Depuis ces derniers mois, le mot d’ordre latent des ménagères et chefs de famille, se rendant au supermarché, est Blyé Kadi. Car avec le même budget qu’auparavant, il est devenu quasi impossible de s’approvisionner comme auparavant. Et pour cause la hausse des prix à la consommation due principalement à la politique de dépréciation de la roupie. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un nouvel élément hors de tout contrôle est venu se greffer sur l’équation de la flambée des prix à l’étagère.
Le constat est des plus directs: pour les plus vulnérables et ceux au bas de l’échelle, cela va de mal en pis.
» L’avenir s’annonce très dur. J’ai beaucoup de chagrin pour les jeunes. La vie est bien incertaine », déclare Allia Syed Hossen-Gooljar, directrice du Centre des Dames Mourides (CDM) alors qu’Edwige Dukhie, responsable du Mouvement pour le Progrès de Roche-Bois (MPRB), souligne que « les revenus des familles ne suffisent plus pour s’approvisionner en produits de base ».
« La précarité s’est davantage accentuée chez les familles de milieux vulnérables. Certains des enfants dont nous nous occupons n’ont pas de quoi manger chez eux. Ils n’ont même pas de vêtements. Les parents, vivant au jour le jour, ne peuvent plus subvenir à leurs besoins », fait ressortir Edwige Dukhie. Si ces jeunes issus de milieux vulnérables vivaient déjà dans des conditions déplorables depuis la crise économique engendrée par le Covid-19, la nouvelle flambée des prix n’a fait qu’empirer leur situation.
« Les revenus des familles ne suffisent plus pour acheter des produits de base. Cela n’est pas sans répercussions sur les enfants, leur scolarité, leurs repas etc. Certaines familles n’arrivent plus à payer le loyer », explique encore la responsable du MPRB.
Un autre problème de société, qui inquiète les travailleurs sociaux en ce temps de crise, concerne le sort des jeunes mères célibataires. « Face à de nouvelles situations difficiles qui émergent avec la cherté de la vie, on entrevoit d’autres projets. On a, par exemple, relevé une augmentation de filles-mères. On souhaite faire un travail avec elles pour leur donner une formation pour qu’elles puissent sortir de cette situation. Sans compagnon et sans travail, ce sont seulement les parents qui les aident. Ces derniers sont eux-mêmes dans la peine. Elles n’arrivent donc pas à nourrir leurs bébés. D’ici la semaine prochaine, on essaiera de les écouter pour comprendre ce qu’elles vivent et voir comment on peut les aider matériellement pendant au moins six mois. On va essayer de leur donner une petite formation pour qu’elles puissent trouver un moyen de gagner leur vie. À 16-17 ans, il est important qu’elles réalisent qu’elles peuvent s’en sortir. »
Sur un plan plus personnel, Edwige Dukhie, en tant que consommatrice, confie devoir changer son mode de vie pour réaliser des économies. « J’ai l’habitude d’acheter une marque de lait pour son apport supplémentaire en calcium mais maintenant je me dis que je ne pourrai acheter cette marque car elle est à Rs 300 la boîte. On doit donc revoir nos habitudes et attendre que les produits soient épuisés à la maison avant d’en acheter d’autres. On n’achète plus les choses superflues ni en quantité. »
La hausse du prix de l’essence la pousse aussi à modifier les habitudes. « On n’utilise plus la voiture pour un oui ou un non, on s’organise. Toutes ces augmentations pèsent lourd dans le budget même si je suis pensionnée. Je dois faire attention à mes dépenses. »
Mère de quatre enfants dont un bébé, une animatrice du MPRB confie également que la vie est très dure en ce moment. « Autour de nous, nous n’entendons que des témoignages tristes de familles qui se trouvent dans l’embarras. Beaucoup de parents sont divorcés et les mères n’ont pas les moyens d’élever leurs enfants. Certains n’ont pas d’emploi fixe », dit-elle.
Elle ajoute être déboussolée par la série d’augmentations qui font que sa famille ne peut plus vivre comme autrefois. « Le gaz ménager et les autres produits ne tiennent pas un mois et on n’arrive pas à les remplacer. Il n’y a plus de provisions en plus à la maison comme autrefois. Au contraire, il y a un manque. Il faut diminuer les portions des repas.», fait-elle comprendre.
Élever quatre enfants n’est pas une tâche facile en cett période de crise. « Les produits pour bébé comme les couches et le lait coûtent cher. Dépendant des marques, les couches coûtent entre Rs 300 et Rs 400 et ne durent pas plus d’une semaine. Les lingettes pour bébé qui coûtaient autrefois Rs 35 sont aujourd’hui à Rs 80 le paquet ! » rajoute-t-on.
Allia Syed Hossen-Gooljar dit voir des personnes désemparées avec la cherté de la vie.
« Cela fait presque deux ans qu’elles vivent une situation contraignante mais cela va de mal en pis. Les familles avec des enfants sont plus affectées. On est parfois triste de voir que les mères ne peuvent plus se permettre d’offrir des goûters à leurs enfants. Il y a beaucoup de petites choses qu’elles doivent sacrifier pour subvenir aux besoins premiers de leur famille. Même les sorties ne peuvent se faire facilement aujourd’hui. Les familles doivent gérer leur budget », témoigne-t-elle.
D’autre part, elle relève qu’avec « le budget utilisé pour faire ses courses deux ans avant permettait d’avoir beaucoup plus de produits ». Elle poursuit : « la vie devient très difficile, encore plus pour ceux qui n’ont pas de salaire fixe. Ces augmentations sur les produits de base sont très conséquentes. » Elle dit remarquer souvent « des gens prendre un produit au supermarché pour ensuite le retourner à l’étagère après avoir vu le prix ». Et que « les étagères ne sont du reste pas aussi garnies qu’autrefois ».
La directrice du CDM dit par ailleurs noter « une atmosphère de tristesse » dans les supermarchés ces temps-ci. L’avenir avec ces flambées récurrentes des prix s’annonce très dur. « J’ai beaucoup de chagrin, surtout pour les jeunes. Nous, nous avons quand même eu ce dont on avait besoin. L’avenir pour eux me paraît très sombre », concède-t-elle.
En conclusion: « autrefois, on prenait pour acquis le fait de pouvoir aller chez les parents. Maintenant, quand on ne peut plus aller les voir à cause du Covid-19, c’est difficile. Parfois, on veut serrer quelqu’un dans nos bras mais on ne peut le faire comme avant. La vie est bien incertaine. »