Cliniques privées et services de proximité : Entre frustration et dysfonctionnement

À quoi cela sert-il d’avoir des antennes de cliniques privées aux quatre coins de l’île si les services ne sont pas optimisés ? Cette question prend tout son sens après le récit d’une patiente qui s’est rendue dans une de ces cliniques satellites du nord de l’île en pleine nuit, espérant y recevoir des soins adéquats. Malheureusement, elle en est ressortie avec un mélange de frustration et d’incompréhension.

- Publicité -

L’incident débute lorsque la patiente arrive aux urgences de la branch clinic tard dans la soirée, en proie à des douleurs persistantes. Accueillie par une infirmière, elle est installée sur un lit et subit des prélèvements sanguins « au cas où ». Le médecin de garde se présente ensuite à la patiente pour un examen superficiel. Il ne prend pas la peine d’ausculter la patiente, se contentant de quelques questions et d’une prescription de traitement intraveineux pour la réhydratation.

« On va aussi vous mettre un sérum pour vous réhydrater et cela prendra une vingtaine de minutes. Ensuite, si tout va bien, vous pourrez rentrer chez vous et continuer le traitement », explique le médecin, qui n’a même pas pris la peine d’ausculter la patiente, si ce n’est qu’il a posé quelques questions sommaires. Une vingtaine de minutes plus tard, le médecin se pointe à nouveau et demande à un infirmier cette fois d’enlever la canule du bras de la patiente, car elle peut partir. Les proches de cette patiente vont faire le paiement à la réception.

Mais voilà, lorsqu’ils reviennent au chevet de la patiente, celle-ci est en train de se tordre de douleurs. Ils alertent le médecin qui semble « désabusé », mais reste rassurant. Il préconise qu’elle reste encore un peu, le temps qu’il lui administre un autre traitement plus agressif pour soulager la douleur et elle pourra partir dans une trentaine de minutes, voire une heure. Il faut encore une fois un traitement intraveineux et la pose d’une nouvelle canule s’impose. Mais cinq minutes plus tard, la patiente se sent encore plus mal et commence à vomir. Il faut stopper le traitement. Et en administrer un autre, incluant également une nouvelle dose de sérum pour ne pas qu’elle se déshydrate. Et attendre encore au minimum une heure pour voir l’évolution.

Entre-temps, un coup de téléphone met en branle tout le service. L’ambulance doit partir sur-le-champ. Le médecin traitant appelle un de ses collègues et lui passe le relais des patients aux urgences. Lui court dans l’ambulance avec deux infirmiers. Le médecin suppléant arrive 20 minutes plus tard, d’un pas nonchalant.

Il va d’abord voir un enfant sur un lit à côté. Il passe ensuite à un autre patient et notre patiente est “vue” en troisième position. Elle confie au médecin qu’il n’y a aucun soulagement et elle se tord toujours de douleurs. Le médecin regarde la fiche, lui pose encore deux questions auxquelles elle avait déjà répondu plus tôt et qui aurait sans doute dû être sur la fiche. Exaspérée et surtout de plus en plus mal en point, la patiente demande au médecin de l’admettre. Il consent que son état nécessaire une prise en charge poussée. Cependant, « ici c’est une branche. Nous n’avons pas de salle d’admission. Il faut aller à… »

Si surprise qu’une “branch clinic” qui se targue d’être à la pointe de la technologie et table sur ses services de proximité, d’où l’installation de ses branches à travers Maurice, ne dispose pas de chambre d’admission, la patiente accepte d’être transférée dans une plus grande clinique. Cependant, l’ambulance étant de sortie, ce sont les proches de la patiente qui doivent se charger de son transfert.

D’abord un dépôt de Rs 35 000

Le médecin rassure la patiente qu’il mettra le médecin de garde cette nuit-là à la clinique choisie au courant de sa situation. Elle l’entend même appeler pour s’assurer qu’il y a de la place. Le médecin lui demande si elle connaît un spécialiste qui peut la voir, autrement il faudra alors appeler le spécialiste de garde. Et confirme qu’elle peut partir.

Une heure plus tard, la patiente débarque ainsi dans la prestigieuse clinique. La patiente installée dans un fauteuil roulant, ses proches la dirigent vers les urgences. Mais stop ! Le médecin qui est à l’accueil et à qui ses proches remettent le rapport écrit du médecin de la branch clinic lui demande de passer à l’enregistrement d’abord pour les procédures administratives. Procédures que les proches de la patiente avaient déjà effectuées plus tôt dans l’autre clinique. La patiente insiste pour être vue par le médecin, mais la réceptionniste explique qu’il faut d’abord faire les procédures. Prenant son mal en patience sur son fauteuil roulant, elle attend. Cela prend des dizaines de minutes pour enregistrer un même numéro de téléphone et une même adresse.

Après une trentaine de minutes, le médecin approche enfin la patiente. Il est alors 3h du matin. Cependant, il ne peut pas signer son admission, car… il doit faire une investigation. Et donc recommencer avec la prise de constantes, la prise de sang, etc. La patiente, qui souffre atrocement, dit au médecin que tout cela a déjà été fait dans l’autre clinique et qu’il n’a qu’à prendre ce que son collègue a déjà fait. Le médecin explique qu’il n’a aucune autre information et que, d’ailleurs, la canule avait déjà été enlevée et qu’il fallait tout recommencer et lui administrer un traitement de soulagement en attendant qu’elle puisse voir le spécialiste qui viendrait le lendemain.

Après encore une demi-heure, elle est admise en clinique. Mais obligatoirement, la patiente doit faire un dépôt de Rs 35 000. Cela, alors qu’une chambre coûte Rs 7 500. Une aberration pour la patiente et ses proches, qui déplorent qu’alors qu’il s’agissait d’une urgence médicale, il a fallu attendre près d’une heure pour qu’elle soit admise et qu’il faille payer cette somme astronomique. Autrement, il ne pourrait y avoir d’admission et de prise en charge.

Système innefficace

« Il s’agissait d’une urgence médicale, mais nous avons dû attendre une heure et payer une somme astronomique avant qu’elle ne soit admise », déplore l’un de ses proches, qui voit dans ce montant une barrière d’accès aux soins. Difficile de batailler contre ce système à 4h du matin. Les proches de la patiente payent et elle se fait finalement admettre. Au matin, personne ne peut dire de quoi elle souffre. Il faut attendre que le spécialiste passe pour lui donner un traitement. Et l’heure de visite du spécialiste est en après-midi ! Une autre aberration. En attendant, les infirmiers lui administrent le traitement d’appoint de la veille. Il a fallu que la patiente, certes souffrante, se fasse entendre pour que, finalement, le spécialiste se pointe plus tôt et lui administre son traitement et demande également lui aussi d’autres investigations. Elle passera finalement deux jours en clinique et attend toujours les résultats des examens effectués.

Ce qui choque dans cette affaire — outre les Rs 35 000 de dépôt pour sa prise en charge, alors q’elle est aux urgences, avec des risques d’une aggravation de son état si elle n’est pas traitée —, c’est qu’entre les cliniques satellites, il n’y a pas de suivi et de partage de données. Alors qu’on crie depuis des années, voire des décennies “Anne ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?” quant au projet de E-health au sein des services hospitaliers publics, du côté des cliniques privés, c’est à peu près la même chose ! Si le secteur privé se targue d’offrir des services modernes et accessibles, la réalité montre un système fragmenté et inefficace.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -