut faire une demande à Londres qui l’envoie à Washington pour ratification, ou c’est le contraire, je ne sais plus. De toute façon, les Chagos ne m’intéressent pas puisqu’il n’y a pas d’enfants là-bas, juste des soldats. Et en termes de jouets, on peut dire qu’ils sont équipés ! Non, ce n’est pas aux Chagos que je voulais faire escale, mais à Agaléga. On m’a dit qu’on ne peut aller là-bas comme ça, comme n’importe où à Maurice, qu’il faut demander un permis spécial. Ce que je n’ai pas compris c’est pourquoi il faut demander ce permis pour aller dans le territoire mauricien à New Delhi ? Est-ce que vous pouvez m’expliquer ce qui se passe ? Est-ce que Maurice serait devenue un satellite de l’Inde ?
l Je ne peux pas vous expliquer parce qu’on a très peu d’informations sur Agaléga à Maurice. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le gouvernement mauricien a fait un deal avec le gouvernement indien sur Agaléga. Mais on ne sait pas quelles sont les conditions du deal puisque le gouvernement mauricien dit que c’est un accord top secret. Les mauvaises langues disent que Port-Louis a vendu Agaléga à l’Inde, comme autrefois on avait vendu les Chagos aux Anglais pour y construire une base nucléaire américaine…
— On m’a dit que votre Premier ministre est un parent du Premier ministre indien, ce qui fait que les liens entre Maurice et l’Inde sont très forts. C’est vrai ?
l Les liens entre Maurice et l’Inde ont toujours été très forts. C’est le Premier ministre mauricien actuel qui veut faire croire qu’il a des liens plus privilégiés que les précédents Premiers ministres avec l’Inde et que le Premier ministre indien est son grand frère…
— On m’a dit que le Premier ministre indien a fait pas mal de cadeaux au Premier ministre mauricien. On m’a parlé d’un métro, de routes, d’autoponts et de ponts à Maurice, et d’un petit aéroport et d’un petit port à Agaléga. L’Inde est bien généreuse avec Maurice pour lui faire autant de cadeaux !
l Il faut préciser que c’est à Maurice que l’Inde a fait des « cadeaux », pas à son premier ministre. Il faut aussi dire que — et c’est très important — que ces « cadeaux » sont en fait des emprunts que l’Inde a accordés à Maurice pour réaliser des projets, qui doivent être réalisés en partie par des compagnies de construction indiennes, mais qu’il faudra rembourser les emprunts avec sûrement des intérêts.
— Puisqu’il faut les rembourser, ce ne sont pas des cadeaux alors !
l C’est comme ça que ça se passe dans la coopération internationale. Un pays aide financièrement un autre pour réaliser un projet, mais il faut que la réalisation soit faite par une compagnie du pays prêteur et que les machines et matériaux soient achetés chez lui…
— Merci de m’avoir bien expliqué les choses. Je vais vous demander de continuer à m’expliquer certaines choses que je ne comprends pas dans le courrier que je reçois de Maurice.
l Avec grand plaisir. Est-ce que vous avez reçu un message du Premier ministre…
— Oui. Il dit protège moi de mes spin doctors de Lakwizinn qui me font koz ninport avec leurs stratégies qui se retournent contre moi et me ridiculisent, moi qui n’ai jamais fauté. La seul chose que je peux faire, c’est de lui recommander de bien lire les déclarations qu’on veut lui faire faire et de vérifier si les informations qu’elles contiennent sont correctes.
l Vous m’aviez dit que vous aviez l’habitude de recevoir régulièrement un message d’un certain N. C’est toujours le cas ?
— Oui. J’ai, comme vous l’avez dit, reçu des lettres signée N qui me demande d’exaucer son souhait de retrouver la place qu’il a perdue en 2014. Ce N me donne la garantie qu’il a changé, a évolué, qu’il ne refera pas les mêmes erreurs qu’avant. Ce qui est curieux, c’est que je reçois cette même lettre tous les ans depuis sept ans. Comme si cette personne ne rêve que de ça : retrouver la place qu’il aurait perdue en 2014. Cette année, N a ajouté une phrase à sa lettre : Petit papa Noël, empêche-moi de “faner” en faisant une déclaration qui va se retourner contre moi à la veille des élections. Qu’est-ce que ça veut dire ?
l C’est de la politicaille locale. À la veille des deux dernières élections, N a fait des déclarations publiques qu’on a utilisées contre lui. Qu’est-ce que vous avez encore reçu qui sort de l’ordinaire de vos correspondants mauriciens ?
— Laissez-moi réfléchir… il y a bien un certain Paul qui me demande de l’aider à réaliser son plus grand rêve : devenir un Vaish pour pouvoir devenir Premier ministre. Qu’est-ce que ça veut dire ?
l Il faut être Mauricien et avoir une bonne connaissance de la politicaille locale pour comprendre les demandes de N et de Paul. Ceux qui doivent comprendre comprendront. Quoi d’autre ?
— On dirait que l’éventualité de devenir Premier ministre fatigue plusieurs personnes à Maurice. J’ai reçu deux lettres qui me demandent de les aider à réaliser leurs rêves de devenir PM. Ces lettres viennent d’un certain Roshi et d’un certain Nandkumar. lls semblent tous les deux être convaincus qu’ils doivent devenir Premier ministre, que c’est écrit dans leur destin. D’ailleurs, le Nandkumar en question dit qu’il est même disposé à partager son Primeministership avec quelqu’un d’autre, un certain Rama, je crois. Pourquoi ça vous fait sourire ?
l Parce que je me demande quel est le longaniste qui a réussi à prendre leur argent et a les embêter — je crois qu’il faut plutôt dire couillonner dans ce cas ! — pour leur faire croire qu’ils vont devenir Premier ministre ! Ce longaniste a oublié de leur dire qu’avant de devenir PM, il faut premièrement se faire élire comme député et ensuite détenir une majorité au Parlement, ce qui est loin d’être leur cas ! Vous n’avez rien reçu d’un certain Xavier-Luc ?
— Laissez-moi chercher dans mon ordinateur. Non, ne soyez pas étonné : je reçois tellement de lettres que j’ai dû download un programme pour les archiver. Il faut bien vivre avec son temps. Vous m’avez bien dit Xavier-Luc, n’est-ce pas ? Oui, j’ai bien reçu un courrier de cette personne. Voyons ce qu’elle dit : « Il faut absolument que nous gagnions les élections afin que je puisse faire nommer mes parents, amis et agents à des postes intéressants. »
l Qu’est-ce qui a également retenu votre attention dans le courrier ?
— C’est amusant. Il y a parfois plusieurs personnes qui demandent la même chose. Tenez, j’ai des lettres d’un Shakeel, d’un Rajesh, d’un Patrick, d’une Joanna, d’un Arvin et d’un Paul qui demandent comment faire pour couper le son d’un Loud Speaker qui se prend pour un goalkeeper. Je ne suis pas technicien, mais je crois que la seule solution dans ce cas c’est de faire sauter tous ses fusibles, non ?
l Je crois que vous avez raison…
— Il y a également une lettre de quelqu’un qui demande un conseil pour faire le ministre de la Santé arrêter de chanter. Il chante ce ministre-là ?
l Il croit ! Non seulement il pense savoir chanter, mais il se prend aussi pour un danseur et un humoriste…
— Ses dialogues font rire ?
l Oui, mais à ses dépens…
— Donc, il a intérêt à faire autre chose alors. Comme gérer son ministère. Laissez-moi voir ce que j’ai encore pour vous. Tiens, il y a un Anil Kumar qui souhaite que son fils Chanda resi sap dan karay san tonb dan dife. C’est quoi ça ?
l C’est le commissaire qui fait une prière pour son fils…
— Ah non ! Il y a ensuite une certaine Leela Devi qui a écrit ceci : « Faites que le pourcentage de pass augmente naturellement sans que mes experts ne soient obligés de baisser le niveau des corrections pour faire monter les statistiques positives. » Qu’est ce que c’est que ça ?
lC’est la ministre de l’Éducation qui prie pour que le niveau de réussite de certains des examens que son ministère organise, et qui sont catastrophiques, augmente.
— Elle ne ferait pas mieux de revoir son programme pédagogique au lieu de prier ? Écoutez, c’est bien sympa de discuter avec vous sur les demandes des Mauriciens, mais il faut aussi que j’aille travailler et mettre des jouets dans les petits souliers. Même si avec son Noël toute l’année le gouvernement a, comme vous dites en kreol, met kwiyer sal dan mo manze ! Avant de partir, laissez-moi vous rappeler qu’il ne suffit pas de demander un cadeau, il faut le mériter, il faut avoir bien travaillé, fait des efforts pour obtenir une récompense. Allez, Joyeux Noël à tous !