La question de la cherté de la vie est sur toutes les lèvres. Touchant à des degrés divers les familles mauriciennes et faisant souffrir même celles naguère aisées, le bond conséquent des prix des denrées essentielles du quotidien fait déjà des dégâts à bas bruit. Les enfants sont malheureusement les premiers touchés, ne pouvant bénéficier d’une alimentation de base, si nécessaire à leur croissance.
Ces parents se retrouvent souvent devant plusieurs bouches à nourrir, luttant pour survivre. Dans le meilleur des cas, le mari a un emploi saisonnier. Autrement, il est sans emploi comme la femme et les deux ne peuvent que compter sur une aide sociale entre Rs 1 500 et Rs 4 000. Une pitance! Ils n’ont alors d’autre choix que de sauter des repas ou se contenter d’un morceau de pain sec, au mieux, tartiné avec un peu de beurre ou encore d’une portion de mine Apollo. Les associations caritatives constituent pour beaucoup une bouée de secours, mais elles ne peuvent aider toutes les familles. Et de manière continue.
A.K est une jeune mère de quatre enfants âgés de huit ans, six, trois et un. Si autrefois cette habitante de Roche-Bois travaillait comme technicienne de surface, elle doit aujourd’hui garder son bébé à la maison. Son mari, qui aide à vider les camions de marchandises, n’a pas de revenu fixe.
« Dès fois, on fait appel à lui. Après une journée de travail, il peut revenir avec Rs 300, pas plus. Il peut rester trois à quatre jours de la semaine sans travail », confie la jeune femme qui vit aussi avec son père. La famille bénéficiait d’une aide sociale de la National Empowerment Foundation (NEF). Une modique somme de Rs 2 500 qui a été par la suite ramenée à Rs 1 500 aux dires de la femme au foyer. Depuis deux mois, elle ne touche plus cette somme « parce qu’il faut refaire le contrat ».
La vie prend alors un goût amer, surtout quand on est impuissant devant quatre bouches à nourrir. Et que les petits ne comprennent pas forcément les changements découlant de la flambée des prix et demandent à manger. « Tou byen ser depi zanvye : manze, delwil, grinsek, legim… Parfwa nou manz enn bout dipin koum sa mem », laisse échapper la mère de famille. Sans compter qu’il faut acheter des couches et du lait pour le benjamin de la famille. « La boîte de lait pour bébé est à Rs 200. Pour une semaine, il faut deux boîtes. Parfois, on n’a pas d’argent pour acheter du lait pour le bébé », confesse A.K.
Son cœur de mère saigne à chaque fois que ses enfants demandent à manger mais qu’elle n’a rien à leur donner. « Kan mo guet zot koum sa, mo sagrin », lâche-t-elle. Dans leur sac d’école, les plus grands n’ont pas de déjeuner. « Ils se contentent du pain distribué à l’école. » A.K lance un plaidoyer aux autorités : « Qu’on vienne en aide aux plus démunis ! Avec cette flambée des prix, on ne fait que nous enfoncer dans cette situation de pauvreté. »
De l’autre côté de Mauricen à Coteau Raffin, S.G, a aussi quatre enfants dont le plus jeune est âgé d’un an. Son époux est chômeur depuis six mois. Avant cela, il a travaillé quelques mois dans une chasse. S.G avoue qu’il n’est guère facile de vivre dans de telles conditions. Comme A.K, elle cite les couches et le lait pour bébé qui pèsent énormément sur le budget. « Kous ek dile, samem kout plis. Poul, legim pe monte, nepli kouma lavi lontan », rappelle-t-elle si besoin est.
Ne travaillant pas, S.G est bénéficiaire d’une initiative de Caritas. Elle aide à la culture de légumes dans un jardin communautaire. « Quand on fait la récolte, on reçoit alors quelques légumes », concède-t-elle. Une aide sociale de Rs 4 000 de la NEF. Ce sont les seules ressources de la famille. Pendant un an, elle n’avait pu toucher cette allocation sans en avoir jamais connu la raison. « Li pa ti fasil ditou kan pa ti gagn sa larzan-la. Mo ti dan difikilte net », ajoute-t-elle. Depuis février, elle a heureusement pu toucher à nouveau cette allocation. Les grands-parents retraités semblent aujourd’hui représenter une épaule sur laquelle s’appuyer pour aider les petits à survivre.
« De temps à autre, mon mari va à la pêche et il ramène quelques poissons qu’il vend. En d’autres occasions, ma mère ou ma belle-mère nous viennent en aide. Mais cela ne suffit pas. Tout coûte cher. Autrefois, avec Rs 4 000, on pouvait avoir pas mal de produits pour le mois. On pouvait vivre. Maintenant, Rs 4 000, c’est comme Rs 1 000 ! » partage-t-elle la gorge nouée.
La famille de S.G doit se contenter d’un repas frugal le soir. « Nou pa gagn sa kantite-la. Kan mo kwi tanto, nou tou manze. Dan la zourne, nou manz enn ti minn apolo. » Petit à petit, les enfants apprennent qu’il ne faut pas demander de petites gâteries. « Zot rod linz, savat, me mo pa resi donn zot. Ma belle-mère leur donne de temps en temps de petites choses. N’empêche, je suis triste car je ne peux, moi, en tant que mère, leur acheter quelque chose. Il faut compter sur ma belle-mère et ma mère. C’est dur », dit-elle encore.
Heureusement, la famille peut compter sur l’association Amour et Espoir pour le déjeuner des enfants. « Ils reçoivent un repas et du lait. » Concernant l’avenir, la mère de quatre enfants le trouve « complexe ».
E.R, également habitante de Coteau-Raffin, n’a que 23 ans et songe déjà à leur éventuelle disparition, son mari et elle. C’est que le devenir de ses trois enfants de cinq, deux et un an, l’angoisse. « Nou pe trase pou zwenn le de bout aster, me si mo misye ek mwa mor, ki sa bann zanfan-la pou devini. Kouma zot pou viv dan enn peyi kot tou zafer pe monte ? Gouvernma-la pa pe pans ban dimoun pov », dit-elle.
Son fils aîné, qui un petit souci, a encore besoin de couches le soir. « Avec trois enfants qui portent des couches, cela fait un budget. » Son mari ne travaille qu’une à deux fois la semaine sur l’île-aux-Bénitiers. La famille reçoit une aide sociale de Rs 2 800 de la NEF. « Cette somme n’est pas suffisante pour élever ne serait-ce qu’un seul enfant pendant un mois », se désole E.R. Sa famille survit grâce à des dons occasionnels en termes de couches, de lait et de certaines autres provisions de Caritas de Case-Noyale.
E.R ne peut travailler en journée, devant garder son bébé. « Imaginez que je travaille pour Rs 5 000. De l’autre côté, je dois payer la garderie, il ne restera pas grand-chose. Il n’y a pas de garderie gratuite dans la région », fait-elle comprendre. Pour soulager son aîné de cette situation de pénurie, la jeune mère l’a envoyé chez le grand-père à La-Gaulette où il peut avoir une petite friandise.
Une situation qui est appelée à empirer à mesure que la cherté de la vie ira croissante. Si les parents élevant ensemble leurs enfants peinent à survivre, que deviendront ces autres jeunes mères, en situation monoparentale, face à ce défi d’élever leurs petits en cette période de crise ?